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Fausses accusations ou diffamation? La prescription de votre recours en dépend.

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Marianne Paquet

2024-12-02 11:15:29

Marianne Paquet, l'auteure de cet article. Source : LCM
Marianne Paquet, l'auteure de cet article. Source : LCM
Retour sur une décision de la Cour d’appel…

Introduction

Depuis près de 20 ans, la jurisprudence majoritaire de la Cour supérieure du Québec et de la Cour du Québec indique qu’une action en dommages entreprise à la suite d’une fausse plainte criminelle doit être considérée comme fondée sur une atteinte à la réputation, et conséquemment, doit être assujettie au délai de prescription d’un an que fixe l’article 2929 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »).

Toutefois, ce corpus jurisprudentiel n’est pas unanime, et dans certaines décisions, bien que le tribunal conclut à l’existence d’une faute, il ne renvoie pas à la notion de diffamation et considère que la prescription triennale de l’article 2925 C.c.Q. s’applique.

Quel délai de prescription s’applique alors à l’action en dommage entreprise à la suite d’une fausse plainte criminelle?

La Cour d’appel vient éclaircir la question dans la décision Desbiens c. Standish.

L’affaire Desbiens Standish

Dans ce dossier, les demandeurs poursuivent en dommages, en leur nom personnel ainsi qu’à titre de parents et tuteurs de leur garçon « X », les défendeurs à titre de parents et tuteurs de leurs filles mineures respectives, « Y », « Z » et « A », au motif qu’elles ont porté contre X des accusations mensongères d’agression sexuelle pour lesquelles X a été inculpé en mars et avril 2017.

X est acquitté dans les trois dossiers d’agression sexuelle contre Y, Z et A, respectivement le 25 août 2017, le 22 septembre 2017 et le 10 novembre 2017.

Les demandeurs déposent leur poursuite à la fin février 2020. Ils y allèguent que les trois filles mineures des défendeurs « ont induit les policiers et les procureurs de la Couronne en erreur en soumettant des allégations fausses et mal fondées ».

Ils réclament pour eux et pour leur fils des dommages compensatoires pour divers troubles, inconvénients, souffrances et stress ainsi que des dommages punitifs, au nom de leur fils, pour une atteinte dite intentionnelle à ses droits protégés par l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne (« Charte québécoise »), plus spécifiquement à sa dignité.

À la mi-octobre 2021, les défendeurs déposent une demande en irrecevabilité fondée sur l’article 168 al. 2 du Code de procédure civile du Québec, au motif que le recours est prescrit en vertu de l’article 2929 C.c.Q. Selon les défendeurs, l’action intentée est fondée sur une atteinte à la réputation assujettie à la prescription d’un an.

Jugement de première instance sur la demande en irrecevabilité

Les demandeurs allèguent que les fausses plaintes ont entraîné des atteintes à la dignité, l’honneur et la liberté de X, qui se distingueraient d’une atteinte à la réputation. Ils basent leur raisonnement notamment sur l’arrêt Ward qui est venu distinguer la notion de dignité de celle de diffamation.

Le Tribunal de première instance ne retient pas leurs prétentions.

S’appuyant notamment sur les décisions Bourque c. Bellemare, Dumont c. Dumas et Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc. le Tribunal affirme que, bien que les demandeurs allèguent des atteintes aux droits protégés par la Charte québécoise, l’acte fautif allégué, lui, se qualifie d’atteinte à la réputation.

En outre, le Tribunal souligne que « [l]e fait de tenir des propos que l’on sait faux au sujet de quelqu’un de façon à nuire à sa réputation au point d’entraîner une enquête policière, une arrestation et des accusations criminelles constitue un geste fautif qui correspond à de la diffamation ».

L’atteinte à la dignité alléguée par les demandeurs n’est pas non plus, selon le Tribunal, de la nature de celle pouvant être différenciée de la diffamation.

Les demandeurs ayant admis qu’au plus tard le 13 novembre 2017, ils ont appris que X était acquitté dans les trois dossiers criminels, la demande en irrecevabilité est accueillie.

Commentaires sur l’arrêt de la Cour d’appel

Devant la Cour d’appel, la question soulevée est de savoir à quel délai de prescription est soumise l’action des demandeurs, considérant qu’à ce stade de l’instance, les allégations doivent être tenues pour avérées. Pour les fins de cet article, nous traiterons seulement de l’arrêt à la lumière des motifs de l’honorable juge Bich, auxquels a souscrit l’honorable juge Kalichman.

À la suite d’une revue jurisprudentielle, la Cour d’appel constate que la réponse n’est pas limpide dans le cas d’une action comme celle-ci.

Toutefois, en portant un éclairage sur la notion de diffamation, la Cour d’appel vient à la conclusion que l’action intentée par les appelants n’est pas de cette nature, et n’est donc pas prescrite, étant régie par l’article 2925 C.c.Q.

Se basant sur les enseignements de la Cour suprême du Canada en matière de diffamation, la Cour d’appel précise davantage ce qui est visé par l’article 2929 C.c.Q. :

(93) Il en ressort que c’est donc l’atteinte à la réputation découlant de l’exercice de la liberté d’expression ou, plus exactement, de l’exercice fautif de celle-ci, qui définit la diffamation (dans les trois déclinaisons que reconnaît par ailleurs la jurisprudence, à savoir : les propos désagréables qu’une personne tient à l’égard d’autrui tout en les sachant faux; la diffusion que fait une personne de choses désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses; les propos défavorables, mais véridiques qu’une personne médisante tient à l’égard d’autrui). C’est de ce type de diffamation, donnant ouverture à l’action fondée sur une atteinte à la réputation, qu’il est question à l’art. 2929 C.c.Q. et rien dans l’historique législatif de cette disposition (ou de l’art. 2262, paragr. 1 C.c.B.C., son prédécesseur) ne permet de penser qu’il puisse en aller autrement. Bref, l’atteinte à la réputation / defamation au sens de l’art. 2929 C.c.Q. découle d’un usage fautif de la liberté d’expression, la notion de diffamation renvoyant à la faute commise dans un contexte mettant en jeu la liberté et le droit de s’exprimer.

À la lumière de ce constat, elle conclut que dans le cas d’espèce, on ne peut pas parler d’exercice de la liberté d’expression. La conduite dont il est question « dépasse le champ de la liberté d’expression pour entrer dans celui du passage à l’acte et constitue même un méfait public, que prohibe d’ailleurs l’article 140 C.cr.».

Elle ajoute que dans les cas où le préjudice subi se différencie et est indépendant de l’atteinte à la réputation, ladite atteinte doit être considérée comme un préjudice secondaire ou accessoire, rattachée à la commission d’une faute qui ne relève pas à proprement dit de la diffamation.

Par conséquent, considérant que la faute dont il est question en l’espèce porte avant tout atteinte à la liberté protégée par l’article 1 de la Charte québécoise, et bien que la réputation puisse également en être entachée, l’action des appelants est fondée sur un droit assujetti à la prescription triennale de l’article 2925 C.c.Q.

Notons que la Cour supérieure a déjà appliqué différents délais de prescription aux différents dommages réclamés, lorsqu’il était possible de dissocier les différentes atteintes. À ce sujet, la Cour d’appel a certaines réserves en ce que cet exercice nécessite souvent des distinctions artificielles entre ce qui se rattache à l’atteinte à la liberté et ce qui se rattache à l’atteinte à la réputation. Pour cette raison, l’exemple de Fillion c. Chiasson (où l’acte diffamatoire était également attentatoire à la vie privée, et la prescription courte fut écartée), serait à privilégier selon la Cour d’appel. Ce qui sous-entend que dans les cas où le recours n’est pas exclusivement fondé sur une atteinte à la réputation, la prescription courte de l’article 2929 C.c.Q. serait écartée.

Dans le cas à l’étude toutefois, la question ne se pose pas réellement, car les parents de X, personnellement et à titre de parents et tuteurs de X, ne réclament pas de dommages en lien avec une atteinte à leur réputation.

Qu’en est-il dans les matières autres que criminelles?

La juge Bich, dans le cadre de la décision Desbiens c. Standish, précise que ses motifs sont applicables et limités à une situation de plainte malveillante ou déraisonnable auprès d’autorités policières, criminelles ou pénales.

Qu’en est-il alors lorsque de fausses accusations ou dénonciations ont lieu dans un tout autre contexte?

Le 15 octobre dernier, la Cour supérieure s’est appuyée sur la décision de la Cour d’appel et a appliqué le même raisonnement pour des signalements non fondés faits auprès de la Direction de la protection de la jeunesse, et de fausses accusations faites devant le Tribunal dans le cadre d’un dossier de garde d’enfants.

Dans cette affaire, A.P. c. I.S., la défenderesse tentait de faire rejeter le recours du demandeur en alléguant que ce dernier était prescrit en vertu de l’article 2929 C.c.Q. Le Tribunal de première instance a rejeté cet argument. Le Tribunal a conclu que la fausse accusation d’abus sur les enfants faites dans un débat sur la garde constituait une faute similaire à la fausse accusation dans le contexte criminel ou pénal, car cette faute vise également à mettre fallacieusement en mouvement le système de justice au détriment de l’autre parent.

Comme pour Desbiens c. Standish, le Tribunal conclut que l’article 2929 C.c.Q. ne s’applique pas lorsque le fondement du recours est un droit distinct du droit au respect de sa réputation. Dans le cas de A.P. c. I.S., le droit distinct en cause était le droit d’un parent de se voir confier la garde ou des accès auprès de ses enfants.

Conclusion

À la lumière de la décision de la Cour d’appel, la prescription applicable à un recours en dommages résultant de fausses accusations criminelles dépendra du fondement de celui-ci.

Bien que ceci puisse sembler évident de prime abord, il n’est pas rare de confondre ce dernier avec le préjudice qui en découle, surtout lorsqu’il est question d’atteinte à la réputation. En effet, tel qu’illustré par la jurisprudence, l’atteinte à la réputation peut être la conséquence d’une multitude de fautes, et non pas seulement de la diffamation.

Il est donc nécessaire de se demander si l’atteinte à la réputation subie découle d’un usage fautif de la liberté d’expression, donnant ainsi ouverture au régime visé par l’article 2929 C.c.Q. Autrement, la prescription triennale de l’article 2925 C.c.Q. demeure applicable.

Enfin, dans la décision Desbiens c. Standish, dans un obiter partagé par l’ensemble des juges, la Cour d’appel souligne l’obsolescence potentielle de l’article 2929 C.c.Q. et invite le législateur à y réfléchir. Qu’adviendra-t-il de la prescription annuelle?

À propos de l’auteure

Marianne Paquet est avocate chez LCM. Ses domaines d’expertise sont le litige civil et commercial, les actions collectives, le droit de la construction et les disputes entre actionnaires et responsabilité des administrateurs et dirigeants.

La Barreau 2022 détient un baccalauréat en droit de l’Université d’Ottawa.

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