Un avocat dénonce une syndic ad hoc du Barreau
Camille Laurin-desjardins
2020-11-11 15:00:00
Me Harvey, fondateur de Stéphane Harvey avocats, œuvre principalement en litige civil et commercial, ainsi qu’en responsabilité civile et assurances. Me Lavoie, avocate senior chez BCF, fait partie du groupe Litige et Défense de recours collectifs. Leurs bureaux sont situés dans le même édifice, à Québec.
« C'est une guerre commerciale entre deux cabinets, déplore Me Harvey, avec qui Droit-inc s’est entretenu. On se dispute les mêmes clients. Ça me fait perdre de la clientèle, c'est sûr. »
Selon Me Harvey, qui a déposé des requêtes en arrêt des procédures et en déclaration d'inhabilité de la syndic, celle-ci et les avocates qui l’assistent ont profité de la situation pour répandre des informations confidentielles sur Me Harvey auprès de ses clients ou de ses anciens clients afin de lui nuire, et ce, avant que des plaintes n’aient été officiellement déposées auprès du Conseil de discipline (ce qui est contraire aux obligations prévues dans le Code des professions). Me Harvey a d’ailleurs déposé en preuve des affidavits signés par ces témoins – et que Droit-inc a pu consulter.
Jacques Amyot et Jean-François Dumais étaient associés d’une compagnie qui s’est retrouvée au cœur d’un litige. M. Amyot, qui était désigné comme caution pour la compagnie, se faisait également poursuivre personnellement. Me Harvey représentait la compagnie, à la demande de M. Dumais. À l’automne 2017, (donc un an avant que Me Lavoie ne dépose ses plaintes), M. Amyot a demandé à Me Geneviève McLean (une autre avocate de BCF qui assisterait Me Lavoie dans sa tâche de syndic ad hoc) de le représenter.
« McLean m’a fait savoir que ce n’était pas une bonne chose que la compagnie soit représentée par Me Harvey “puisqu’il est sous enquête du syndic du Barreau dans deux dossiers et qu’il risque d’être radié” », écrit Jacques Amyot dans son affidavit.
Me Harvey précise que Jean-François Dumais (qui était aussi présent lors de cette conversation téléphonique, selon l’affidavit qu’il a signé), a par la suite décidé de faire affaire avec BCF, pour ses autres dossiers.
Stéphane Harvey est confiant d’obtenir gain de cause dans sa requête en arrêt des procédures.
« Parce que si on fait une enquête, c'est pour savoir si on accuse ou pas quelqu'un, affirme l’avocat. Ce n'est pas parce qu’on sait qu'on va l'accuser. »
Invitée à commenter, Me Nathalie Lavoie nous a fait savoir qu’elle aurait aimé pouvoir donner sa version des faits, mais qu’elle n’était pas en mesure de le faire à l’heure actuelle, puisque les dossiers sont toujours devant le Conseil.
« Il me ferait plaisir de commenter le déroulement des plaintes disciplinaires que j’ai déposées contre Me Harvey, en ma qualité de syndique ad hoc pour le Barreau du Québec, de même que les procédures initiées par Me Harvey depuis le début de mon enquête le concernant, dont celles faisant état de sa prétention, contestée, à l’effet je me trouverais en conflit d’intérêts », nous a-t-elle écrit.
243 000$ d’honoraires pour BCF...
Stéphane Harvey se questionne depuis le début sur les motivations de Nathalie Lavoie et de BCF. Selon lui, l’avocate et le cabinet se servent du mandat de syndic ad hoc pour lui nuire, puisqu’il est un de leurs compétiteurs directs.
Cet été, il a donc fait une demande d’accès à l’information auprès du Bureau du syndic du Barreau pour connaître le montant des honoraires reçus par Me Lavoie et BCF dans les deux dossiers de plainte contre lui.
Selon les documents fournis par le syndic Guy Bilodeau, que Droit-inc a pu consulter, en date du 21 août, Me Lavoie et BCF ont facturé au Barreau 134 993,29$ pour le premier dossier (il s’agit apparemment d’un montant « approximatif ») et 108 636,43 $ pour le deuxième – pour un total de 243 629, 72$.
Le tout alors qu’aucune audition sur le fond n’a encore eu lieu, rappelle Me Harvey, qui estime que cela est maintenant d’intérêt public.
« La motivation de BCF avocats dans le présent dossier n’est manifestement pas la protection du public, mais bien de s’enrichir », affirme Me Harvey.
Selon les états financiers du Barreau pour 2019-2020, les dépenses totales pour le Bureau du syndic atteignaient près de 7,6 millions de dollars.
Et le Barreau?
Droit-inc a contacté le Barreau du Québec pour tenter d’obtenir plus d’informations sur la façon dont un syndic ad hoc est nommé, ainsi que sur les délais et les honoraires moyens, dans une cause devant le Conseil de discipline.
À la demande du syndic, le Conseil d’administration peut nommer un syndic ad hoc, mais cela se fait dans le cas de « circonstances exceptionnelles », comme un conflit d’intérêts ou une surcharge de travail, nous a répondu par courriel la directrice des communications, Hélène Bisson.
« En tout temps, comme c’est le cas dans tous les dossiers du syndic, les règles sur le conflit d’intérêts prévues aux articles 71 et suivants du Code de déontologie des avocats s’appliquent, ajoute-t-elle. Par conséquent, s’il y a conflit d’intérêts, le candidat syndic ad hoc en avise le syndic et refusera le mandat. »
Puisque les mandats varient énormément, selon la nature du dossier, il n’est pas possible « de dégager un délai moyen qui serait significatif » pour les dossiers qui se rendent devant le Conseil de discipline, ni un montant total moyen pour les honoraires déboursés. Toutefois, Mme Bisson précise que « 90% de tous les dossiers du bureau du syndic sont réglés ou traités à l’intérieur d’un délai de 18 mois ».
Elle indique aussi que pour l’année financière en cours, le taux horaire varie entre 100$ et 167$, tout dépendant du nombre d’années de pratique de l’avocat.
En 2014 et en 2015, deux clients ont déposé des demandes d’enquête au Barreau contre Me Stéphane Harvey, parce qu’ils estimaient qu’il s’était approprié une série de montants qui se trouvaient dans un compte en fidéicommis. Ces plaintes mèneront à une enquête qui s’étirera sur plusieurs années. Puis, en novembre et en décembre 2018, la syndic ad hoc Nathalie Lavoie déposera deux plaintes officielles. Me Harvey fait face à 25 chefs d’accusation et risque la radiation.
Dans l’un des dossiers, qui a fait l’objet d’un reportage de l’émission ''La Facture'', à Radio-Canada, Stéphane Harvey se serait « illégalement approprié » une série de montants qui se trouvaient dans le compte en fidéicommis d’une adolescente, à qui le père avait laissé un héritage, après être mort d’un cancer. Comme le testament était contesté, l’oncle de la jeune fille avait mandaté Me Harvey pour défendre l’héritière.
Selon la syndic, l’avocat aurait pigé dans le compte de manière illégale à quatre reprises, et les pertes s’élèveraient à 49 000$. Me Harvey répond plutôt qu’il avait obtenu l’autorisation de l’oncle chaque fois, et qu’il lui avait même fait signer une facture pour un retrait de 33 000$. L’oncle affirme qu’il n’a jamais apposé ses initiales sur ce document, et que ce serait l’avocat qui aurait imité sa signature. Me Harvey a mandaté une experte en écriture, qui conclut qu’il est « fort peu probable » que l’avocat ait pu imiter la signature du client, selon le document que Droit-inc a pu consulter.
L’avocat, qui martèle toujours qu’il n’a rien à se reprocher, soutient qu’il avait une entente verbale avec son client, qui n’avait pas d’argent pour le payer à l’époque, et qu’il obtiendrait un pourcentage de 30% de l’héritage s’il parvenait à remporter la cause – ce qu’il a fait. Il affirme donc avoir remis 125 000$ à l’héritière, sur un montant total de 180 000$.
Selon la syndic, Me Harvey a tenté d’entraver le travail des enquêteurs « en leur remettant des factures d’honoraires simulées, toutes adressées à son client, mais qui, dans les faits, n’avaient jamais été remises à ce dernier ».
On lui reproche aussi d’avoir « intimidé, exercé ou menacé d’exercer des représailles » contre son ancien client en intentant une poursuite contre lui pour diffamation, après la demande d’enquête au Barreau. Me Harvey a depuis retiré sa poursuite de 50 000$.
En 2016, Me Harvey avait aussi intenté une poursuite au civil contre Me Lavoie. Celle-ci a été rejetée, puisque jugée prématurée.
Dans le deuxième dossier, la syndic reproche à Me Harvey d’avoir facturé des honoraires déraisonnables et d’avoir retiré des sommes d’un compte en fidéicommis sans avoir transmis de factures à son client, pour un total de 5000$. Ce dernier est maintenant décédé.
Délais trop longs?
Stéphane Harvey déplore aussi le temps qui s’est écoulé depuis les plaintes de ses clients. Les faits qui lui sont reprochés se seraient déroulés majoritairement entre 2010 et 2014. Les plaintes des clients ont été faites en 2014 et en 2015.
La syndic ad hoc a fait son enquête et a finalement déposé des plaintes officielles auprès du Conseil de discipline en novembre et en décembre 2018. Un des plaignants est mort, depuis. L’avocat estime donc que son droit à une défense pleine et entière est « irrémédiablement atteint ».
En décembre 2017, le premier plaignant a raconté son histoire dans un reportage de l’émission La Facture, trois ans après le dépôt de sa plainte au Barreau (et alors qu’aucune plainte officielle n’avait été déposée devant le Conseil de discipline). Me Harvey estime que cela lui a causé beaucoup de tort et que sa réputation en souffre.
Mais on ne peut tout de même pas reprocher à Me Lavoie le fait qu’une enquête journalistique ait vu le jour…
« Oui, c’est de sa faute, parce que ce sont les longs délais qui ont amené le plaignant à faire des démarches autres, vers des journalistes », estime Me Harvey.
Par écrit, Nathalie Lavoie nous mentionne que: « Quant aux délais “habituels” des dossiers de plaintes, je puis vous préciser que chaque cas en est un d’espèce puisque ceux-ci sont tributaires de plusieurs facteurs, tels que la collaboration de l’intimé lors de l’enquête, la teneur et le nombre de moyens préliminaires qu’il oppose avant l’audition des plaintes, la disponibilité de son procureur, celle des témoins, etc, a-t-elle ajouté. De plus, certains éléments doivent demeurer confidentiels dans un dossier d’enquête. »
De toute façon, l’avocat de 53 ans a déposé une requête en arrêt des procédures le 17 mars dernier. Il a ensuite déposé une requête modifiée en juillet, puis une autre en août, voulant ajouter de nouveaux éléments au dossier, notamment les honoraires reçus par BCF depuis le début du mandat.
Me Lavoie s’est opposée à ces modifications, mais en septembre dernier, le Conseil a décidé de les autoriser. L’audition de la requête en arrêt des procédures se fera à l’instruction de la plainte.
En août dernier, Me Harvey a également déposé une requête en déclaration d'inhabilité de la plaignante et de la mise en cause (c’est-à-dire Me Lavoie et BCF). La prochaine étape est maintenant de fixer l’audition pour l’inhabilité.
« Si on gagne, le Barreau va avoir à prendre la décision s’il continue ou pas », croit Me Harvey.
Anonyme
il y a 4 ans250 000$ d'honoraires facturés par BCF alors que le syndic ad hoc est Me Lavoie et non pas BCF. Ca va bien.
Anonyme
il y a 4 ans243 629, 72$ facturé au syndic pour un dossier de catégorie B ou C sans même une audience au fond encore.
Incroyable et ensuite on se fait achaler par le syndic pour justifier un 2000$ ici et un 1500$ là si on ne trouve plus la facture ou si oh horreur un client a insisté pour nous payer cash? Laissez les petits avocats tranquille (ceux qui luttent pour leur survie) et on va fermer les yeux sur ces dépenses dignes de la Silicon Valley pour un dossier dans le district de Québec.
Anonyme
il y a 4 ansÀ la lecture des faits, il n'y a rien de catégorie B ou C dans ce qui est reproché à cet avocat. Si vous pensez que c'est le cas, je suis préoccupé par votre sens éthique.
Anonyme
il y a 4 ansIncroyable....Voilà où se retrouvent nos cotisations! De l'acharnement total sur un avocat qui essaie de survivre...le tout au nom de la supposée protection du public. Et on n'aura jamais un mot à dire à cet égard! 250 000$ dans la poche d'un grand cabinet. Comme quoi que le malheur des uns fait le bonheur des autres...Triste journée pour la justice disciplinaire.
Me
il y a 4 ansPeut-on parler d'acharnement alors que la plainte révèle que:
"l’avocat aurait pigé dans le compte de manière illégale à quatre reprises, et les pertes s’élèveraient à 49 000$".
Que faites-vous de la protection du public?
Je me souviens de cette triste histoire qui avait fait la manchette.
Me Harvey veut maintenant jouer les victimes...
Encore du grand n'importe quoi de la part de cet avocat!
Le Chansonnier
il y a 4 ansPas surprenant qu'elle était anciennement chez Bélanger Longtin. Elle a appris là comment rentabiliser des dossiers en disciplinaires.
Anonyme
il y a 4 ansVoyons donc, on connaît bien la technique! Quand un ou des cabinets veulent ta clientèle, ils déploient leurs grandes tentacules avec des inspections et des plaintes. Tous les coups sont permis!
Anonyme
il y a 4 ansSi vous n'avez jamais fait affaires avec Me Harvey, vous ne pouvez comprendre.
Juste de même. Une entente VERBALE pour 30% de l'héritage? Ouais, ça nous fait vraiment bien paraitre...
Anonyme
il y a 4 ansÇa pue dans tous les sens et de tous les côtés cette histoire! Pourquoi ne pas nommer un syndic ad hoc dans un autre district ou dans un autre domaine de pratique?! Il semble y avoir une petite apparence de conflit ici! 230 000$ pour un dossier en apparence pas trop complexe!! Eeeeeeee ouais, la protection du public, on a dû l'oublier en cours de mandat!
Me Moncuoui