Il faut sauver les PPP

Amélia Salehabadi
2009-03-24 09:00:00
Lettre ouverte à madame la ministre Jérôme-Forget
Ministre des Finances du Québec
Madame la ministre, Je me permets de vous écrire publiquement ces quelques mots, connaissant votre véritable passion pour les PPP, passion que nous avons en commun.
Comme vous, je suis une grande adapte des PPP. Je m’intéresse depuis presque vingt ans à leur évolution et depuis plusieurs années, je consacre mon temps libre à la recherche sur les PPP, à l’échelle internationale.
L’amateurisme du Québec en la matière, alors que de grandes sociétés de la Belle Province sont reconnues pour leur expertise légendaire et avant-gardiste sur le sujet partout ailleurs dans le monde, me désole profondément.
En effet, la façon de gérer les PPP au Québec, est une catastrophe annoncée qui risque d’entacher à jamais la viabilité de ces derniers dans la province.
Pourquoi? Car avant tout, ce ne sont pas de véritables PPP mais plutôt une parodie de PPP. Pour faire plaisir au plus grand nombre, le gouvernement fait d’importantes concessions sur l’essence même des éléments qui devraient rendre les PPP crédibles et surtout utiles aux yeux de tous.
Les éléments fondamentaux d’un PPP sont et demeurent en premier lieu, la transparence totale du projet sur toutes ses phases afin de garantir une impartialité totale et, en second lieu, les risques financiers, calendaires et techniques assumés, en très grande partie, par le privé.
Or, actuellement, le Québec est hors compétition sur ces points essentiels. Il est urgent soit de repenser en profondeur les PPP, soit d’y renoncer pour le moment, le temps d’y mettre l’ordre et la rigueur nécessaires.
A la question d’un client qui me demanderait s’il serait opportun pour lui de participer actuellement à un projet de PPP au Québec, je l’en dissuaderais probablement. Pourquoi ?
Car les risques de retard et d’abandon du projet sont élevés, que l’Agence des PPP manque de crédibilité, d’indépendance, de moyens et d’impartialité, du moins en apparence. Que la sélection et le traitement des experts et des soumissionnaires et ultimement, des gagnants, ne participent pas à un processus transparent. Qu’une épée de Damoclès est dès lors en permanence, suspendue au-dessus des parties impliquées dans les PPP. En revanche, j’encouragerais mon client intéressé par les PPP à regarder ailleurs au pays, comme par exemple en Ontario, en Colombie-Britannique ou au fédéral. Je lui proposerais même de se pencher sur des projets australiens ou espagnols, dont les pouvoirs publics maîtrisent bien les rouages des PPP.
En dehors des cabinets d’avocats et d’experts financiers, des maisons de sondages et des firmes de relations publiques pour qui ils sont une excellente source de revenus, les PPP au Québec ne servent strictement à rien. Pire, ils desservent leur propre cause en faisant un ombrage certain à leur viabilité future dans la province.
Je ne peux que déplorer cette situation car il est temps, pour le Québec, de profiter de l’expertise des siens, tel que les Bombardier et les SNC-Lavalin de ce monde. De ravir une place de choix en développant des PPP dans des secteurs de pointe et innovateurs tel que le domaine des spectacles, de l’art ou du sport.
Même si cela peut paraître insolent puisque je me permets de vous écrire cette lettre ouverte, je termine cette lettre avec quelques exemples de ce qui pourrait se faire pour redresser la barre des PPP au Québec.
1. Une définition claire
- Clarifier, au sein même du gouvernement, ce qu’est un PPP. Un PPP est un contrat commercial de partenariat (ou de joint venture) entre le public et le privé. Ce n’est ni une privatisation, ni un sous-contrat de services (contrat d’approvisionnement classique). Les parties conviennent contractuellement de la durée optimale du contrat qui n’est pas obligatoirement de 25 ou 30 ans. Cela peut être plus ou moins. Le contrat n’est pas réservé uniquement à des parties ou à des entités nationales, mais également internationales puisque les sociétés québécoises répondent aussi à de nombreux appels d’offres à l’international.
2. Un nom
- Le nom de PPP devrait être repensé, car les termes partenariat public-privé soulèvent un faux débat. Le débat ne devrait pas porter sur la collaboration entre le privé et le public, puisqu’elle existe depuis la nuit des temps, mais plutôt sur la substance même d’un PPP. Un nom technique qui décrit davantage le modus operandi de l’objet. Comme par exemple: COT : Construire, Opérer et Transférer, COMT : Construire, Opérer, Maintenir ou Transformer (traduction libre de DBOM qui fut un temps le terme privilégié de ce genre de contrat).
3. Agence des PPP
- Donner une crédibilité, une légitimité, une efficacité et une sophistication dignes des autres agences de PPP à travers le monde.
- Tout d’abord, l’Agence devrait devenir une entité corporative étatique indépendante, avec de vraies responsabilités et de véritables pouvoirs, comme ailleurs au pays ou à l’international. Une société étatique qui aurait ses fonds propres et qui, dans un avenir très rapproché, serait financièrement indépendante du gouvernement.
- Le conseil d’administration devrait être totalement repensé. Les membres du conseil devraient être indépendants et provenir aussi bien de l’État, du privé et des syndicats. Les membres du conseil devraient avoir une véritable expérience sur le terrain des PPP et une certaine sophistication en la matière sur la scène internationale, puisque cette réalité est toute nouvelle au Québec. Avoir des experts dans les domaines où des PPP sont envisagés serait également souhaitable : la santé, l’éducation, les arts, les infrastructures et le transport. Des règles de gouvernance strictes devraient être adoptées et respectées.
- Le Président du Conseil devrait être indépendant et sa nomination devrait se faire selon un processus transparent et clairement établi.
- La nomination du Président de l’Agence ne devrait pas être politique, voire partisane, mais elle devrait être basée sur le mérite et la capacité à faire face à la fois aux pressions étatiques et aux lobbyings du privé. Il faudrait un processus de sélection rigoureux et transparent, sur concours, pour un contrat de 3 ans renouvelable une seule fois. Le Président devrait être redevable des performances économiques de l’Agence.
- Pour éviter tout conflit d’intérêt, l’Agence ne devrait pas faire appel à des collaborateurs externes pour l’exécution de son travail. En effet, on ne parlerait plus alors de public-privé mais plutôt seulement de privé-privé. Ne pas faire appel au privé pour faire son travail (cabinet d’avocats qui rédigent les appels d’offres puis qui représentent des clients répondant aux appels d’offre, les cabinets d’experts comptables) et pour cela, l’Agence devrait bénéficier d’un budget en conséquence. Il devrait y avoir un réel département juridique afin de garantir l’absence de conflits d’intérêt et de minimiser les coûts. La même chose s’appliquerait aux experts fiscaux et financiers. Pendant la période durant laquelle l’Agence ne pourrait faire assumer ses missions à l’interne, il devrait y avoir un moratoire sur ces activités.
- Cette Agence n’aurait pas de parti pris. Elle ne serait pas membre d’association dirigée par le privé, devrait s’assurer d’une neutralité à toute épreuve et faire preuve d’impartialité lorsqu’elle participe à des forums, à des associations ou à des conférences et ainsi éviter tout conflit d’intérêt.
4. La transparence
- Vraie et totale transparence. Les soumissions devraient, dès le début, être déposées en ligne et communiqués en temps réels.
- Le Vérificateur général ne devrait être ni nommé, ni payé par l’Agence.
- Il devrait y avoir une disqualification immédiate en cas de transgression directe aux règles de forme ou de fond.
- Il ne devrait pas y avoir de paiement pour la préparation des soumissions. Si personne ne soumissionne, c’est que le projet n’est pas intéressant, commercialement parlant et qu’il faut passer à autre chose.
Je vous remercie de votre attention et demeure, bien entendu, à votre entière disposition pour approfondir davantage cette réflexion sur les PPP au Québec.
Veuillez agréer, madame la ministre, l’expression de mes salutations distinguées.
Amélia Salehabadi