Paul Gérin-Lajoie, l’homme qui a propulsé la recherche en droit

Vincent Gautrais
2018-07-04 10:15:00

Parmi les qualités soulevées, il en est une que nous souhaitons mettre en avant : Paul Gérin-Lajoie a proposé un regard d’une immense modernité sur la recherche universitaire.
Commençons par une anecdote rappelée dans un texte d’Andrée Lajoie, ancienne directrice du Centre de recherche en droit public. En 1961, alors fraîchement nommé ministre de la Jeunesse du gouvernement Lesage, Paul Gérin-Lajoie reçoit le recteur de l’Université de Montréal de l’époque, monseigneur Lussier, pour confirmer les budgets de l’Université.
« Monseigneur, je vous accorde tout ce que vous me demandez, mais avec en plus cent mille dollars par année : nous nous devons de créer un centre d’études en urbanisme et un centre de recherche multidisciplinaire en droit public, où les professeurs se consacreront entièrement à la recherche. »
Évidemment, tout ceci laisse rêveur le chercheur contemporain. Cette anecdote laisse aussi le directeur actuel que je suis éminemment redevable de cette impulsion initiale sans laquelle le Centre que j’ai l’honneur de diriger n’aurait pas été créé. Mais au-delà de la différence d’époque, il est trois éléments qui ne s’imposaient pas et qui permettent de dire, comme Guy Rocher le signalait, qu’avant toute chose Paul Gérin-Lajoie était un « homme aux idées de changement », « un innovateur », « utilisant la politique comme un moyen au service du bien commun ».
Trois innovations
La première de ces innovations était de croire en la recherche. Au début des années 1960, le droit s’enseignait, certes, mais ne donnait lieu à aucune recherche véritable. Avant d’être des facultés, les universités abritaient d’abord des écoles de droit qui préparaient à la plaidoirie sans considérer la pertinence d’un regard plus global fondé sur la place du droit dans la société. Il fallait rompre avec l’isolement d’une communauté juridique repliée sur elle-même. La recherche participait à cette ouverture.

Le troisième facteur de changement qui ressort de cette conviction est l’indéfectible confiance de Paul Gérin-Lajoie vis-à-vis des chercheurs et de l’université ; de cette institution qui est ainsi adoubée comme une partie prenante de la société contemporaine, tenue de « ne rendre des comptes qu’à la vérité ».
En cette période de changements, où la globalisation économique et numérique vient bouleverser les manières de faire, il nous semble important de rappeler à l’occasion de cet hommage que cette vision empreinte d’une grande sagesse est susceptible de s’appliquer également à la recherche de demain.
Dès 1962, Paul Gérin-Lajoie affirmait que « (l)’homme du XXe siècle prend conscience de ce que le progrès intellectuel et spirituel est sérieusement en retard sur le progrès technique » et que la recherche constituait un gage pour pallier ce retard. Je crains malheureusement que le citoyen du XXIe siècle soit encore plus exposé et que par voie de conséquence, l’apport intellectuel des chercheurs lui soit encore plus indispensable.
Je tiens à remercier Karim Benyekhlef, Andrée Lajoie, Pierre Noreau, Guy Rocher, des pierres angulaires du CRDP, pour leur aide à la rédaction du présent hommage.
Cet article est paru dans Le Devoir du 29 juin.