Un enregistrement vidéo ou sonore réalisé à l’insu d’une partie est-il admissible en preuve ?
Patrick Henry
2022-03-17 14:30:00
Aux termes de l’article 2858 du ''Code civil'' du Québec (CcQ), deux conditions cumulatives sont nécessaires pour conclure à l’irrecevabilité d’une preuve :
- La preuve a été obtenue en violation des droits et libertés fondamentaux. La vie privée d’une personne fait partie de ces droits, et, suivant l’article 36 CcQ, sont des atteintes à la vie privée d’une personne le fait d’« intercepter ou utiliser volontairement une communication privée; (ou de) capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu’elle se trouve dans des lieux privés »
- L’introduction de cette preuve au dossier serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
Le Tribunal souligne que dans cette analyse, deux concepts dominants s’entrechoquent à savoir le respect des droits fondamentaux d’une partie et la recherche de la vérité. La Cour ajoute qu’en matière de droit de la famille l’intérêt de l’enfant constitue une préoccupation première et qu’en conséquence « le droit à la vie privée peut céder le pas à la découverte de la vérité dans certains litiges, et ce, sans déconsidération de l’administration de la justice. » (par 19).
Le premier élément de preuve analysé consiste en des vidéos captées par la mère, ayant filmé à deux reprises le père de l’enfant alors qu’il conduit un tracteur à gazon avec sa fille assise sur ses genoux afin de montrer que le père agit de façon imprudente et qu’il y existe une dangerosité pour l’enfant en cas de chute. Le Tribunal rejette l’objection à la production de ces vidéos notant que, bien qu’il s’agisse d’une intrusion à la vie privée, les vidéos étant captées à l’extérieur de la maison sur un terrain privé, l’évènement peut être vu par quiconque se trouvant non loin et qu’en conséquence l’intrusion demeure relative. Le Tribunal conclut donc à l’admissibilité de cette preuve car l’enjeu du procès justifie d’admettre cet élément dans le contexte où on veut démontrer que la sécurité de l’enfant puisse être compromise.
Le deuxième élément de preuve contesté est une conversation que la mère enregistre alors qu’elle questionne le père sur sa consommation de cannabis. Ce dernier s’oppose à la mise en preuve de cet enregistrement mais le Tribunal rejette son objection précisant qu’en droit civil, une partie peut déposer en preuve l’enregistrement d’une conversation intervenue entre elle-même et une autre personne, même en cas d’enregistrement fait à l’insu de l’interlocuteur. Ceci ne contrevient donc pas au droit à la vie privée.
Le troisième élément de preuve contesté consiste en diverses conversations entre des tiers et le père, enregistrées à l’insu de ce dernier puisque la mère avait installé un appareil d’enregistrement sous le siège du conducteur de son véhicule et, pendant plusieurs jours, avait enregistré des conversations de monsieur avec ses amis ou sa mère.
Le Tribunal maintient les objections à la production de ces enregistrements puisque ces éléments ont été obtenus d’une façon qui contrevient aux droits et à la vie privée du père et que leur utilisation déconsidèrerait l’administration de la justice. Sur ce dernier critère, la Cour supérieure analyse comment la jurisprudence a déterminé dans quels cas l’administration de la justice serait déconsidérée. Bien que le but recherché soit encore de démontrer la consommation répétée de cannabis du père, et que l’intérêt de l’enfant soit une considération primordiale, les éléments de preuve et la façon dont ils ont été obtenus sont inacceptables de telle sorte que la fonction de la recherche de la vérité lors du procès peut être mieux servie sans l’admissibilité de cette preuve.
La fin ne justifie donc pas toujours tous les moyens.
Bien que ce jugement s’inscrive dans un contexte familial recherchant par-dessus tout l’intérêt de l’enfant, plusieurs des principes énoncés et rapportés dans la jurisprudence citée peuvent être applicables à d’autres situations en droit civil d’où son intérêt général.
Me Patrick Henry est avocat plaidant et associé au sein de notre groupe de Droit des assurances de Robinson Sheppard Shapiro.
Ce texte est d’abord paru sur le site internet du cabinet.