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Répondre au cynisme de Poutine de façon ferme et unie

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Brigitte Dufour

2022-03-10 11:15:00

Une juriste québécoise déplore la guerre en Ukraine provoquée par l’invasion russe…
Brigitte Dufour, l’auteure de cet article.  Source: LinkedIn
Brigitte Dufour, l’auteure de cet article. Source: LinkedIn
À peine libérés des misères et des craintes provoquées par la pandémie de COVID-19, nous voilà aux prises avec un nouveau fléau : Vladimir Poutine.

Nous nous sommes réveillés le 24 février avec un nouveau paradigme, une logique guerrière provoquée par le délire impérialiste d’un homme, qui devra un jour payer pour les crimes de guerre et contre l’humanité qui se déroulent actuellement sur le territoire ukrainien.

Depuis qu’il a pris le contrôle du Kremlin en 2000, Poutine a soigneusement cultivé sur la scène internationale une image de leader puissant, cachant l’ampleur et la profondeur de la corruption qui gangrène le pays et empêche toute possibilité de transition de la Russie vers la prospérité et la démocratie. Manipulant images et messages à travers la télévision d’État russe, qui constitue l’unique source d’information pour une grande partie de la population russe, il a employé systématiquement le terme « fasciste » pour tout ce qui concerne l’Ukraine, depuis l’annexion de la Crimée et l’invasion du Donbass en 2014. J’ai pu constater cette tentative de lavage de cerveau lors de mes séjours en Russie à la suite de ces événements. Le discours haineux du Kremlin et de ses instruments d’information n’est pas sans conséquence, comme on le voit aujourd’hui avec la guerre qui se déroule sous nos yeux.

L’organisation de défense de droits de la personne que je dirige et qui soutient des ONG dans les pays issus de l’ex-URSS a été déclarée « indésirable » en août 2021 par le Procureur général de la Fédération de Russie. Depuis lors, toute personne collaborant avec nous en Russie est passible de six ans de prison, ce qui renforce encore plus la stigmatisation et l’isolement des organisations de droits de la personne russes devant se déclarer « agents de l’étranger » en vertu d’une loi décriée mais copiée ensuite par d’autres régimes autoritaires dans la région.

La prestigieuse organisation Mémorial, qui préserve la mémoire des crimes staliniens, et son centre des droits de la personne ont fait les frais de cette législation liberticide. Quelques jours après l’invasion russe en Ukraine, Mémorial International se faisait « liquider » par décision de la Cour suprême. Depuis, des raids ont été menés dans les bureaux de son centre des droits de la personne et de protection des migrants, et il est permis de s’inquiéter au plus haut point pour la sécurité des membres de toutes les ONG russes qui dénoncent, depuis des années, les dérives de leur gouvernement et n’ont pas été entendus à temps.

Travail difficile et dangereux

Nous espérions que le peuple russe s’insurgerait contre cette guerre. Les dernières lois liberticides sanctionnant toute information « mensongère » sur les forces armées russes par des peines de prison extrêmes, et coupant de ce fait la population de toute information indépendante, rendront ce travail difficile et dangereux. Pourtant, des citoyens courageux continuent de descendre dans la rue et de faire face à des arrestations musclées. Les procès d’organisateurs de manifestations ont lieu en ce moment. Certains donnent lieu à de formidables tribunes demandant la fin de l’agression de l’Ukraine par la Russie, dont les autorités policières maltraitent et détiennent sans vergogne personnes âgées et enfants munis de fleurs, d’icônes ou de dessins de paix. De nouvelles purges, dignes de l’époque stalinienne, ne sont pas à exclure.

Avant cette énorme claque de Poutine contre la démocratie et son voisin, nos gouvernements traitaient Poutine comme un dirigeant légitime qui devait être contenu grâce à un dialogue ouvert empêchant de « couper les ponts » avec le Kremlin. Cette approche, fondée sur des intérêts économiques tels que l’extrême dépendance de l’Europe au gaz russe, s’est développée au détriment des questions de démocratie et de droits de la personne soulevées à répétition par les ONG russes, ukrainiennes et internationales, perçues comme prétendument « naïves ». Le désir de maintenir ouvert le dialogue avec Poutine a conduit à une langue de bois au sein des organisations internationales et à une capacité de nuisance sans précédent du régime autoritaire du Kremlin, laissant la porte grand ouverte à une nouvelle répression en Russie et au-delà de ses frontières, comme on le voit tragiquement en Ukraine aujourd’hui. La prétendue naïveté n’est pas là où on la supposait.

Le drame de l’agression contre l’Ukraine constitue pour les dirigeants occidentaux l’occasion par excellence d’enfin relever le défi de répondre au cynisme de Poutine de façon ferme et unie, en faisant concorder les actes et les paroles. C’est ce que nous voyons en ce moment. Sanctions coordonnées, aide financière : cela est rassurant, mais cela sera-t-il suffisant pour étouffer le régime, sa machine guerrière et ceux qui la financent ? Car pendant ce temps, l’Europe continue de consommer le gaz russe, qui finance la guerre…

Si nous ne réussissons pas à contenir cette dérive mortelle, ce qui se passe sous nos yeux, mélange de souffrance et de courage des Ukrainiens face au géant russe, fait craindre le pire dans les pays voisins, où vivent des russophones que le Kremlin pourrait aussi instrumentaliser pour atteindre ses visées impérialistes. Poutine fait peur, il sème la terreur, et c’est son but. Aujourd’hui, il est grand temps de mettre fin aux crimes de cet homme et de ses complices. Le travail des ONG ukrainiennes et internationales qui continuent leur mission de collecte des actes constituant des crimes de guerre, aux fins de soumission à la Cour pénale internationale, est primordial. Tous les pays doivent soutenir ces efforts, politiquement et financièrement. (...)

Le monde avait déjà sur les bras les défis dus aux changements climatiques, que le dernier rapport plus alarmant que jamais du GIEC nous rappelle. Nous voici embourbés dans un conflit créé de toutes pièces par un esprit assoiffé de pouvoir qui nous détourne des défis existentiels de l’humanité sur notre planète, que nous continuons de détruire.

À propos de l’auteure

Brigitte Dufour est une juriste québécoise et directrice d’International Partnership for Human Rights, une ONG basée à Bruxelles. Cet article est d’abord paru sur le site internet du Le Devoir le 8 mars dernier.
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