Petite ville, petit avocat?

L'équipe Droit-Inc
2008-03-20 09:12:00
Voici la lettre publiée ce matin dans La Presse :
Un snobisme gratuit et démodé
Par Lucien Bouchard
Mme Lysiane Gagnon,
Le passage suivant de votre chronique de mardi matin a attiré mon attention:
"S'ils n'avaient fait leur marque en politique, Jean Chrétien serait encore un petit avocat à Shawinigan au lieu du millionnaire qu'il est devenu et Lucien Bouchard serait toujours avocat à Chicoutimi au lieu d'être associé à une grande firme montréalaise et d'accumuler divers mandats fort rémunérateurs."
Vous vous permettez également de prédire que MM. Charest et Dumont, qui partagent avec M. Chrétien et moi l'infortune de ne pas avoir exercé leur profession à Montréal avant leur carrière politique, auront plus tard l'avantage d'y gagner leur vie.
Ces propos me surprennent d'autant plus qu'ils me rappellent l'époque, heureusement depuis longtemps révolue, où les membres des barreaux régionaux devaient se regrouper au sein de ce qu'on appelait le Barreau rural pour affirmer leur poids dans les instances du Barreau du Québec.
Il m'apparaît que la population montréalaise d'aujourd'hui, largement alimentée par les ressources humaines des régions, n'a plus que faire de tels relents de condescendance géographique. Elle se réjouit plutôt des apports régionaux dont elle bénéficie comme elle s'enorgueillit de l'enrichissement de ses communautés culturelles.
Je ne peux m'empêcher de me demander ce qui vous autorise à afficher une attitude aussi hautaine, non pas seulement envers M. Chrétien et moi, mais aussi à l'endroit des quelque 12 000 avocats qui exercent leur profession à l'extérieur de Montréal.
Qu'est-ce qui vous fait croire, par exemple, que Jean Chrétien, qui a dirigé pendant 10 ans, au niveau fédéral, des gouvernements majoritaires, n'avait pas suffisamment de talent pour réussir à la place une grande carrière d'avocat? Qu'est-ce qui vous habilite à laisser entendre que je n'avais pas, avant d'entrer en politique, une pratique professionnelle gratifiante et rémunératrice à Chicoutimi, où j'ai fondé mon propre cabinet?
Peut-être faut-il vous apprendre que les petites villes du Québec ont produit beaucoup de grands avocats et de grands juges? (Vous avez compris, bien entendu, que je m'exclus). De même, peut-être conviendrez-vous que tous les grands journalistes ne se trouvent pas qu'à Montréal. Autrement dit, ce n'est pas parce qu'un professionnel a établi son cabinet dans une petite ville qu'il est petit, pas plus que le fait de signer ses commentaires dans un journal de grande ville n'est en soi une garantie d'excellence non plus que de courtoisie.
Il s'ensuit que le prestige dont vous jouissez n'est pas attribuable à votre qualité de Montréalaise, mais au talent que je vous reconnais.
Hélas, le talent et le prestige sont moins appréciables - mais d'autant plus blessants - quand ils sont mis au service d'un snobisme gratuit, démodé et petit.
L'auteur a été premier ministre du Québec de 1996 à 2001.
Pas un débat Montréal-régions
''M. Bouchard se méprend sur le sens de ma chronique, qui n'était qu'une réflexion sur le fait que les sacrifices financiers consentis par les premiers ministres, lorsqu'ils sont au pouvoir, sont largement compensés par les offres rémunératrices qu'ils reçoivent du secteur privé, une fois revenus à la vie civile. Or, il se trouve - et je n'y peux rien - que les gros moteurs du secteur privé sont à Montréal plutôt qu'ailleurs. Je ne voulais surtout pas relancer le débat Montréal-régions, et il va de soi que je n'ai jamais douté que l'on puisse mener des carrières fructueuses et enviables en dehors de Montréal.''
Lysiane Gagnon
Anonyme
il y a 17 ansPratiquer à Montréal n'est guère un gage de talent ou de succès. La vérité c'est que les grosses transactions se passent à Montréal, c'est tout. Dans les grosses villes comme Montréal (New York, Londres, etc...) ce n'est que la réputation et tout le jeu d'attirer la clientèle qui sont importants. Ce n'est pas parce que les firmes facturent plus cher en ville que leurs services sont meilleurs. De plus, regarder la stabilité des avocat(e)s et des associé(e)s à Montréal. D'une firme à une autre, on dirait la chaise musicale juridique. Ce qui arrive rarement en banlieu et en région.