L’affaire Pascale Nadeau : rectification des faits
Charles Tremblay Potvin
2022-02-11 11:15:00
Dans trois articles, un publié par Radio-Canada, un par ''Le Devoir'' et l’autre par ''La Presse'', on affirme que l’arbitre Allard aurait conclu qu’en l’espèce, la preuve démontre qu’il n’y a pas eu de congédiement déguisé. Autrement dit, l’arbitre aurait statué que le départ de Mme Nadeau était volontaire. Or, cette lecture de la décision est erronée.
La décision de l’arbitre
Reprenons succinctement les éléments pertinents de la décision. Le délai prévu à la convention collective pour déposer un grief est de 30 jours à partir du moment où la partie a eu connaissance de l’incident à l’origine du litige. Ce n’est que le 25 août 2021 que Mme Nadeau et son syndicat ont déposé une demande alléguant l’existence d’un congédiement déguisé. L’objet du litige, en l’espèce, est le caractère «forcé» ou «volontaire» du départ à la retraite de Mme Nadeau. Dans ce contexte, il y a deux scénarios qui auraient permis de conclure que le grief sur cette question n’est pas prescrit.
Premièrement, le syndicat allègue que l’incident qui aurait poussé Mme Nadeau à prendre sa retraite contre son gré découle de la suspension disciplinaire qui lui a été imposée le 17 février 2021 à la suite d’une enquête interne. Le grief contestant cette suspension a été déposé le 25 février. Or, à cette date, Mme Nadeau n’avait pas encore annoncé son départ à la retraite à son employeur. L’arbitre ne conclut pas que son départ a été volontaire, mais que le désaccord entre les parties au regard de son caractère volontaire ou forcé n’a pu naître qu’après le grief du 25 février. Il s’agit donc selon lui de deux questions distinctes et non du même grief qu’il suffisait d’amender pour respecter le délai de prescription.
Deuxièmement, le syndicat prétend que le congédiement déguisé découle en fait d’une série d’actes de la part de l’employeur ayant commencé par l’enquête interne et culminé avec le communiqué de Radio-Canada du 5 août 2021 qui a rendu public le départ à la retraite de Mme Nadeau. Le délai de prescription aurait donc commencé à courir à partir de cette date et ne serait pas expiré. Or, cette prétention est aussi rejetée par l’arbitre, puisque la correspondance entre Mme Nadeau et ses supérieurs intervenue les 8 et 9 juillet 2021 démontre qu’il était clair à ce moment que les parties ne s’entendaient pas sur la nature et la cause du départ à la retraite. Les faits survenus après cette date n’ont rien changé à cette situation selon Me Allard. Le délai de prescription au regard de ce grief distinct en congédiement déguisé a donc commencé à courir le 8 juillet et était dès lors expiré au moment du dépôt de la demande le 25 août.
Ambiguïté
À la décharge de ceux qui ont affirmé que l’arbitre a bel et bien conclu au caractère volontaire du départ à la retraite de Mme Nadeau, il faut dire que la décision contient plusieurs passages qui peuvent laisser croire que c’est le cas. Cependant, au regard de ce qui précède, il faut comprendre que ces passages visent uniquement à déterminer si l’amendement proposé découle du litige principal et à quel moment le désaccord entre les parties sur la nature et la cause du départ à la retraite de Mme Nadeau est né, car c’est à partir de cette date que le délai de prescription commence à courir.
En effet, l’arbitre Allard ne pouvait ni ne devait se prononcer sur le mérite de cette question, puisque sa décision est de nature préliminaire et porte uniquement sur une question de procédure.
Il faudra donc attendre la décision de l’arbitre sur le fond pour savoir si, à la lumière de la preuve et du droit, la suspension disciplinaire imposée à Mme Nadeau par Radio-Canada en février 2021 était légale. Au présent stade, nous ne pouvons que spéculer sur les chances de succès d’un grief à l’encontre d’un congédiement déguisé qui aurait été déposé à l’intérieur du délai de prescription.
Charles Tremblay Potvin est professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval. Il a consacré ses études doctorales à l’étude des conflits de travail qui ont traversé les entreprises médiatiques québécoises au cours des dernières décennies.