Il faudra clarifier la «protection temporaire» des réfugiés
Michael Barutciski
2022-03-18 11:15:00
Le contexte particulier de l’Ukraine explique la rapidité de l’afflux massif de réfugiés. Les Ukrainiens ont pu fuir à travers des frontières terrestres chez des voisins qui sont impliqués dans la lutte géopolitique contre la Russie et qui ont encouragé l’évacuation de la population civile menacée par l’armée russe. Bien que le drame des réfugiés ukrainiens soit tragique, d’un autre point de vue ils ont au moins la chance d’avoir attiré l’attention et les ressources des Occidentaux. Il y a presque trente millions de réfugiés à travers le monde et la plupart sont oubliés dans des conflits lointains qui n’attirent ni l’un ni l’autre.
Il faut néanmoins être prudent par rapport à l’enthousiasme initial concernant l’accueil de presque trois millions de réfugiés ukrainiens. Cette ouverture ne va pas durer de manière illimitée. Le passé récent en Europe centrale indique que les portes ouvertes mèneront éventuellement à des controverses.
Cette ambivalence explique l’offre européenne d’un statut précaire de protection temporaire qui permettra le rapatriement rapide des Ukrainiens. Il s’agit de la formalisation d’un concept développé pendant la crise de l’ex-Yougoslavie. L’idée serait que les réfugiés rentreront chez eux dès la cessation des hostilités. Dans la mesure où il est difficile d’imaginer une occupation russe durable, la priorité selon cette approche est de garder les réfugiés dans la région (Pologne, Hongrie, Slovaquie, Roumanie, Moldavie) afin de faciliter le rapatriement. Les autres pays européens ont un rôle à jouer en allégeant le fardeau des pays en première ligne.
Quel serait un rôle approprié pour le Canada dans ce contexte ? Pour l’instant, les visas temporaires émis de façon prioritaire et un assouplissement des règles de regroupement familial semblent être les caractéristiques principales de la réponse canadienne. Cependant, la forme de protection temporaire proposée par le gouvernement Trudeau ne sera pas facile à mettre en œuvre, car elle s’oppose à la tradition canadienne d’octroi de la résidence permanente. Jusqu’à présent, les autorités préféraient intégrer de façon permanente les réfugiés après quelques années de protection, car le rapatriement n’est pas forcément dans l’intérêt d’un pays d’immigration.
Bien que certains Ukrainiens voudront rentrer chez eux, il y en a sans doute beaucoup qui préféreront commencer une nouvelle vie dans un pays qui accueille les immigrants avec générosité. La question de transition à l’immigration permanente sera inévitable compte tenu du plan d’immigration massive déjà prévu par le gouvernement Trudeau pour les prochaines années et l’influence considérable de la diaspora ukrainienne. Comme le gouvernement affirme qu’un nombre illimité de visas seront délivrés, il devrait clarifier ce qui arrivera aux Ukrainiens lors de l’expiration du permis temporaire après deux ans.
De plus, la réception d’un nombre important d’Ukrainiens affectera potentiellement les candidats à l’immigration provenant d’autres pays. Il faut toujours être transparent avec une population d’accueil quand il s’agit de sujets sensibles affectant sa démographie.
Michael Barutciski est juriste et professeur au campus Glendon de l’Université York. Il a donné des séminaires sur la protection des réfugiés à l’Académie navale de Gdynia (Pologne) et rédigé des rapports sur les flux de réfugiés de l’ex-Yougoslavie pour l’ONU et le gouvernement britannique. Il est aussi rédacteur adjoint du magazine Global Brief.
Ce texte est d’abord paru au ''Le Devoir'', le 16 mars 2022.