Portrait

La légende de Jimmy

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Anne Campagna

2013-06-20 15:00:00

Jimmy Lambert, un ex-avocat du ministère du l'Emploi et de la Solidarité sociale, vient d’ouvrir un bureau à Montréal. Son but? Défendre les plus démunis de la société. Voici son histoire...
Jimmy Lambert vient d'ouvrir son bureau sur René Levesque Est. Crédit photo: Véronique Lewandowski
Jimmy Lambert vient d'ouvrir son bureau sur René Levesque Est. Crédit photo: Véronique Lewandowski
« Vous voulez venir au 5 à 7 du lancement de mon bureau ce soir ? Je vais pouvoir discuter avec vous de droit social. » Un message sur mon répondeur, faisant suite à une demande d'interview. L’avocat Jimmy Lambert, à peine trente ans, vient d'ouvrir son bureau sur René Levesque Est, dans le quartier latin de Montréal.

– Impossible de me rendre?

– Je vous attends alors vendredi, j'ai toute ma journée ! » lance, enthousiaste, le fondateur de l'étude juridique Lambert & Associés.

Sur son site Internet, on peut lire : « ne vous défendez pas seuls contre le ministère du bien être social ! Nos engagements : assurer la protection des droits des individus contre l'aide sociale, s'assurer de la conformité des réclamations d'aide sociale et protéger vos intérêts contre le ministère du l'Emploi et de la Solidarité sociale. »

Lambert & Associés : un « bureau » bien situé

Avec sa nouvelle machine à Café, Jimmy Lambert est équipé pour faire de longues heures! Crédit photo: Véronique Lewandowski
Avec sa nouvelle machine à Café, Jimmy Lambert est équipé pour faire de longues heures! Crédit photo: Véronique Lewandowski
Me Jimmy Lambert, québécois d'origine haïtienne, m'ouvre la porte en souriant. Chemise jaune à la mode sur tailleur noir, il est seul dans le bureau en question qui se limite à une pièce avec vue panoramique sur le palais de justice et un bout de l’hôtel de ville de Montréal.

« Je n'ai pas de secrétaire pour le moment, mais ça viendra », dit-il un peu gêné. Fièrement, il se tourne vers sa nouvelle machine à café et annonce : « Je suis équipé pour faire de longues heures ! »

Comme pour excuser la modestie de son installation, il ajoute en me montrant son ordinateur, son imprimante et son large bureau : « J'ai tout ce qui me faut ici . »

Jimmy, vous l'aurez compris, ne jette pas de poudre aux yeux. La paillette, très peu pour lui, Son truc, c’est d’aider les plus démunis de la société, et ça tombe bien : Montréal a toute une clientèle à lui offrir !

Dès le début de l’entrevue — et tout au long d'ailleurs —, on cogne à la porte : Jimmy ci, Jimmy ça... Il répond à tout le monde.

La légende de Jimmy

Jimmy Lambert a quitté le Ministère pour aider les plus démunis. Crédit photo: Véronique Lewandowski
Jimmy Lambert a quitté le Ministère pour aider les plus démunis. Crédit photo: Véronique Lewandowski
Depuis son arrivée à Montréal, les associations de défense des droits lui envoient des dossiers à la pelle. Il est en passe de devenir une vedette dans le milieu communautaire.

Mais pourquoi n'est-il pas resté à Québec où il a étudié le droit à l'Université Laval et où il avait un bon emploi comme avocat au ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale pour le compte du gouvernement du Québec ?

« À l'époque, je représentais le Ministère pour les dossiers d'aide sociale. La majorité des dossiers que je traitais étaient reliés à des accusations de fraude, explique-t-il. J'essayais de passer le plus de temps possible en conciliation avec les personnes accusées. Ma patronne m'adorait et j'étais aimé de l'ensemble de mes collègues, mais c'est pour aider les plus démunis, pour combler un besoin que j'ai quitté le gouvernement. »

Il quitte alors son poste un an après s'y être engagé. « À l'école, on apprend dans beaucoup de domaines du droit, chaque avocat doit en maîtriser les fondements, mais la loi sur l'aide aux personnes et aux familles est une loi méconnue. Il y avait — et il y a encore d'ailleurs — un manque d’avocats pour représenter ces personnes ayant besoin de l’aide juridique. »

Jimmy Lambert ne s'en cache pas : c’est un idéaliste pur sucre. « J'ai toujours voulu aider les autres. Je prends mes dossier à cœur… et non à l'heure », dit-il, sous forme de boutade.

En quittant son poste au Ministère, il voulait « équilibrer les forces ». Il n'était pas toujours à l'aise avec les positions que prenait son employeur. Un ange passe…

Depuis son arrivée à Montréal, les dossiers s'empilent sur son bureau. Crédit photo: Véronique Lewandowski
Depuis son arrivée à Montréal, les dossiers s'empilent sur son bureau. Crédit photo: Véronique Lewandowski
Sa mère, préposée aux bénéficiaires ayant vécu des conditions de travail difficiles, était déçue : son fils avait un beau poste avec sécurité d'emploi et vacances payées... Pourtant, c'est elle-même qui lui a inculqué ces valeurs d'entraide. Et comme il ne connaît que peu son père, parti faire fortune aux États-Unis, on se doute que Jimmy Lambert n'est pas né une cuillère d'argent dans la bouche.

En mai 2012, il se joint à un bureau d’avocats à Québec, puis déplace ses activités de Québec à Montréal. Il traite de dossiers en collaboration avec d'autres avocats, principalement des dossiers en responsabilité civile.

Sa clientèle à Montréal — majoritairement des dossiers d’aide sociale — augmente vitesse grand V. Fatigué de faire l'aller-retour Montréal-Québec, il prend sa décision : il va ouvrir son propre cabinet à Montréal. Depuis, les dossiers s'empilent sur son bureau.

Non seulement il va à l'église tous les dimanches, travaille 7 jours sur 7, et jusque tard le soir, mais il trouve également le temps de s'impliquer auprès d'associations venant en aide aux personnes défavorisées.

« À Montréal, je suis l'avocat de l'Association des droits sociaux du Montréal métropolitain. C'est cet organisme qui m'a fait connaître et qui m'envoie beaucoup de cas. » Mais il se défend d'être l'avocat de la communauté haïtienne. « Seulement 0,5 % de ma clientèle provient de la communauté haïtienne », précise-t-il.

Besoins d’avocats spécialisés

Me Lambert consacre 80 % de sa pratique à des dossiers d'aide sociale. Crédit photo: Véronique Lewandowski
Me Lambert consacre 80 % de sa pratique à des dossiers d'aide sociale. Crédit photo: Véronique Lewandowski
Le domaine de l’aide sociale ne sourie pas à de nombreux avocats. « C'est un secteur qui mérite d'être développé. Il y a un manque d'avocats spécialisés en aide sociale. Évidemment, ce ne sont pas ce qu'on appelle des dossiers payants. On ne facture pas à l'heure », précise Jimmy.

En effet, c'est l'aide juridique qui rembourse ses honoraires, et il s'agit d'un tarif fixe, au dossier. Bien entendu, dans ces conditions, les avocats ne se bousculent pas au portillon, surtout lorsque les heures consacrées à un dossier s'accumulent...

Il n'accuse pas ses confrères d'être des calculateurs avides de faire de l'argent avec les clients, mais il aimerait qu'il y ait un changement de mentalité en faveur des démunis de nos sociétés.

« Beaucoup de bureaux de l’aide juridique refusent de prendre eux-mêmes ce type de mandats. Ils disent aux clients de se trouver un avocat et qu’ils émettront un mandat. »

Les causes qu’il défend ?

Me Lambert consacre 80 % de sa pratique à des dossiers d'aide sociale. De ce chiffre, il estime qu'il n'y aurait que 5 % des cas qui sont de vraies fraudes. Par ailleurs, il considère qu'Agnès Maltais, ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, fait fausse route en essayant de débusquer les soi-disant « fraudeurs de l'aide sociale ». « Mais je ne la convaincrais pas de changer d'idée, car il y a des économies à faire, mais pas au détriment des gens sur l'aide sociale », croit-il.

Ces nombreux cas sont la plupart du temps reliés à une diminution de prestation d'aide sociale, un refus de prestation, une réclamation ou une accusation de fausse déclaration.

Parmi ceux-ci, il y a celui de cette femme qui a reçu de l’aide de sa famille à la suite du décès de l’un de ses proches. Comme elle est bénéficiaire de l'aide sociale, elle ne peut pas recevoir de dons en argent. L’aide sociale lui réclame alors plus de 20 000 dollars...

Dans d'autres dossiers, il s'agit de défendre des étudiants qui reçoivent de l'aide de dernier recours. « Une personne sur l’aide sociale n’a pas le droit d’étudier à temps plein, explique-t-il, cependant les critères du ministère de l’Éducation versus ceux du ministère de l’Emploi sur la notion d’étudiant à temps plein sont différents. En conséquence, il est fréquent que des personnes se fassent réclamer des milliers de dollars à cause de cette ambivalence. » L'avocat tente alors de faire tomber l'accusation de « fausse déclaration » et de faire annuler, du même coup, les intérêts encourus.



Aider les autres

Sa grande motivation? « On doit aider les autres, ça nous revient, explique-t-il. Je trouve ça dommage qu'on s'attaque à des personnes démunies, fragilisées. L'aide sociale est une aide de dernier recours. Oui, il y a des fraudeurs à l'aide sociale, mais on n’en retrouve pas dans la majorité des dossiers.»

Il a l’espoir que d’autres avocats se joignent à sa cause et s’unissent à lui pour défendre une population souvent très vulnérable.

« Parfois, je regrette mes conditions de travail au Ministère, avoue-t-il. Maintenant, c'est moins payant, puis c'est difficile de me trouver des associés. »

Mais il n’a qu’à se rappeler certains cas qu’il a su sauver du pétrin pour que le feu sacré du droit le reprenne. « Des gens viennent dans mon bureau et me disent en pleurant : "Jimmy, ils ont coupé mon chèque d'aide sociale, qu'est-ce que je vais faire maintenant? " »

– Maintenant ? Jimmy, va essayer de te sauver.
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