Un procès déterminant sur la constitutionnalité d’articles de la Loi sur les mines
Radio-canada Et Cbc
2024-02-21 13:15:27
Les Anishnabeg de Lac-Barrière, une petite communauté installée à mi-chemin entre Val-d’Or et Mont-Laurier, se sont donné un défi de taille…
Ils veulent faire déclarer inconstitutionnels certains articles de la Loi sur les mines du Québec, dans le cadre d'un procès qui s’est ouvert lundi.
Montréal, 16ᵉ étage du palais de justice. Dans la salle 16.07, on trouve, d’un côté, les avocats qui représentent la communauté de Lac-Barrière et de l’autre, ceux qui défendent Québec et SOQUEM, une entreprise minière attachée à Investissement Québec.
Le chef de la communauté, Casey Ratt, n’a pas pu se rendre dans la métropole.
L’essence de la cause entendue au cours des deux prochains jours tourne autour du consentement préalable pour l’octroi des droits miniers. Ainsi, certains articles de la Loi sur les mines au Québec sont, selon Lac-Barrière, inconstitutionnels, car ils seraient contraires à l’obligation de consultation du gouvernement à l’égard des peuples autochtones (article 35 de la Constitution canadienne).
Le cas qui illustre particulièrement ce problème est celui des claims transférés par une compagnie minière à SOQUEM, qui sont au nombre de 1052 et valent 8 millions de dollars.
« La [communauté de Lac-Barrière] allègue que le gouvernement du Québec ne l’a jamais consultée, ni lors de la négociation de ce règlement hors cour [entre Coppen One et SOQUEM, NDLR], ni à aucun moment en ce qui concerne l’inscription, le renouvellement ou le transfert desdits claims portant sur le territoire qu’elle revendique », peut-on lire dans un document de la Cour supérieure du Québec.
Lac-Barrière indique avoir pourtant demandé à s'asseoir à la table des négociations concernant le transfert de ces claims, mais Québec “a exclu la communauté”.
Selon elle, « le droit minier québécois […] créerait un régime dit de « libre entrée », car il permettrait l’exercice d’activités d’exploration minière sur [leur] territoire par des parties tierces, et ce, presque sans droit de regard du gouvernement ».
En effet, les demandeurs assurent que le gouvernement ne dispose d'aucun pouvoir discrétionnaire concernant l'octroi des claims miniers.
Au pupitre de la salle, chaque avocat doit répondre aux questions de la juge Chantal Masse.
Joshua Ginsberg, avocat pour Ecojustice qui représente Lac-Barrière, prend la parole le premier. « La communauté vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Selon la loi, des [compagnies minières] peuvent extraire tout ce qu’[elles] veulent du territoire […] et l’occuper, alors [que les membres de la communauté] ont besoin de ce territoire pour survivre », dit-il.
La juge Masse pousse le questionnement : « Est-ce que cela veut dire que présentement, ils peuvent utiliser des explosifs, des méthodes invasives, sans notifier la communauté? »
« Oui », répond laconiquement Me Ginsberg.
La juge poursuit en demandant comment se porte la communauté en ce moment.
Il y a longtemps que Lac-Barrière a été placée sous tutelle. Elle n’est pourvue que d’une seule génératrice qui l'alimente en électricité et de profondes divisions y minent la vie politique.
Me Ginsberg énumère tout cela en ajoutant toutefois qu’en ce qui concerne l’opposition minière, « la communauté est unanime ». Et depuis le début de la poursuite, peu importe l'allégeance politique du chef en place, la position de la communauté au sujet de l’exploitation minière « est restée constante », assure-t-il.
Et pour comprendre la cause, sa collègue, Danielle Gallant, explique ensuite en détail le fonctionnement de la Loi sur les mines et le concept de consultation envers les peuples autochtones.
Elle résume : « Le régime minier du Québec donne le droit à n’importe qui de se réserver la priorité sur une partie du territoire. Ce titre peut ensuite être renouvelé indéfiniment et transféré. Il donne un droit exclusif à l’exploration minière. »
Concernant les consultations, Me Gallant explique que « Québec donne une information sur les transferts et l’octroi, mais ça, ce ne sont pas des consultations ». Les communautés sont finalement mises devant le fait accompli.
Par exemple, un moratoire sur les activités minières avait été mis en place sur leur territoire en 2011, mais le chef Ratt indique qu'il a été suspendu en 2016, sans même que sa communauté en soit avisée. Ils ne l'ont appris que plusieurs mois plus tard.
Entre janvier 2020 et janvier 2024, les demandeurs allèguent que le nombre de claims miniers dans le territoire des Anishnabeg a augmenté de 75 points. Qualifiant cette augmentation de « dramatique », ils estiment que « ces impacts ne sont pas spéculatifs ».
L’avocate Gallant rappelle aussi ce qu’impose la Déclaration des Nations unies sur les peuples autochtones, dont le Canada est signataire. Toutefois, rappelons que le Québec ne compte pas, pour l’instant, mettre en œuvre cette déclaration.
Me Gallant croit que le gouvernement québécois et SOQUEM considèrent les conséquences des claims miniers comme relativement minimes pour Lac-Barrière.
Des perturbations avérées, selon la poursuite
En février, un règlement est venu s’ajouter à la Loi sur les mines et il entrera en vigueur en mai prochain. Mais selon les avocats de Lac-Barrière, ce règlement ne change absolument rien au problème, car il ne prévoit toujours pas de consultation au moment d'octroyer des claims.
Or, la consultation est importante pour les Anishnabeg de Lac-Barrière, car les claims miniers représentent un risque concernant l’exercice de leurs droits dans leur territoire qui s’étend sur 10 000 km².
Avant ce procès, le gouvernement du Québec demandait à ce que des compléments d’information lui soient donnés, en ce qui concerne justement les affirmations de perturbations du mode de vie traditionnel des Anishnabeg et des préjudices entraînés par l’octroi de ces claims miniers pour des travaux d’exploration.
Les Anishnabeg affirment que le territoire où les claims ont été accordés comprend des sites écologiques, culturels et spirituels importants.
Un affidavit du chef Casey Ratt résumait bien la situation en 2020 : « Notre capacité à exercer ces activités est mise en péril à moins que nous soyons consultés lors d'un dialogue sincère et que des choses soient mises en place pour minimiser les impacts [de ces activités]. »
Il a d'ailleurs reçu le soutien du chef de l'Assemblée des Premières Nations Québec Labrador (APNQL), Ghislain Picard.
« L'APNQL est d'avis que l'enregistrement, le renouvellement ou le transfert de claims miniers sur les territoires où les Premières Nations revendiquent des droits ancestraux, y compris des titres, peut avoir des effets négatifs sur ceux-ci. »
La juge Marie-Claude Lalande avait rejeté la demande de Québec concernant ses exigences de compléments d’information.
Les droits ancestraux sur les territoires non cédés sont aussi au cœur de cette bataille et cette affaire démontre que s'engager dans la reconnaissance de ces droits est une montagne difficile à franchir pour une communauté plutôt pauvre comme Lac-Barrière.
« Il est complexe, coûteux et énergivore en termes de temps de prouver les titres ancestraux sur des territoires non cédés. La communauté [...] n'a pas les ressources financières [...] et le gouvernement du Québec n'a pas non plus émis le souhait de négocier un traité pour reconnaître notre titre. En tant que chef, je dois prioriser les besoins immédiats des membres, dont beaucoup d'entre eux se battent encore pour sécuriser leurs besoins de base comme se nourrir, avoir un travail et une maison », écrivait Casey Ratt dans son affidavit.
Début de la défense de Québec
La dernière heure de cette première journée de procès a été consacrée au début de la plaidoirie du procureur général du Québec.
Toujours aussi expressive, la juge fronce tantôt les sourcils, laisse tantôt apparaître un large sourire sur son visage au fil de la discussion.
« Je sens que je vais avoir quelques maux de tête », lâche à un certain moment la juge, qui a passé toute la fin de semaine à étudier le dossier.
Le procureur du Québec aura trois heures et demie, mardi, pour poursuivre ses arguments, avant que les avocats de SOQUEM livrent leur plaidoirie durant une heure. Finalement, les avocats de Lac-Barrière auront une dernière demi-heure pour offrir leur réplique.
Certaines demandes des Anishnabeg de Lac-Barrière :
- Que le Québec soit obligé de consulter et d’accommoder Lac-Barrière dès qu’une entreprise souhaite acheter un claim minier.
- Que le Québec soit obligé d’aviser, de consulter et d’accommoder Lac-Barrière avant d’autoriser toute exploration minière dans la région.
- Que les claims miniers détenus par SOQUEM demeurent suspendus jusqu’à ce que les deux parties se mettent d’accord. Ces derniers le sont depuis 2017 en lien avec le transfert de ces claims de Copper One à SOQUEM.
- Que le Québec consulte et accommode Lac-Barrière avant tout enregistrement, renouvellement ou transfert de claims miniers.