Mesures de prévention et d’atténuation des risques relatifs au travail forcé ou au travail des enfants
Josiane L'heureux, André Vautour, Pamela Cifola Et Sofia Khan
2024-08-02 11:15:32
Quid de la Loi sur la luttre contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement?
Le 11 mai 2023, la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement, L.C. 2023, ch. 9 (la « Loi ») a été adoptée. La Loi a pour objet de mettre en œuvre les engagements internationaux du Canada en matière de lutte contre le travail forcé et le travail des enfants et vise à obliger certaines entités à faire rapport sur les mesures qu’elles ont prises afin de réduire l’utilisation du travail forcé ainsi que le travail des enfants.
La Loi est entrée en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2024 et les entités déclarantes, ainsi que les institutions fédérales, devaient déposer leur premier rapport conformément à la Loi le 31 mai 2024. Sécurité publique Canada (le « Gouvernement ») a également publié des lignes directrices pour les entités qui doivent soumettre un rapport.
Champ d’application de la Loi
La Loi s’applique aux institutions fédérales ainsi qu’à toute personne morale ou société de personnes, fiducie ou autre organisation non constituée en personne morale (i) dont les actions ou titres de participation sont inscrits à une bourse de valeurs canadienne ou (ii) qui a un établissement au Canada, y exerce des activités ou y possède des actifs et qui, selon ses états financiers consolidés, remplit au moins deux des conditions ci-après pour au moins un de ses deux derniers exercices :
a) elle possède des actifs d’une valeur d’au moins 20 000 000 $;
b) elle a généré des revenus d’au moins 40 000 000 $;
c) elle emploie en moyenne au moins 250 employés. Ou bien (iii) qui est désignée par règlement
(collectivement les « entités »).
L’obligation de faire rapport s’applique à toute entité qui, selon le cas,
a) produit, vend ou distribue des marchandises, au Canada ou ailleurs, b) importe au Canada des marchandises produites à l’extérieur du Canada ou c) contrôle l’entité qui se livre à l’une de ces activités.
Les entités sont considérées comme exerçant des activités au Canada si elles y produisent, y vendent ou y distribuent des biens. Les entités peuvent également être considérées comme exerçant des activités au Canada si elles y ont des employés, y effectuent des livraisons, des achats ou des paiements, ou encore si elles possèdent des comptes bancaires dans le pays.
Il est important de souligner que faire affaire au Canada n’exige pas d’y avoir un établissement.
Qu’est-ce que le travail forcé et le travail des enfants?
Au sens de la Loi , le travail des enfants se définit comme le travail fourni par des mineurs et qui, selon le cas, (i) est fourni ou offert au Canada dans des circonstances qui sont contraires au droit applicable au Canada, (ii) est fourni ou offert dans des circonstances qui leur sont physiquement, socialement ou moralement dangereuses, (iii) interfère avec leur scolarité ou (iv) constitue les pires formes de travail des enfants au sens de l’article 3 de la Convention sur les pires formes de travail des enfants1.
Le travail forcé est le travail fourni par une personne (i) soit dans des circonstances où il serait raisonnable de croire que sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît serait compromise si elle ne fournissait pas son travail, (ii) soit dans des circonstances qui constituent du travail forcé ou obligatoire au sens de la Convention sur le travail forcé2.
Obligation de faire rapport – entités déclarantes L’entité qui doit faire rapport annuellement au Gouvernement aux termes de la Loi doit fournir dans son rapport de l’information sur les mesures qu’elle a prises au cours de son dernier exercice pour prévenir et atténuer les risques relatifs au recours au travail forcé ou au travail des enfants.
Afin de respecter les obligations imposées par la Loi, le rapport de l’entité devra également inclure des renseignements supplémentaires la concernant, par exemple de l’information sur sa structure, ses activités en lien avec à la production, la vente, la distribution ou l’importation de marchandise, ainsi que le type de marchandise et le lieu d’exploitation, les régions ou pays impliqués dans ses chaînes d’approvisionnements.
De plus, le rapport devrait inclure une explication sommaire des politiques et des processus de diligence raisonnable mis en place par l’entité concernant le travail forcé et le travail des enfants, des renseignements sur la formation dispensée aux employés, ainsi que sur les portions de ses activités qui présentent un risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants.
Puisque les mesures de prévention et d’atténuation du recours au travail forcé et au travail des enfants peuvent provoquer une perte de revenus pour les familles vulnérables, la Loi demande aux entités d’identifier les mesures prises pour contrer cet impact sur les familles vulnérables.
Publication du rapport
En plus de s’assurer du respect des exigences de format, d’approbation et d’attestation de son rapport et de son dépôt auprès du Gouvernement, l’entité doit le rendre public en le publiant à un endroit bien en vue sur son site Web. Le rapport peut être préparé dans l’une seule des deux langues officielles bien que le Gouvernement souhaite que le rapport soit publié par l’entité dans les deux langues officielles.
Également, la Loi exige que les entités constituées sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions ou de toute autre loi fédérale fournissent le rapport à chaque actionnaire en même temps que leurs états financiers annuels.
Infraction et peines
Les entités déclarantes en défaut de produire leur rapport ou de le rendre public s’exposent à une peine pouvant aller jusqu’à 250 000 $ par infraction3.
Les cadres supérieurs, les administrateurs et les employés sont également passibles de pénalités financières et de poursuites pénales en cas d’infraction par une entité4. Toute infraction par une entité amène également un risque réputationnel.
Conseils pratiques
L’adoption de politiques, de procédures, d’outils d’audit et d’autres règles de prévention et d’atténuation de l’esclavage moderne ou l’amélioration de ceux-ci sont essentielles. Ces règles et politiques peuvent inclure des procédures de signalement et un processus d’enquête pour traiter les préoccupations ainsi qu’une protection envers les dénonciateurs (par exemple, une politique interne de dénonciation ou une protection similaire).
Les entreprises devraient réfléchir à leur processus de sélection de fournisseurs et à l’opportunité d’adopter des règles concernant la surveillance des activités de leurs fournisseurs et partenaires.
Elles peuvent également envisager de mettre à jour leurs accords avec leurs fournisseurs ou partenaires existants afin de respecter les exigences imposées par la Loi, notamment en incluant des dispositions interdisant l’utilisation du travail forcé ou le travail des enfants dans les activités commerciales du fournisseur.
D’autres mesures pourraient inclure la sensibilisation et la formation du personnel, des administrateurs et dirigeants à la mise en œuvre des politiques et procédures de l’entreprise pour identifier et prévenir le travail forcé et le travail des enfants.
À propos des auteurs
Josiane L’Heureux est associée chez Lavery au bureau de Montréal et membre du groupe Droit du travail et de l’emploi.
Elle œuvre pour le compte d’employeurs privés et publics provenant de secteurs variés tels que les secteurs pharmaceutique, manufacturier, minier, des télécommunications de même que le réseau de la santé et des services sociaux.
André Vautour pratique dans les domaines du droit des sociétés et du droit commercial chez Lavery et s’intéresse plus particulièrement à la gouvernance d’entreprise, aux alliances stratégiques, aux coentreprises, aux fonds d’investissement et aux fusions et acquisitions de sociétés fermées.
Pamela Cifola est membre du groupe Droit des affaires chez Lavery et exerce principalement en droit transactionnel et en droit commercial.
Sofia Khan est membre de l'équipe Droit du travail et de l'emploi chez Lavery. Elle s'est jointe à l'équipe en tant qu'étudiante en 2021 et a effectué son stage de formation professionnelle du Barreau au cabinet en 2022.
Notes :
1. Article 1 de la Loi et voir ici la Convention sur les pires formes de travail des enfants, adoptée à Genève le 17 juin 1999, à l’article 3
2. Article 1 de la Loi et voir ici la Convention sur le travail forcé, adoptée à Genève le 28 juin 1930, à l’article 2
3. Article 19 de la Loi.
4. Article 20 de la Loi.