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Oléoducs: la donne a-t-elle changé?

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Paule Halley

2016-02-25 11:15:00

Une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique répond à des interrogations que soulève au Québec le processus fédéral d’évaluation, explique cette professeure en droit …
Paule Halley__, LL.D., LL.M., LL.B., est professeure titulaire à la Faculté de droit de l'Université Laval
Paule Halley__, LL.D., LL.M., LL.B., est professeure titulaire à la Faculté de droit de l'Université Laval
En préparation de mon cours de cette semaine (sur la procédure québécoise d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement), j’ai entrepris des recherches afin de démêler les aspects juridiques enchevêtrés du projet Oléoduc Énergie Est devant l’Office national de l’énergie (ONE).

À ce sujet, une décision du 13 janvier de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (CS) m’apparaît des plus pédagogiques pour aider mes étudiants. Elle répond à plusieurs interrogations que soulève au Québec le processus fédéral d’évaluation.

Dans Coastal First Nations contre BC (Environment), la compagnie Northern Gateway Pipelines Ltd. (NGP) propose de construire un oléoduc entre Bruderheim, en Alberta, et Kitimat, en Colombie-Britannique, d’une longueur de 660 kilomètres et traversant quelques 850 cours d’eau dans cette dernière province.

Le projet fut recommandé par l’ONE et autorisé par les autorités fédérales (juin 2014), mais la province n’a émis aucune autorisation environnementale, car elle avait renoncé, dans une entente avec l’ONE, à appliquer son régime d’autorisation au profit de la procédure fédérale, ce que dénoncent les requérants dans cette affaire.

Le projet assujetti à la procédure provinciale d’évaluation

La CS a rejeté les prétentions de NGP, qui plaidait l’exclusivité de l’autorité fédérale sur les oléoducs interprovinciaux et l’absence de juridiction des provinces qui chercheraient à appliquer leurs lois environnementales, selon lesquelles pareille tentative serait inconstitutionnelle. La Cour est plutôt d’avis que les provinces sont compétentes en matière d’évaluation environnementale des projets réalisés à l’intérieur de leurs frontières et que la protection de l’environnement est un champ de compétence partagée.

Soulignant que la législation environnementale de la Colombie-Britannique ne prohibe pas les oléoducs ni ne les rend irréalisables, la Cour a conclu que le projet est clairement assujetti à la procédure provinciale d’évaluation et à l’obligation d’obtenir son autorisation avant le début des travaux.

Quant à la participation de la Colombie-Britannique au processus fédéral d’autorisation devant l’ONE, la CS est d’avis que bien que la province soit invitée à coopérer au processus fédéral (afin d’éviter la multiplication des évaluations), la loi de la Colombie-Britannique n’autorisait pas le ministre de l’Environnement provincial à abdiquer son pouvoir décisionnel, même par le biais d’une entente avec l’ONE, ni à exempter le projet d’oléoduc de NGP. Pour la Cour, il s’agit d’une erreur de droit déraisonnable de la part du ministre et la clause 3 de l’entente est jugée invalide dans la mesure où elle exempte le projet de l’obligation d’obtenir l’autorisation de la province.

Une autre conséquence de la délégation par la province de ses responsabilités est d’avoir, de cette manière, porté atteinte à l’honneur de la Couronne en omettant de consulter les Premières nations avant que le projet ne soit autorisé par le gouvernement fédéral.

Un juge québécois rendrait une décision semblable

Bien qu’il existe peu de précédents judiciaires abordant spécifiquement la compétence des provinces en matière d’évaluation environnementale des projets linéaires interprovinciaux comme les oléoducs, il apparaît que le raisonnement de la CS de la Colombie-Britannique est étoffé et bien appuyé en droit ainsi que par la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.

Dans cette perspective, il apparaît très vraisemblable qu’un juge de la Cour supérieure du Québec, appelé à se pencher sur l’application au projet Oléoduc Énergie Est de la loi québécoise en matière d’environnement, rendrait une décision semblable et rejetterait les prétentions de TransCanada au sujet de l’exclusivité fédérale. Il constaterait que le projet d’oléoduc est obligatoirement assujetti à la procédure d’examen et d’évaluation des impacts de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) et à l’obligation d’obtenir au préalable un certificat d’autorisation du gouvernement du Québec.

De plus, comme c’est le cas en Colombie-Britannique, la loi québécoise ne permet pas d’exempter ce projet d’oléoduc et elle n’autorise pas le gouvernement à renoncer à exercer son pouvoir décisionnel au terme du processus d’autorisation environnementale. Par conséquent, le mandat accordé au BAPE en marge de cette procédure d’autorisation n’annule pas l’obligation de TransCanada de respecter la procédure d’autorisation du Québec.

Cette décision invite TransCanada à reconnaître que les lois du Québec en matière de protection de l’environnement s’appliquent à son projet, et cela en déposant un avis de projet auprès du ministère de l’Environnement du Québec conformément aux termes de la LQE. De cette façon, la multinationale enverrait un message plus clair quant à son respect du principe de la primauté du droit.

Cette position serait aussi plus équitable pour les autres promoteurs (dont d’oléoducs) qui se soumettent aux exigences de la procédure d’autorisation québécoise, qui produisent à leurs frais une étude d’impact et qui paient des tarifs administratifs importants tout au long de la procédure. À défaut, TransCanada s’expose à des poursuites judiciaires en injonction et à des sanctions de nature administrative, pénale et civile, ainsi qu’à de l’insécurité juridique et à de nombreuses contestations judiciaires.

Paule Halley, LL.D., LL.M., LL.B., est professeure titulaire à la Faculté de droit de l'Université Laval, où elle enseigne le droit de l’environnement (1994- ). Elle est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l'environnement (2002- ) et membre du Barreau du Québec (1988- ). La professeure Halley est l’auteure de nombreux articles et ouvrages intéressant le droit de l'environnement et le développement durable et elle participe aux activités de plusieurs organismes, dont le Comité consultatif de l'environnement Kativik (Nunavik), l’Institut de la francophonie pour le développement durable et l'Institut Environnement, Développement et Société. Ses travaux et réalisations furent honorés, en 2015, du Prix Michel-Jurdant en sciences de l’environnement de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS), du Prix scientifique de la Francophonie attribué, en 2005, par le Conseil scientifique de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et du prix « Meilleure monographie » de la Fondation du Barreau du Québec, en 2003, pour son ouvrage intitulé Le droit pénal de l'environnement.
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