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Demande de brevet – limites de vitesse variables

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Benoit Yelle

2023-01-11 11:15:00

Voici plusieurs raisons pour ralentir et pour accélérer en matière de demande de brevet…
Benoit Yelle, l’auteur de cet article. Source: Lavery
Benoit Yelle, l’auteur de cet article. Source: Lavery
Partie 1 : Pourquoi ralentir et pourquoi accélérer?

Ralentir

Pourquoi voudrait-on ralentir la procédure alors qu’il faut déjà généralement plusieurs années pour qu’un brevet soit délivré?
  • Flux de trésorerie

  • Incertitude pour les compétiteurs

  • Possibilité de modifier la portée

  • Possibilité de déposer une demande divisionnaire

  • Dans certains cas, les flux de trésorerie peuvent favoriser l’étalement des dépenses sur une plus longue période. Conserver une demande en instance plus longtemps peut également représenter un avantage commercial.

    En effet, cela peut créer une incertitude pour les concurrents, qui ne peuvent pas déterminer facilement la portée du droit exclusif qui pourrait vous être accordé. D’autre part, tant que la demande est en instance, il est plus facile de modifier les revendications.

    De plus, il est généralement uniquement possible de déposer une demande divisionnaire lorsque la demande de brevet parent est toujours en instance.

    Accélérer

    Si c’est si intéressant de ralentir la poursuite, alors pourquoi devrais-je l’accélérer?
  • Démonstration de brevetabilité pour étendre la famille de demandes de brevet

  • Valorisation monétaire ou levée de capitaux

  • Procédure devant les tribunaux

  • Position de force en négociations

  • À la suite du dépôt de la demande prioritaire, le demandeur dispose de 12 mois pour déposer des demandes correspondantes dans d’autres pays. Les dépôts à l’étranger peuvent représenter des dépenses considérables.

    Par conséquent, il peut être avantageux d’obtenir rapidement des résultats afin de prendre la meilleure décision quant au dépôt de demandes dans d’autres pays. Un brevet délivré cristallise de façon beaucoup plus évidente la valeur d’une technologie. Cette cristallisation peut affecter substantiellement la valorisation de l’entreprise et, en parallèle, permettre de lever des capitaux supplémentaires.

    Par ailleurs, le dépôt d’une demande de brevet ne vous permet pas d’empêcher les contrefacteurs de mettre en marché votre technologie – seul un brevet délivré vous permet de vous adresser aux tribunaux à cet égard.

    Cette possibilité d’engager des poursuites peut changer drastiquement la teneur de négociations avec vos compétiteurs – et parfois vos fournisseurs également.

    Stratégies et coûts

    Il existe des dispositions particulières pour l’accélération et le ralentissement des procédures dans beaucoup de territoires. Aux fins du présent exercice, nous discuterons des demandes de brevet au Canada, aux États-Unis et en Europe. Nous aborderons également les demandes de brevet international, c’est-à-dire, les demandes PCT.

    Partie 2 : Ralentissement

    Canada

    En ce qui concerne le ralentissement de service, la stratégie la plus simple au Canada est de repousser la date de requête d’examen au maximum. Bien que la disposition ait changé avec les années, l’on dispose maintenant de quatre (4) ans à partir de la date de dépôt canadienne pour demander l’examen.

    Pour une entrée en phase nationale du PCT, le Canada accepte de prolonger le délai habituel de 30 mois, qui peut ainsi atteindre jusqu’à 42 mois sous certaines conditions. En revanche, les dates de requête d’examen et de frais de maintien demeurent les mêmes. Il s’agit donc d’un gain à court terme seulement.

    Pour chaque rapport d’examen (aussi appelé lettre officielle), il est possible de demander une prolongation de délai de deux mois avant que le délai original ne soit expiré. Cette requête doit être accompagnée de la taxe de retard et n’est acceptée que sous certaines conditions.

    L’autre possibilité est de ne pas répondre au rapport d’examen et d’attendre que la demande soit réputée abandonnée. Il est ensuite possible de rétablir la demande en répondant au rapport d’examen et en payant une surtaxe.

    Il est important de noter qu’une demande canadienne pour laquelle une prolongation de délai a été obtenue ou un rétablissement a été effectué ne peut plus faire l’objet d’une accélération de traitement.

    Par ailleurs, pendant qu’une demande est abandonnée, et même si elle est rétablie plus tard, des tiers pourraient obtenir certains droits sur la technologie.

    États-Unis

    Aux États-Unis, il est possible de payer les frais de prolongation de délai pour répondre à un rapport d’examen au moment où une réponse est déposée. Le délai maximum ne peut cependant excéder six (6) mois.

    Il est aussi possible de déposer une requête (ou pétition) pour demander la suspension du délai de réponse à un rapport d’examen (en payant la taxe appropriée, bien entendu). Cette requête n’est acceptable que sous certaines conditions et ne peut excéder six mois.

    De façon similaire, une requête pour différer l’examen de la demande peut être déposée pour retarder l’examen de jusqu’à trois (3) ans après la date de priorité. Il faut, une fois de plus, répondre à certaines conditions et payer une taxe.

    Europe

    Tout comme au Canada, pour chaque rapport d’examen, il est possible de demander une prolongation de délai de deux mois avant que le délai original ne soit expiré. Par contre, contrairement au Canada, il n’y a pas de frais ni de condition pour que cette requête soit acceptée.

    L’autre possibilité est de ne pas répondre au rapport d’examen et de laisser la demande devenir caduque. Il est ensuite possible de rétablir la demande en répondant au rapport d’examen et en payant une surtaxe.

    La règle des dix (10) jours est aussi accessible jusqu’en novembre 2023. Issue d’une époque où les communications se faisaient encore par courrier, la règle prévoit qu’une communication datée est réputée avoir été livrée dix (10) jours après la date du document – le délai s’en trouve donc automatiquement repoussé de dix (10) jours.

    La disparition de cette règle est, somme toute, une bonne chose pour éviter bien des problèmes de communication.

    PCT

    En ce qui concerne le ralentissement de service, la demande PCT en elle-même peut servir à ralentir le processus. En effet, le système de demandes internationales permet de repousser jusqu’à 30 mois à compter de la date de priorité la décision de dépôt international.

    Il s’agit davantage d’un système de réservation de droits que de ralentissement. Malgré tout, autant du point de vue des flux monétaires (ou « cash flow ») que du point de vue de la stratégie de dépôts, la période plus longue pour prendre les décisions peut s’avérer utile.

    Récapitulatif de ralentissement :

    CA :
  • repousser le dépôt de la demande canadienne ou l’entrée en phase nationale;

  • repousser la requête d’examen;

  • demander une prolongation de délai;

  • ne pas répondre et demander ensuite le rétablissement.

  • US :
  • payer les frais de prolongation de délai;

  • faire une requête de suspension d’une action;

  • faire une requête pour différer l’examen.

  • EP :
  • demander une prolongation de délai;

  • utiliser la règle des dix (10) jours;

  • ne pas répondre et payer des frais pour rétablir la demande.

  • PCT :
  • tirer avantage des 30 à 42 mois par pays.


  • Partie 3 : Voie rapide

    Canada

    Bien sûr, la meilleure manière d’accélérer les procédures est de demander l’examen dès que possible et, surtout, de ne pas tarder à répondre aux rapports d’examen reçus.

    Après avoir requis l’examen et avant de recevoir le premier rapport d’examen, il est possible de demander l’accélération du traitement de la demande. Cette requête nécessite que la demande canadienne soit publiée et peut être soumise à plusieurs conditions.

    Un demandeur qui pourrait subir un préjudice dû au délai d’examen peut payer une taxe supplémentaire pour accélérer les procédures. Lorsque la demande de brevet a trait à une technologie dite « verte » ou en lien avec la pandémie de « COVID-19 », aucun préjudice n’est nécessaire et aucune taxe n’est due.

    Il est aussi possible d’accélérer le traitement en utilisant les résultats de la poursuite d’une demande correspondante dans un autre ressort jugé crédible par le bureau canadien (par ex. : Europe, États-Unis, Japon…).

    C’est ce qu’on appelle une requête PPH, de l’anglais « patent prosecution highway ». La traduction par « l’autoroute de traitement des demandes de brevet » est très représentative, mais bien peu utilisée.

    États-Unis

    Pour ceux qui en ont les moyens, il est possible de payer une taxe d’accélération au moment du dépôt de la demande aux États-Unis. L’objectif est alors de conclure l’ensemble de la procédure à l’intérieur de douze (12) mois. La capacité du bureau des États-Unis de répondre à la demande est également prise en compte avant d’accepter la requête.

    Il est aussi possible de demander un traitement spécial pour une demande de brevet lorsque l’état de santé ou l’âge de l’un des inventeurs le permettent. Cette requête peut aussi être faite lorsque la technologie de la demande de brevet est « verte » ou a trait à « l’antiterrorisme ».

    Les États-Unis participent aussi au système PPH et le résultat du traitement d’une demande correspondante dans un autre ressort peut également permettre d’accélérer les procédures.

    Évidemment, il est important de ne pas tarder à répondre aux rapports d’examen reçus, peu importe les moyens choisis.

    Europe

    Le bureau européen accepte les requêtes de type PPH et propose aussi la procédure « PACE » permettant d’accélérer le traitement (la recherche et/ou l’examen) sans taxe ni condition particulière autre que de répondre aux rapports d’examen en temps utile. La capacité du bureau européen de répondre à la demande est également prise en compte.

    PCT

    Effectuer les entrées en phase nationale rapidement (c’est-à-dire, bien avant les 30 mois) permet de procéder plus rapidement à l’examen de fond dans chaque ressort.

    Pendant la phase internationale du PCT, il est possible de tenter de faire avancer la procédure avant d’entrer en phase nationale. Cette procédure de « demande sous le chapitre II du PCT » ne garantit pas un gain de temps, mais peut permettre de devancer certaines questions et donc permettre d’éviter des pertes de temps devant plusieurs examinateurs différents.

    Récapitulatif de l'accélération

    CA :
  • déposer la demande canadienne ou effectuer l’entrée en phase nationale dès que possible;

  • faire la requête d’examen dès que possible;

  • répondre rapidement aux rapports d’examen;

  • demander l’accélération du traitement par : PPH, technologie verte, technologie COVID-19 ou pour préjudice possible.

  • US :
  • payer les frais d’accélération avec le dépôt;

  • demander l’accélération du traitement par PPH; répondre rapidement aux rapports d’examen;

  • faire une requête pour considérer la demande comme étant spéciale (basée sur l’âge ou l’état de santé, la technologie verte ou la technologie antiterroriste).

  • EP :
  • demander l’accès au programme PACE;

  • demander l’accélération du traitement par PPH;

  • répondre rapidement aux rapports d’examen.

  • PCT :
  • entrer en phase nationale le plus rapidement possible;

  • demander l’examen sous le « chapitre II ».


À propos de l’auteur

Me Benoit Yelle est agent de brevets agréé au Canada et aux États-Unis et associé au sein du groupe de propriété intellectuelle de Lavery.

Il accompagne les entreprises dans le développement et la mise en valeur de leur propriété intellectuelle.

Celui-ci identifie les opportunités d'affaires de l'entreprise et établit un plan de protection avec elle. Il est en mesure d'identifier le potentiel de projets d'innovation technologique et d'en maximiser les retombées.

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1 commentaire
  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 2 ans
    En voilà un bon article!
    Informatif, clair, et intéressant même pour ceux qui ne sont pas directement impliqués dans la rédaction de brevet (comme les décideurs et les conseillers d'affaires).

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