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Traduction de jugements : la Cour suprême du Canada poursuivie

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Radio-canada Et Cbc

2024-11-04 10:15:36

L'avocat de DCQ, François Côté; son président, Daniel Turp; et son directeur général, Étienne-Alexis Boucher. Source : Radio-Canada / Jérôme Labbé
L'avocat de DCQ, François Côté; son président, Daniel Turp; et son directeur général, Étienne-Alexis Boucher. Source : Radio-Canada / Jérôme Labbé
La Cour suprême rechigne toujours à traduire en français les jugements rendus avant 1969…

Le plus haut tribunal au pays devra expliquer en Cour fédérale pourquoi il rechigne toujours à traduire en français les décisions qu'il a rendues en anglais avant 1969, soit l'année de l'adoption de la Loi sur les langues officielles (LLO).

L'organisme Droits collectifs Québec (DCQ) a présenté vendredi à Montréal la poursuite qu'elle a déposée contre la Cour suprême du Canada dans ce dossier.

L'avocat de DCQ, François Côté, son président, Daniel Turp, et son directeur général, Étienne-Alexis Boucher, ont longuement expliqué les raisons de leur démarche, qui repose sur deux rapports rédigés par le Commissaire aux langues officielles (CLO) à ce sujet, en 2021 et en septembre dernier.

Dans les deux cas, Raymond Théberge a donné à la Cour suprême 18 mois pour se conformer à la LLO en traduisant les quelque 6000 jugements qu'elle a rendus en anglais seulement, de 1878 à 1969, et qui sont tous accessibles en ligne aujourd'hui.

L'institution a toutefois refusé jusqu'ici de se plier à cette injonction, faisant valoir qu'elle n'avait pas les ressources pour le faire.

Une affaire qui pourrait se rendre jusqu'en... Cour suprême

Devant cette impasse, DCQ a déposé vendredi matin un avis de demande et un affidavit à la Cour fédérale dans le but de forcer la Cour suprême à se conformer à la LLO.

L'organisme réclame du tribunal un jugement déclaratoire confirmant que l'omission de traduire ces décisions en français constitue bel et bien une infraction, afin de donner un caractère judiciaire au constat du CLO.

La Cour suprême elle-même est protégée contre ce genre de recours par le principe de l'indépendance des tribunaux, mais le recours contourne ce principe en ciblant plutôt le Bureau du registraire de la Cour suprême, soit le bras administratif du tribunal, qui relève, lui, de la fonction publique fédérale.

Me Côté a dit avoir bon espoir que la cause se règle rapidement, soit à l'amiable, soit par le biais des procédures judiciaires entamées, la Cour fédérale étant reconnue pour sa promptitude.

Il n'a toutefois pas exclu que la cause puisse éventuellement se retrouver devant la Cour d'appel fédérale, puis devant la Cour suprême, ce qui, selon lui, placerait l'institution dans une position « intenable ».

« Une première », selon DCQ

DCQ prétend que sa démarche est « une première dans l’histoire du Québec et du Canada », les instances de la Cour suprême n'ayant jamais été traînées devant la justice.

L'organisme souhaite que la Cour fédérale ordonne au Bureau du registraire de la Cour suprême de procéder à la traduction des décisions en question dans les trois ans suivant une décision favorable et que ces traductions soient approuvées par des jurilinguistes plutôt que générées à 100 % par l'intelligence artificielle.

DCQ veut également forcer la Cour suprême à afficher sur son site web pour au moins cinq ans une lettre d'excuses formelle et officielle adressée aux citoyens francophones du Canada pour avoir enfreint leurs droits linguistiques.

Les instigateurs de la poursuite réclament enfin 1 million de dollars en dommages-intérêts pour couvrir leurs frais juridiques. Ils promettent toutefois, en cas de victoire, de redistribuer l'excédent à des organismes comme la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law (FAJEF).

Une opération onéreuse

La première plainte reçue par le CLO au sujet de la traduction des jugements rendus par la Cour suprême avant 1969 avait été déposée par l'avocate montréalaise Marie-Andrée Denis-Boileau en 2019. Raymond Théberge lui avait donné raison deux ans plus tard, mais le plus au tribunal du pays avait refusé de s'y plier.

C'est DCQ qui, voulant prendre la balle au bond, a déposé, en mai dernier, une nouvelle plainte, qui a débouché sur le rapport rendu public par le CLO en septembre.

Le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, avait entre-temps soutenu, lors de sa conférence de presse annuelle, qu'il ne serait pas « utile » de traduire en français les jugements rendus en anglais par ses prédécesseurs avant 1969.

Il avait alors estimé que l'opération nécessiterait l'embauche d'une centaine de traducteurs durant une dizaine d’années, ce qui coûterait à l'institution de 10 à 20 millions de dollars.

Une loi qui manque de mordant

L'Assemblée nationale du Québec a pourtant adopté une motion unanime à ce sujet, le 30 novembre 2023, pour exiger « qu'une traduction officielle de ces jugements soit effectuée conformément à la recommandation du CLO ».

Le Bloc québécois a aussi demandé au ministre de la Justice du Canada, Arif Virani, de fournir au Bureau du registraire de la Cour suprême les millions de dollars nécessaires pour traduire l'ensemble des jugements du tribunal qui ne l'ont pas encore été.

Selon l'avocat de DCQ, François Côté, la démarche judiciaire entreprise vendredi montre les limites de l'action du CLO qui, malgré l'adoption du projet de loi C-13 (Loi modifiant la Loi sur les langues officielles), n'a pas d'autres pouvoirs que celui d'émettre des recommandations.

Le président de l'organisme, Daniel Turp a plaidé pour sa part que, contrairement à l'argument présenté par le juge Wagner, il serait tout à fait « utile » de traduire les jugements de la Cour suprême rendus avant 1969, prenant l'exemple de la cause Roncarelli v. Duplessis qui, juste en 2024, a été citée en cour plusieurs centaines de fois.

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