Suspension provisoire du droit de grève en milieu ambulancier
Lylia Benabid
2025-01-14 11:15:20
Dans la décision Ambulances Acton Vale, une division de Dessercom inc. c. Fraternité des travailleurs et travailleuses du préhospitalier du Québec – SCFP 7300, 2024 QCTAT 4448 (j.a. François Beaubien), le Tribunal se demande s’il doit provisoirement suspendre le droit de recourir à la grève, considérant que le syndicat était de mauvaise foi en déclenchant une grève des techniciens ambulanciers paramédics avant le début des négociations à l’échelle provinciale.
Les conventions collectives liant les parties sont toutes expirées depuis le 31 mars 2024. Les négociations pour le renouvellement de celles-ci se font à l’échelle locale pour certaines clauses normatives et à l’échelle provinciale pour les clauses monétaires et normatives de portée provinciale.
En octobre 2024, la Fraternité dépose ses demandes monétaires et normatives à incidence provinciale. Le 4 décembre 2024, une deuxième séance de négociation devait avoir lieu, mais celle-ci a été annulée à la demande de la Fraternité et remise au 18 décembre 2024.
Un avis de grève a été déposé par le syndicat le 27 novembre 2024, annonçant une grève à durée indéterminée à partir du 11 décembre 2024.
Selon les employeurs, le dossier de la négociation concernant les clauses monétaires et normatives à incidence provinciale suivait son cours de façon harmonieuse et courtoise et aucun incident n’est survenu pouvant laisser croire qu’une grève était éminente.
Il est reconnu que la Fraternité a respecté les dispositions du Code du travail lui permettant d’exercer légalement son droit de grève, notamment en ce qui a trait au maintien des services essentiels en raison du caractère de service public des entreprises de services ambulanciers.
Les employeurs plaident que l’annonce par la Fraternité de son intention de déclencher une grève au moment qu’elle juge opportun serait assimilée à de la négociation de mauvaise foi et que le Tribunal devrait sanctionner ce comportement par une suspension du droit de grève des membres de la Fraternité.
Cependant, le Tribunal conclut que priver la Fraternité de pratiquement tout rapport de force en lui enlevant provisoirement son droit de recourir à la grève, un droit constitutionnel protégé par la Cour suprême, est excessif en comparaison du préjudice que prétendent subir les employeurs. Les préjudices invoqués par les employeurs, soit les inconvénients que toute grève est susceptible de causer, ne sont pas irréparables. De plus, la santé et la sécurité du public ne seront pas mises en danger, considérant que les services essentiels seront rendus pendant la grève.
Selon le Tribunal, les employeurs n’ont donc pas réussi à démontrer une apparence de droit au soutien de leurs requêtes, ce qui a pour effet de mettre en échec leurs demandes d’ordonnance provisoire.
De plus, même si la Fraternité a pu faire preuve de mauvaise foi en déclenchant une grève avant même le début des négociations concernant les clauses « monétaires et normatives à incidence provinciale », ce sur quoi le Tribunal ne se prononce pas, le remède recherché, à savoir la suspension provisoire de son droit de grève, irait à l’encontre des objectifs du Code du travail, soit la libre négociation collective.
En effet, la preuve est insuffisante pour établir qu’en l’absence d’une ordonnance provisoire suspendant le droit de grève de la Fraternité, le préjudice que les employeurs subiraient serait irréparable. Les employeurs invoquent plutôt des inconvénients que toute grève en milieu ambulancier est susceptible de causer (défis administratifs, défaut d’entretien des véhicules, accumulation de retard de certaines tâches, etc.).
Finalement, la balance des inconvénients penche en faveur du syndicat. Le retrait d’un droit qui bénéficie d’une protection constitutionnelle et la privation de tout rapport de force dans le cadre des négociations à poursuivre revêtent une importance considérable comparativement aux inconvénients que pourraient subir les employeurs en cas de grève.
La demande d’ordonnance provisoire est rejetée.
À propos de l’auteure
Lylia Benabid est avocate coordonnatrice de l’information juridique chez RBD. La Barreau 2015 est détentrice d’un baccalauréat en études internationales et d’un baccalauréat en droit de l’Université de Montréal. Elle complète présentement une maîtrise en droit international de l’Université du Québec à Montréal.