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Pouvez-vous légalement posséder des confiseries au cannabis des autres provinces canadiennes?

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Finn Makela

2020-02-04 11:15:00

Un professeur de droit répond à une question complexe : est-il légal de posséder des confiseries au cannabis des provinces voisines?
Finn Makela répond à une question sur le cannabis... Photos : Shutterstock et site Web de l'Université de Sherbrooke
Finn Makela répond à une question sur le cannabis... Photos : Shutterstock et site Web de l'Université de Sherbrooke
Le 17 octobre dernier, un après la légalisation de la vente, la culture et la possession du cannabis aux fins récréatives, le gouvernement fédéral a modifié l’Annexe 4 de la Loi sur le cannabis (la « Loi canadienne ») afin de permettre la vente de cannabis comestible, d’extrait de cannabis et de cannabis pour usage topique. Le même jour, des normes encadrant le contenu et l’étiquetage de ces produits furent intégrées au Règlement sur le cannabis. Désormais, deux produits prisés par nos voisins du sud – les vapoteuses de cannabis et les fameux gummies au cannabis – sont disponibles sur le marché canadien. Sauf au Québec.

Le Québec avait déjà un des régimes les plus restrictifs du pays. Contrairement aux autres provinces, la Loi encadrant le cannabis (la « Loi québécoise ») ne permettait pas la possession de plantes de cannabis lors de son adoption (cette interdiction fut invalidée par la Cour supérieure). Depuis la prise de pouvoir de la CAQ, le régime est devenu encore plus restrictif. La liberté de consommer du cannabis dans les lieux publics fut restreinte et – dans une décision décriée comme particulièrement malavisée par les experts en la matière – l’âge minimal requis pour en posséder légalement fut augmenté à 21 ans. Ce n’est donc pas surprenant que le Québec ait aussi adopté le régime le plus restrictif au pays en ce qui concerne les nouveaux produits. La vente de crèmes topiques est toujours interdite et la gamme de produits comestibles autorisés est extrêmement limitée.

En effet, l’article 4 du Règlement déterminant d’autres catégories de cannabis qui peuvent être vendues par la Société québécoise du cannabis et certaines normes relatives à la composition et aux caractéristiques du cannabis prévoit qu’un produit de cannabis comestible « ne peut être une friandise, une confiserie, un dessert, du chocolat ou tout autre produit attrayant pour les personnes âgées de moins de 21 ans. » Le PDG de la Société québécoise du cannabis (« Sqdc ») explique quels produits pourraient être disponibles sur les tablettes :

« Des barres granolas, par exemple. Mais pas aux pépites de chocolat, parce qu’elles seraient attrayantes pour les enfants. Un muffin au son pourrait être acceptable, mais pas un cupcake ou un muffin au chocolat. (...) On ne vendra pas des produits qui s’apparentent à des boissons gazeuses, mais un thé glacé destiné aux adultes, qui ne serait pas bourré de sucre, ou une boisson pétillante au goût de citron, ça passerait. »

Pour l’instant, les seuls produits de cannabis comestibles disponibles à la Sqdc sont des thés et des tisanes. Si la vente de vapoteuses de cannabis est, en principe, maintenant légal au Québec, la Sqdc n’a pas l’intention d’en vendre, et ce, suivant un avis du directeur de la santé publique. La situation est toute autre en Ontario, où la Société ontarienne du cannabis vend des vapoteuses, du chocolat, des confiseries et des pâtisseries.

Plusieurs personnes m’ont demandé s’il était légal de posséder ces produits achetés en Ontario. La réponse, c’est oui ! Par contre, si le Québec voulait restreindre la possession de produits de cannabis comestible, tout porte à croire qu’il pourrait le faire.

La possession de produits de cannabis provenant d’une autre province

Les limites quantitatives de possession en vertu de la Loi québécoise sont similaires, mais pas identiques, à celles prévues à la Loi canadienne. En vertu de la Loi canadienne, toute personne de 18 ans ou plus peut posséder jusqu’à 30 grammes de cannabis séché ou l’équivalent dans un lieu public (art. 8(1)a)). Il n’y a aucune limite de la quantité qu’on peut posséder dans un lieu privé. En vertu de la Loi québécoise cela s’applique seulement aux personnes âgées de 21 ans ou plus (art. 4). De plus, au Québec, il est interdit de posséder plus de 150 grammes de cannabis séché ou l’équivalent dans un lieu privé (art. 7). Lorsque plusieurs personnes âgées de 21 ans ou plus vivent à la même adresse, la quantité totale de cannabis se trouvant sur les lieux ne doit pas dépasser 150 grammes (id.).

En revanche, seule la Loi canadienne comprend des limites qualitatives de possession. La Loi canadienne interdit d’avoir du cannabis en sa possession lorsqu’on sait qu’il s’agit de cannabis « illicite » (art. 8(1)b)). Le cannabis illicite est du cannabis qui n’est pas produit et vendu par des personnes autorisées (art. 2(1) « cannabis illicite »). Or, la Loi québécoise ne reprend pas la notion de cannabis illicite et ne prévoit aucune autre limite qualitative. Ainsi, au Québec, si la police veut porter des accusations pour avoir du cannabis illicite, il faut qu’elle le fasse en vertu de la Loi canadienne. Autrement dit, dans la mesure où du cannabis – peu importe sa forme – est acheté légalement au Canada, l’on peut le posséder légalement au Québec. Dans un lieu public, y compris un véhicule, la limite permise est de 7,5 grammes par personne pour les liquides de vapoteuse, de 450 grammes pour les confiseries et les pâtisseries et de 2,1 kg pour les boissons. Dans une résidence, ces montants sont cinq fois plus élevés, peu importe le nombre de résidents.

Par ailleurs, on n’est pas obligés de se rendre à une autre province pour se procurer des produits du cannabis dont la vente n’est pas autorisée au Québec. Contrairement à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (art. 2(1) « trafic »), la Loi canadienne fait la distinction entre la « vente » et la « distribution » du cannabis. La distribution est définie comme « le fait d’administrer, de donner, de transférer, de transporter, d’expédier, de livrer, de fournir ou de rendre accessible » (art. 2(1) « distribuer ») et cela est tout à fait légal pour des particuliers sans qu’ils doivent se munir d’une autorisation, dans la mesure où la limite de possession publique est respectée (art. 9(1)(a)i)). L’on peut donc demander à un-e ami-e de nous envoyer des produits de cannabis non disponibles au Québec par la poste. Postes Canada accepte de livrer le cannabis dans le respect de la limite quantitative de possession.

Est-ce que le Québec pourrait restreindre la possession de produits de cannabis provenant d’une autre province ?

Comme je l’ai expliqué, pour l’instant, au Québec il est tout à fait légal de posséder des produits de cannabis provenant d’une source légale dans une autre province. Reste à savoir si l’Assemblée nationale ou le gouvernement du Québec pourraient changer cette situation. Sans avoir de réponse définitive, je suis d’avis que le Québec pourrait restreindre, mais pas forcément interdire, une telle possession.

L’argument pour la restriction est fondé sur le parallèle avec l’alcool.

La Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques interdit le transport de boissons alcooliques au Québec, sauf exception (art. 91). Une de ces exceptions est prévue à l’article 95.1 de cette loi, lequel autorise la possession et le transport d’alcool acquis dans une autre province conformément au règlement pris en vertu de la Loi sur la Société des alcools du Québec. Un tel règlement existe (le Règlement sur la possession et le transport au Québec de boissons alcooliques acquises dans une autre province ou un territoire du Canada) et il permet de transporter, par voyage, 3 litres de fort, 9 litres de vin et 24,6 litres de bière. Quiconque transport plus de cela est passable d’une amende de 500 $ à 1 000 $ pour une première infraction (art. 110.2 de la L.f.m.b.a.).

La Loi québécoise prévoit une restriction sur le transport du cannabis, mais seulement dans la mesure où le transport est à des des fins commerciales (art. 23 al.1). Elle prévoit également la possibilité de prendre un règlement similaire à celui applicable applicable au transport de l’alcool (art. 23 al.2) mais il n’existe aucun règlement en ce sens.

La constitutionnalité d’un régime de contrôle interprovincial d’alcool fut confirmée par la Cour suprême dans l’affaire R. c. Comeau. Dans cette affaire, la disposition en litige interdisait la possession de boissons alcooliques achetées ailleurs qu’à la Société des alcools du Nouveau-Brunswick, sauf dans les quantités permises par règlement. M. Comeau prétendait que la disposition était contraire à l’article 121 de la Loi constitutionnelle, 1867, lequel prévoit que les produits d’une province doivent être admis dans chacune des autres provinces. La Cour est venue à la conclusion que :

« [86] Le principe du fédéralisme étaye l’opinion selon laquelle les provinces d’un état fédéral devraient avoir la marge de manœuvre leur permettant de gérer le passage des biens tout en adoptant des lois qui tiennent compte de conditions ou de priorités particulières sur leur territoire. Par exemple, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut ont adopté des lois qui régissent la consommation de boissons alcooliques et assurent le contrôle de celles qui arrivent sur leur territoire. La santé publique constitue certes l’objet principal de ces lois, mais elles ont comme effet accessoire de restreindre le commerce transfrontalier des boissons alcooliques. (...)

[124] [L]e régime du Nouveau-Brunswick ne vise pas à restreindre le commerce interprovincial. Il vise plutôt à permettre la supervision par des entités publiques de la production, de la circulation, de la vente et de l’utilisation de l’alcool au Nouveau-Brunswick. Il est bien connu que les provinces ont le pouvoir d’adopter des régimes de gestion de l’approvisionnement et de la demande des boissons alcooliques à l’intérieur de leurs frontières. (...) »

Ainsi, une loi provinciale qui vise un objet relevant de la compétence provinciale, telle la santé publique, peut accessoirement avoir pour effet de restreindre la circulation interprovinciale de biens. C’est un argument de taille en faveur du pouvoir du législateur québécois de restreindre la distribution de produits de cannabis en provenance d’autres provinces et dont la vente n’est pas autorisée au Québec. Cela étant dit, il y’a des différences entre la restriction de la circulation d’alcool dont faisait état la Cour suprême et la restriction éventuelle des produits de cannabis.

Premièrement, la restriction de la circulation d’alcool contestée dans l’affaire R. c. Comeau était purement quantitative, tout comme celle prévue à la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques. Les provinces n’interdisent pas la possession de certains types d’alcool provenant d’autres provinces, seulement d’en posséder certaines quantités. Autrement dit, ce n’est pas une interdiction, proprement parlant, mais une restriction. L’analogie avec une interdiction éventuelle de posséder des produits de cannabis dont la vente n’est pas autorisée au Québec n’est donc pas parfaite.

À cela s’ajoute le fait que, pour être valide, une interdiction éventuelle de posséder certains produits de cannabis doit relever de la compétence législative de la province. Or, rien n’est moins clair. Il est possible qu’une telle interdiction soit considérée par les tribunaux comme relevant de la compétence fédérale sur le droit criminel.

C’est exactement le débat qui a eu lieu dans l’affaire Murray Hall c. Procureure générale du Québec. Dans cette affaire, M. Murray Hall contestait la compétence provinciale d’interdire la possession de plantes de cannabis alors que la Loi canadienne l’autorise explicitement. Le tribunal est venu à la conclusion que l’objet de l’interdiction relevait de la compétence fédérale en matière criminelle. Si les provinces peuvent réglementer le cannabis aux fins de la santé publique, une telle réglementation ne peut pas comprendre une prohibition générale. La Cour explique :

« [81] Ici, le Parlement fédéral a décidé d’opter pour la réglementation du cannabis plutôt que la prohibition, étant manifestement plus efficace pour restreindre la consommation de ces produits par les mineurs. La législation fédérale permet cependant aux provinces d’adopter le même genre de réglementation afin, entre autres, de restreindre la consommation de cannabis par les mineurs. Les provinces peuvent alors adopter des mesures législatives et réglementaires qui couvrent les aspects provinciaux de la décriminalisation. Toutefois, cela ne saurait inclure une prohibition générale. »

(Je souligne)

Plus loin, la Cour émet l’hypothèse selon laquelle une restriction plus sévère que celle prévue par la Loi canadienne aurait permis d’atteindre les objectifs de protection de la santé et de la sécurité publique sans empiéter illégalement sur le pouvoir fédéral. C’est d’ailleurs ce qu’a fait l’Assemblée nationale en imposant la limite de possession de 150 grammes dans une résidence alors que la Loi canadienne ne prévoit aucune restriction.

Il est donc envisageable qu’une restriction quantitative sur la possession de produits de cannabis provenant d’autres provinces soit loisible alors que leur interdiction totale soit inconstitutionnelle.

Sur l’auteur

Finn Makela est membre du Barreau du Québec depuis 2005 et professeur à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke depuis 2009. Ce texte est d’abord paru sur le blogueaquidedroit.ca. Il est publié ici avec l’autorisation de l’auteur.

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