Lettre aux victimes de violence conjugale

Louis Frédéric Prévost
2016-04-11 11:15:00

Un procureur en fonction ne peut habituellement pas livrer son opinion dans les médias. J’aimerais profiter de ma situation actuelle pour livrer mon point de vue personnel qui, je l’espère, saura rassurer les sceptiques.
Contrairement à la majorité des dossiers soumis à la cour par la poursuite, un dossier de violence conjugale est habituellement constitué, de par sa nature même, du seul témoignage de la victime.
Même si parfois les enfants ou d’autres membres de la famille sont témoins de certains faits, la victime préfère souvent les laisser en dehors du procès, et on la comprend. Le procès repose donc la plupart du temps sur des versions contradictoires qui, j’en conviens, mettent sur les épaules de la victime une immense pression.
À la suite de l’acquittement de M. Ghomeshi, des voix se sont élevées contre le système de justice qui serait totalement inadapté pour traiter ce genre de dossier. Selon certains, ce serait la faute d’un système patriarcal conçu pour rehausser la crédibilité des hommes au détriment de celle des femmes. Selon d’autres, le fardeau de la preuve serait beaucoup trop élevé pour les victimes, fragiles et traumatisées, qui se contrediront nécessairement en plus d’être humiliées publiquement par l’avocat de la défense. Avec un tel système, entend-on, pas surprenant que les victimes hésitent à porter plainte.
De nombreuses rencontres
Même s’il est vrai que l’expérience d’un procès peut avoir son lot de difficultés émotives, je vous assure avec un immense degré de certitude que les victimes ne sont pas laissées pour compte dans le système de justice, bien au contraire. À Montréal, c’est une équipe d’environ 11 procureurs qui se penchent strictement sur les cas de violence conjugale.
Les victimes sont rencontrées à plusieurs reprises avant le procès, non seulement par le procureur, mais aussi par des travailleuses sociales dévouées et expérimentées qui passent de longues heures auprès des victimes à absorber l’horreur qu’elles vivent, partager leur peine, les rassurer et les informer sur tous les aspects d’un procès.
Le procureur peut rencontrer trois, quatre, voire cinq fois une victime avant d’aller de l’avant avec un procès, provoquant des délais de plusieurs années pour l’accusé. Le système tolère les délais occasionnés par ces rencontres pour s’assurer que les victimes se présentent au procès prêtes, rassurées, fortes et la tête haute.
Durant ces rencontres, le procureur aborde des sujets sensibles, confronte parfois les victimes, mais surtout, il les rassure sur le comportement qu’elles ont eu durant la période délictuelle. Cette honte qu’elles ressentent d’avoir repris contact avec leur agresseur, le procureur prend le temps de la rationaliser, de la normaliser. On leur explique que la défense en fera peut-être ses choux gras, mais que le juge verra qui dit la vérité si elle ne tente pas de cacher quoi que ce soit.
Les juges savent qu’une victime tentera de reprendre contact avec son conjoint agressif, si ce n’est que pour la question des enfants ou le partage des biens. Bien sûr, les victimes pardonnent, donnent de nombreuses deuxièmes chances, oublient et craignent. Lorsque le procureur convainc la victime de livrer la vérité sans artifice ni demi-vérité, le juge risque fort bien de n’avoir aucun doute raisonnable.
Des succès passés sous silence
Est-ce que le système peut faire mieux ? Est-ce que le contact rigide avec les policiers ou les procureurs dans des locaux ternes et sans vie où on se sent probablement davantage comme un numéro que comme une victime pourrait prendre une tournure plus humaine ? Assurément. Mais le système a aussi son lot de succès qui, eux, ne font que trop rarement la une. Des petites victoires discrètes ici et là se gagnent chaque jour. Des gens totalement dévoués accompagnent les victimes et allègent autant que possible leurs souffrances. Ces dossiers, ils se comptent par milliers.
À toutes les victimes de violence conjugale et d’agression sexuelle, je vous dis : ne vous laissez pas démonter par un échec juridique à Toronto. Le procès aurait tout à fait pu prendre une autre tournure si les victimes s’étaient totalement dévoilées.
Bombez le torse, laissez une chance au procureur que vous rencontrerez. Faites-lui confiance. Ne lui cachez rien. Il ne demande qu’à vous aider, sans jugement, ni arrière-pensées. Après tout, s’il a déposé des accusations, c’est qu’il vous croit. Le résultat ne sera jamais garanti, mais l’effort sans compromis, lui, sera au rendez-vous.
Anonyme
il y a 9 ansTrès bien dit!