Avez-vous acheté à vos risques et périls?
Maude Gaulin
2024-08-01 11:15:19
Une récente décision de la Cour d’appel est revenue sur l’impact d’un achat « aux risques et périls »…
Dans une décision récente, Tremblay c. Immeubles Perron Ltée, 2024 QCCA 719, la Cour d’appel souligne les étonnants impacts d’un achat « aux risques et périls ».
Faits
Une série de transactions immobilières ont mis la table à l’analyse des garanties successives. En mars 2003, Immeubles Perron vend des parties d’un lot à Régis, Marjolaine et Gercom. En mars 2004, Régis et Gercom vendent leurs parts à Marjolaine. Ces deux ventes sont faites avec garantie légale.
En juillet 2007, Marjolaine vend le lot à Régis sans garantie, dans l’état où il se trouve, mais sans aller jusqu’à prévoir qu’il le prend « à ses risques et périls ». En septembre 2015, Régis vend le lot au couple Danny et Émilie qui y construisent leur résidence.
Ces derniers veulent vendre leur résidence quatre ans plus tard, mais ils apprennent alors qu’une partie du lot avait été acquise par l’Administration portuaire du Saguenay en 1969. Cette acquisition n’a été publiée à l’index des immeubles qu’en 2006, bien qu’un avis d’expropriation aurait été préalablement publié à l’index des noms en février 1969. Danny et Émilie contestent alors l’expropriation, mais sans succès.
Danny et Émilie vont donc poursuivre Régis en annulation de vente et en dommages-intérêts, en raison du vice de titre affectant le lot. Régis va à son tour déposer un appel en garantie contre, notamment, Immeubles Perron, à titre de propriétaire antérieur du lot. Immeubles Perron conteste alléguant l’abus et l’absence de fondement juridique car la chaîne de garantie aurait été interrompue en 2007, lorsque Marjolaine a cédé le lot à Régis, sans garantie légale.
Régis allègue, quant à lui, que son recours contre Immeubles Perron est basé sur la vente intervenue entre Marjolaine et Immeubles Perron en mars 2003, vente qui a été faite avec la garantie légale. Il allègue par ailleurs que Marjolaine connaissait le vice de titre, et qu’elle avait omis de lui divulguer alors qu’elle en avait l’obligation.
La décision
La Cour d’appel doit donc déterminer si le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il a rejeté le recours en garantie de Régis contre Immeubles Perron. La Cour souligne tout d’abord que la conclusion du juge de première instance, selon laquelle la clause 9 du contrat de cession s’applique autant à la garantie de qualité qu’à la garantie de titre, n’est pas contestée en appel.
Ensuite, la Cour analyse l’article 1733 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. »), lequel prévoit qu’un vendeur ne peut pas exclure ou limiter sa responsabilité s’il n’a pas révélé les vices qu’il connaissait ou ne pouvait ignorer, sauf si l’acheteur achète à ses risques et périls d’un vendeur non professionnel.
Ainsi, si la vente, par un vendeur non professionnel, est faite aux risques et périls de l’acheteur, le vendeur est alors libéré, même s’il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice, qu’il soit de qualité ou de titre, et qu’il ne l’a pas dénoncé. Donc l’acheteur qui renonce à toute garantie, reconnaît et accepte les risques qui se rattachent à cette situation, et ne pourra pas invoquer un vice de consentement, sauf en cas de dol.
Par conséquent une clause d’exclusion contenue dans un contrat, comme celle en l’espèce, vient rompre la chaîne de garantie, et empêche un acheteur subséquent de poursuivre les autres vendeurs sur la base d’un vice dans les titres. Il s’agit de la première condition qui doit être remplie pour que le vendeur non professionnel soit libéré selon l’article 1733 C.c.Q.
La Cour d’appel souligne qu’une deuxième condition doit être remplie pour qu’il y ait libération du vendeur. Il s’agit de la déclaration par l’acheteur que l’achat est fait « à ses risques et périls ». Cependant, cette déclaration peut être expresse ou tacite. Dans tous les cas, elle doit être claire et ne peut pas être équivoque.
Dans la mesure où Immeubles Perron n’était pas au courant du vice, l’article 1733 C.c.Q ne s’applique donc pas, et la renonciation à la garantie faite par Régis dans le cadre de l’acte de cession convenu avec Marjolaine continue de produire ses effets libératoires à l’égard des autres vendeurs de la chaîne.
Morale de l’histoire
Il faut donc agir avec grande prudence vu l’impact d’accepter d’acheter un immeuble « aux risques et périls ». Cet impact est beaucoup plus large que les simples vices de qualité et les répercussions peuvent être importantes dans les cas où l’on achète un terrain pour y construire un immeuble.
À propos de l’auteure
Maude Gaulin est avocate au sein du groupe de Droit des assurances chez RSS. Sa pratique est orientée vers le litige civil, principalement en matière de droit de la construction, et de la responsabilité civile contractuelle et extracontractuelle.