Me Stéphane Harvey : coupable de 10 chefs
Radio -canada
2022-04-26 15:00:00
En tout, l’avocat Stéphane Harvey a été reconnu coupable de 10 des 12 chefs que le syndic de son ordre professionnel a portés devant le Conseil de discipline du Barreau. Il connaîtra sa sanction dans quelques mois, mais l’appropriation de sommes entraîne automatiquement une radiation temporaire.
Fin d’une longue saga
C’est une longue saga qui vient de se terminer, une histoire que Droit-inc a couvert ces dernières années, et qui a donné lieu à de nombreux rebondissements.
L’avocat de Québec avait été mandaté par André Savard, liquidateur de la succession de son frère, pour défendre les dernières volontés du défunt, car son testament était contesté par un membre de son entourage. Le défunt avait désigné sa fille comme unique bénéficiaire de sa police d’assurance vie, soit 171 000 $.
Dans cette affaire, ce qui devait coûter environ 10 000 $ en frais d'avocats a plutôt coûté 65 000 $, ce qui ai privé l'enfant du tiers de son héritage.
À la suite d'une plainte déposée au Barreau, le syndic, Me Nathalie Lavoie, a mené une longue enquête qui a conduit à la décision rendue le 7 avril dernier. Dans le jugement, les trois membres du Conseil de discipline sont revenus sur les faits.
Défaut de rendre compte
Lorsque la somme de 171 000 $ a été déposée dans le compte en fidéicommis, le liquidateur a accepté de payer les frais d'avocats qui s’élevaient à 15 299 $, « même s’il s'attendait à une facture d’une dizaine de milliers de dollars », peut-on lire dans le jugement.
Dans un deuxième temps, André Savard a donné le mandat à Me Harvey de gérer la pension alimentaire mensuelle destinée à la mère de l'héritière, moyennant un certain pourcentage à prélever à même le compte. Puis, André Savard a demandé et obtenu une somme de 75 000 $ qu'il a déposée dans un autre compte pour la faire fructifier.
Par la suite, à plusieurs reprises, monsieur Savard a voulu avoir un bilan de la gestion du compte en fidéicommis. Sans succès. Le Conseil note qu'« il existe un certain cafouillis dans la comptabilité de l’intimé ».
Alors qu'il est au bureau de Me Harvey et de son associé, toujours dans l’espoir d'avoir un bilan, un huissier l'attend pour lui remettre une mise en demeure, dans laquelle Me Harvey dit que monsieur Savard « crie au loup », qu’il tient des propos diffamatoires, et il exige des excuses sans quoi il lui réclamera 50 000 $.
Le Conseil de discipline n’a pas apprécié. « Au lieu de fournir les précisions demandées, quant à la gestion du compte, l’intimé choisit de le mettre en demeure. Il ne faut pas perdre de vue que l'argent confié à l'intimé en fidéicommis ne lui appartient pas. Lorsqu’un client demande de rendre compte, l’avocat ne peut pas tergiverser, temporiser, encore moins lui envoyer une mise en demeure. Il doit s’exécuter avec empressement, célérité et même zèle. »
Cette attitude vaut à l'avocat d’être reconnu coupable d'avoir fait défaut de rendre compte et d’avoir manqué de modération et de courtoisie.
Le Conseil de discipline reproche aussi à l’avocat de s’être placé en conflit d'intérêts lors de l'envoi de la mise en demeure. « L’intimé, au lieu de choisir la transparence, ce qui l’aurait exposé à faire état des retraits effectués dans le compte en fidéicommis, a préféré mettre en demeure son client pour le dissuader d’obtenir les clarifications demandées. Ce faisant, l’intimé se place en situation de conflit d'intérêts. »
Appropriation de sommes détenues dans le compte en fidéicommis
Selon le Conseil, il y avait une raison pour laquelle Me Harvey tardait à rendre compte de sa comptabilité. Cela « l'aurait exposé à faire état des retraits effectués ». Après avoir facturé plus de 15 000 $ en frais d’avocat, Me Harvey avait continué de facturer des frais, sans en informer son client.
À force d'insister, André Savard a eu connaissance des retraits non autorisés. Le choc a été brutal, car il ne restait plus rien dans le compte, alors qu’il aurait dû y avoir une somme d’environ 50 000 $, selon le calcul du Conseil de discipline.
En 2017, il nous avait dénoncé ces retraits en ces termes : « Je peux pas comprendre que quelqu'un fait ça à des enfants. C'est immoral. C'est sa richesse que son père lui a laissée pour que, quand elle va aller faire ses études, qu'elle ait quelque chose pour l'aider, pour la soutenir. Si elle n’a pas le soutien moral, elle aurait eu le soutien financier. Mais non, elle a pas ça parce que ça a disparu. »
« Le Conseil ne retient pas la prétention de l’intimé selon laquelle André Savard était au fait de ces informations et qu'il avait déjà reçu et même approuvé les diverses factures. »
Le Conseil de discipline a reconnu Me Harvey coupable de s’être approprié la somme totale de 49 037 $, qu’il s’est versé en quatre occasions par le biais de factures que monsieur Savard n'a jamais reçues.
En entrevue, André Savard nous avait déclaré que c’était impossible qu’il ait approuvé ces factures. « On essaie de me faire gober que j'aurais accepté ça. Toute personne saine d'esprit n'aurait jamais accepté de payer ça. Je n'avais jamais vu (ni) autorisé ces factures. C’est également ce qu’il a soutenu et déclaré devant le Conseil de discipline.
Le Conseil de discipline écrit qu’« en agissant ainsi, l'intimé a posé des gestes dérogatoires à l'honneur ou la dignité de la profession. Il a abusé du privilège de détenir un compte en fidéicommis et il a trahi la confiance de son client ».
De fausses initiales
Sur l’une des factures, d’une somme de 33 000 $, les initiales de monsieur Savard apparaissent, comme s’il avait approuvé le débours. Lors de notre entrevue à ses bureaux, Me Harvey nous avait déclaré qu’« à chaque fois, j'ai eu l'autorisation de monsieur Savard pour retirer des sommes. Je considère que c’est un devoir professionnel et c’est pour ça que, quand j'ai fait la facture de 33 000 $, j’ai pris la peine de le faire signer, de le faire initialer ».
Me Harvey a répété cette version devant le Conseil de discipline. Il a même fait témoigner une « graphologue agréée », mais le Conseil de discipline a rejeté son témoignage car peu crédible, elle-même ayant reconnu que son expertise « n’était pas faite dans les règles de l’art ».
Le Conseil de discipline a jugé claire et convaincante l’opinion d’une experte du syndic qui agit comme spécialiste en écriture depuis 40 ans devant les tribunaux. À l’aide d’un microscope, d’une caméra numérique professionnelle, d’un logiciel et d'éclairages divers, elle a comparé les initiales originales avec celles qui apparaissent sur la facture de Me Harvey.
Le Conseil n'a pas cru la version de Me Harvey. « Le Conseil conclut que le paraphe AS (pour André Savard) n’est pas de sa main. Ici, il s'agit d’une signature par imitation », écrit le Conseil de discipline qui a reconnu Me Harvey coupable d'avoir contrefait ou d'avoir fait contrefaire les initiales.
« L’intimé ne pouvait ignorer que M. Savard n’a pas paraphé (cette) lettre. Lorsqu'il a transmis ce document au syndic, il savait nécessairement ce fait. L’intimé a transmis cette lettre, avec les faux paraphes, sachant qu'ils étaient contrefaits. En agissant ainsi, l’intimé entrave le travail de l’inspecteur, du bureau du syndic et de la plaignante (Me Lavoie) ». Il est donc reconnu coupable d’entrave au travail des enquêteurs.
Une prestation exceptionnelle
Cette somme de 33 000 $, Me Harvey se l’était accordée à titre de prestation exceptionnelle dans la défense de la jeune héritière. En entrevue à La facture, Me Harvey nous avait d’ailleurs déclaré qu’« elle devrait me remercier, Shanel, parce qu’elle va avoir, grâce à moi, un héritage qu’elle n’aurait probablement pas eu. »
Devant le Conseil de discipline, Me Harvey a répété que cette affaire était complexe et très litigieuse. Ce n’est pas l'avis du Conseil de discipline. « Le travail de l’intimé (Me Harvey) est loin d’être aussi complexe que ce qu’il prétend. Ce dossier ne représentait pas de complications particulières ni n'était hautement litigieux comme le suggère l’intimé ».
Dans les faits, la contestation du testament a été abandonnée sans aucune journée d'audience à la cour. Le Conseil ajoute que « la position soutenue par l’intimé (Me Harvey) selon laquelle il pouvait se payer une telle somme apparaît plutôt invraisemblable et incohérente avec l’ensemble du dossier ».
Une poursuite en diffamation mal vue par le Barreau
Non seulement Me Harvey a menacé d’une poursuite son client, mais il est passé de la parole au geste. Pour faire face à cette poursuite en diffamation, que l'avocat a par la suite abandonnée, André Savard a dû retenir les services d’un avocat.
« Fait que ça m'a coûté d'autres frais pour me défendre contre un avocat qui était déjà sous enquête », avait déploré M. Savard en 2017. C'est de l'intimidation pure et simple.
Devant nos caméras, Me Harvey ne voyait pas les choses de cette façon. « J'ai fait valoir judiciairement mes droits de façon correcte, polie, respectueuse. Si vous pouvez penser que c'en est (de l’intimidation), moi je ne l’ai jamais vu de ce point de vue là. »
Le Conseil de discipline ne partage pas l’interprétation de Me Harvey. « Clairement, l’intimé poursuit en dommages et intérêts monsieur Savard en réaction du signalement fait par ce dernier au bureau du syndic. Un tel procédé constitue une mesure de représailles au sens du code de déontologie des avocats. Le Conseil juge également que l’intimé a cherché à intimider son client afin qu’il abandonne ses prétentions le concernant ».
Le Conseil qualifie l'attitude de Me Harvey de « conduite inacceptable ». Il renchérit en écrivant qu’« un client n'a pas à subir les foudres de son avocat lorsqu’il formule au Barreau un reproche à son égard ».
Ce n’est pas fini
Comme on peut le lire dans le jugement, Me Stéphane Harvey « a multiplié les procédures » qui ont eu pour effet de retarder l'audition de cette cause. « La quantité des procédures en soi permet d’expliquer une partie du délai qui s’est écoulé depuis le dépôt de la plainte. »
Le Conseil rappelle qu’un juge a souligné que Me Harvey « met des bâtons dans les roues de la plaignante (le syndic) alors qu’elle tente de faire avancer son enquête ». L’une de ces procédures visait Me Nathalie Lavoie afin de la rendre inhabile à agir dans cette cause disciplinaire.
Cette requête a été rejetée en Cour supérieure, le 10 juin 2021, qui, sous la signature de la juge Alicia Soldevila, expliquait que ce ne sont, en conclusion, que des mesures dilatoires additionnelles déployées pour faire échec aux plaintes disciplinaires logées contre lui.
La juge ajoute «que plutôt que d'en retarder le processus, le demandeur devrait y faire face».
André Savard s'est déclaré soulagé du jugement rendu par le Conseil de discipline du Barreau. C'est un poids qu’il a traîné pendant plus de huit ans. Quant à l’héritière, sa nièce Shanel, toutes les conditions sont maintenant réunies pour qu’elle puisse recevoir un remboursement du Fonds d’indemnisation du Barreau.
Me Harvey n'a pas fini d'en découdre avec son ordre professionnel. Deux autres plaintes ont été déposées au Conseil de discipline.
D’ici là, les parties seront convoquées sous peu pour l'audition sur sanction de cette décision. Il fera vraisemblablement l'objet d’une radiation, puisque l'appropriation de sommes entraîne automatiquement une radiation en vertu de l'article 156 du Code des professions. Ce qu’on ignore, c’est la durée de cette radiation compte tenu des nombreux chefs desquels Me Harvey a été reconnu coupable.
Ce n'est qu’après le prononcé de la sanction qu’il pourra déposer une procédure d'appel. Nonobstant cette procédure d’appel, une radiation demeure exécutoire, qu’elle soit temporaire ou permanente. La réponse à cette question viendra dans quelques semaines.
Joint par Droit-inc, Me Harvey nous a indiqué au téléphone que lui et son équipe procède présentement à la lecture et à l'analyse du jugement. Il préfère ainsi, pour le moment, s’abstenir de commenter et d’émettre une déclaration officielle.
Pirlouit
il y a 2 ansMorale de l'histoire : envoyer ses factures par courriel
Anonyme
il y a 2 ansSi c'est ce que t'as retenu, vaudrait mieux relire.