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Triple meurtre en 24 heures : la coroner propose un tribunal en santé mentale

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Radio-canada Et Cbc

2024-02-29 13:30:26

Le suspect lié à trois meurtres qui ont eu lieu à Montréal et à Laval avait été localisé au motel Pierre, dans l'arrondissement de Saint-Laurent. Source: Radio-Canada / Kolya H. Guilbault
Manque de psychiatres, travail en silo, évaluation de la dangerosité : le cas d'Abdulla Shaikh est une occasion de revoir les mécanismes de prévention au Québec.


En août 2022, Abdulla Shaikh, une personne à l’état mental perturbé, avait semé l’émoi après avoir abattu avec une arme à feu trois personnes au hasard dans les rues de Montréal et de Laval.

M. Shaikh est mort lors d’une intervention du Groupe tactique d'intervention (GTI) de la police de Montréal.

Dans son rapport d’enquête, dont Radio-Canada a obtenu copie, la coroner Géhane Kamel conclut s’être retrouvée devant « quelqu’un qui a un trouble de personnalité et qui a planifié scrupuleusement ces actions ».

La coroner rappelle que « les gestes irréparables commis par M. Shaikh [...] se sont déroulés alors qu’il était sous le mandat de la Commission d’examen des troubles mentaux (CETM), après avoir été jugé non criminellement responsable suivant des infractions commises en 2018 ».

L’équipe traitante de l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé du CISSS de Laval assurait les suivis auprès de M. Shaikh. Ce dernier y avait été hospitalisé à quelques reprises.

Des drapeaux rouges

« De l’avis des psychiatres et de notre expert, les troubles de personnalité sont plus difficiles à diagnostiquer et la prise en charge est également ardue, peut-on lire dans le rapport. La question qui demeure : aurait-on pu éviter ce drame? »

La coroner estime que « certains éléments devraient être considérés comme des drapeaux rouges ».

Elle cite notamment « les délais interminables en matière d’accusations criminelles » et « le fait qu’il [M. Shaikh] ne participe pas de manière soutenue avec l’équipe du suivi intensif dans le milieu [SIM] ».

Elle souligne également « le fait qu’il n’y a pas de suivi proposé une fois son dossier fermé avec le SIM » et que le réseau s’appuie entre autres sur la famille « alors qu’elle est émotivement prise entre l’arbre et l’écorce ».

Après avoir recueilli 56 témoignages factuels et consulté des dizaines de documents, la coroner Géhane Kamel formule 22 recommandations, tant au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) qu'aux CISSS et aux CIUSSS, à la Sécurité publique du Québec et du Canada, au ministère de la Justice, au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) ainsi qu’au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Revoir la Commission d’examen des troubles mentaux

La coroner propose de revoir la structure de la commission afin qu’elle agisse comme un tribunal administratif spécialisé en santé mentale, comme le suggère l’Association des médecins psychiatres du Québec.

La coroner Géhane Kamel. Source: Radio-Canada / Ivanoh Demers

Cela permettrait de renforcer la capacité de la commission à « évaluer l’importance du risque de dangerosité que représente l’accusé pour la sécurité du public, en raison de son état mental ».

Elle recommande également la présence des procureurs aux poursuites criminelles et pénales « à toutes les audiences ».

« L’accès à l’information judiciaire, en raison des règles de confidentialité, demeure problématique pour les professionnels de la santé [...] ces informations, pourtant cruciales, pourraient aider à mieux identifier la dangerosité et les risques », peut-on lire dans le rapport de la coroner.

La coroner Kamel recommande également d’inclure « un agent de liaison pivot dans les unités de psychiatrie afin de faire le pont entre les milieux hospitaliers et les milieux judiciaires ».

Comme le soulève la coroner en citant l’expertise psychiatrique du Dr Stéphane Proulx : « Est-ce qu’un département de psychiatrie d’hôpital général a la capacité de prendre en charge des patients de cette complexité, de ce niveau de dangerosité, avec mandats légaux imposants? »

« [M. Proulx] suggère que dans l’état actuel des choses, il faut répondre par la négative et je souscris entièrement à son analyse », ajoute-t-elle.

La coroner propose d’éviter les généralisations et la stigmatisation entourant les individus souffrant d’un trouble psychotique, et tout particulièrement de schizophrénie, puisque « la grande majorité des actes de violence graves sont l’œuvre d’individus sans trouble de santé mentale ».

Réviser la loi P-38

Dans le cadre de son enquête, l’équipe du coroner a mis en lumière le fait que la loi P-38 permet à un policier, sans l’autorisation du tribunal, d’amener contre son gré une personne à l’hôpital si l’état mental de celle-ci présente « un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui ».

« Il faut très certainement poursuivre les travaux afin de réviser cette loi, notamment afin que le critère de dangerosité immédiate soit modulé pour permettre aux policiers d’intervenir dans l’intérêt des sujets visés par la mesure et de la population. »

Mieux équiper les policiers du GTI de Montréal

En marge de son mandat, la coroner s’est penchée sur les équipements et les locaux dont dispose le Groupe tactique d'intervention (GTI) du SPVM.

Elle s’est étonnée que le véhicule blindé du SPVM utilisé en août 2022 lors de l’intervention pour neutraliser M. Shaikh n’ait pas été doté d’un bras hydraulique qui permet aux policiers de communiquer avec des personnes barricadées pour négocier ou intervenir tout en demeurant efficacement protégés.

Elle souligne que les GTI de la Sûreté du Québec et du Service de police de la Ville de Québec possèdent un tel équipement, alors que « le GTI du SPVM effectue au Québec le plus grand nombre d’interventions à haut risque par année ».

Elle déplore également la vétusté des locaux du GTI du SPVM.

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