Opinions

Le refus de l’employeur de respecter les obligations de la LSST ne peut être préjudiciable à la travailleuse enceinte

Main image

Mylène Lafrenière Abel

2024-09-17 11:15:35

Mylène Lafrenière Abel, l'auteure de cet article. Source : RBD
Mylène Lafrenière Abel, l'auteure de cet article. Source : RBD
Focus sur une récente décision impliquant la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST)...

Dans la décision Nieni et Madessa Professionnel inc., 2024 QCTAT 2789, 2 août 2024 (j. a. Danielle Tremblay), la travailleuse est au service de l’employeur, une agence de placement, depuis 2019. Lorsqu’elle apprend être enceinte, elle est affectée depuis plusieurs moins à titre de préparatrice de commandes chez un client de son employeur, un manufacturier de vêtements et d’accessoires de mode.

Elle remet à l’employeur, le 15 octobre 2021, un certificat médical attestant des dangers physiques pour elle, en raison de son état de grossesse ou encore pour son enfant à naître. Or, l’employeur ne considère pas comme nécessaire de modifier en tout ou en partie son assignation et il ne l’autorise pas non plus à cesser de travailler. Le 21 octobre 2021, après sa journée de travail, la travailleuse se rend à l’urgence de l’hôpital en raison de saignements. On lui recommande de cesser de travailler, jusqu’à l’accouchement, en raison d’une menace de fausse couche. Elle présente une demande à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) afin de bénéficier du Programme Pour une maternité sans danger (ci-après, le « Programme »). L’accès au Programme lui est refusé.

Rappelons que pour se prévaloir de ce Programme, la travailleuse doit démontrer de façon prépondérante : 1) être enceinte; 2) être une travailleuse au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST); 3) avoir remis à l’employeur un certificat médical qui atteste que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour l’enfant à naître ou pour elle-même à cause de son état de grossesse; 4) être médicalement apte au travail et 5) être disponible pour une affectation ne comportant pas de danger.

Selon l’employeur, il n’était pas tenu de réaffecter la travailleuse à d’autres tâches, puisque son affectation régulière était sécuritaire. Il prétend également que la travailleuse ne peut pas bénéficier des avantages du Programme, puisqu’elle devient inapte au travail après le 21 octobre 2021. Puisqu’elle ne peut plus offrir sa prestation de travail, elle n’est plus susceptible d’être exposée aux dangers étayés sur le certificat médical.

D’abord, le Tribunal conclut qu’au moment de la remise du certificat médical à l’employeur, le 15 octobre 2021, la travailleuse respectait tous les critères d’admissibilité du Programme. Après avoir soupesé les témoignages de la travailleuse et celui de la directrice générale de l’employeur, le Tribunal détermine que les dangers étayés sur le certificat médical étaient bel et bien présents dans le milieu de travail. La travailleuse était susceptible d’avoir à manipuler des poids excédant la limite de 15 kg et d’être en position debout pendant plus de six heures. L’employeur était dans l’obligation d’offrir immédiatement à la travailleuse une réaffectation à d’autres tâches sécuritaires ou à tout le moins, de l’autoriser à s’absenter du travail.

Ensuite, le Tribunal conclut que la travailleuse doit demeurer admissible au Programme, après le 21 octobre 2021, en dépit de l’arrêt de travail recommandé par son médecin, puisque cette circonstance résulte d’une situation illégale. La juge administrative rappelle que le Tribunal doit s’assurer du maintien des conditions d’ouverture durant toute la période où le droit est exercé. Pour cette raison, lorsqu’une condition personnelle affecte l’aptitude au travail ou lors d’une fin d’emploi ou de la fermeture d’un établissement, on ne peut que constater que la travailleuse enceinte n’est plus en mesure d’effectuer sa prestation de travail. Cela emporte la fin du versement des indemnités de remplacement du revenu, puisque la travailleuse n’est plus susceptible d’être exposée aux dangers attestés sur le certificat médical.

Comme le souligne le Tribunal, des exceptions à ce principe ont déjà été reconnues par la jurisprudence. Notamment, le maintien des conditions d’ouverture sera reconnu lorsque la fin d’emploi survenue durant la grossesse découle d’un congédiement illégal. Les Cours supérieures invitent le Tribunal à interpréter les dispositions et principes afférents au Programme de manière large et libérale de manière à assurer l’accomplissement de son objectif de prévention souhaité par le législateur[1]. Elles mettent en garde le Tribunal « à l’encontre de l’effet discriminatoire que l’application trop rigide ou littérale du principe de maintien des conditions d’admissibilité du Programme, tout le long du retrait préventif, peut susciter, dans certaines circonstances »[2].

En l’espèce, l’application du principe de maintien des critères d’admissibilité aurait pour effet de priver la travailleuse de son droit à une sécurité financière alors que le danger était pourtant présent dans son milieu de travail et qu’il s’est matérialisé, en affectant l’état de santé de la travailleuse enceinte. Selon le Tribunal, il serait absurde de refuser l’admissibilité de la travailleuse au Programme, alors que l’objectif poursuivi par la Loi est justement celui d’éviter que son état de santé soit affecté en raison de l’exposition aux dangers étayés sur le certificat médical[3]. Ici, l’employeur l’a placée devant une impasse: « choisir entre son emploi, sa sécurité financière, sa santé et sa sécurité, de même que celle de son enfant à naître »[4]. En plus de contrevenir à ses obligations, l’employeur a empêché la mise en œuvre du Programme et ce manquement ne doit être préjudiciable à la travailleuse.

La contestation de la travailleuse est donc accueillie.

(1) Nieni et Madessa Professionnel inc., 2024 QCTAT 2789, par. 128.

(2) Id., par. 134.

(3) Id., par. 157.

(4) Id., par. 158.

À propos de l’auteure

Mylène Lafrenière Abel est avocate coordonnatrice de l’information juridique chez RBD. Membre du Barreau du Québec depuis janvier 2018, Me Lafrenière Abel est titulaire d’un baccalauréat en philosophie de l’Université de Montréal, d’un baccalauréat en droit et d’une maîtrise en droit de l’Université du Québec à Montréal.

661
Publier un nouveau commentaire
Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires