De la Côte d’Azur à ...Cowansville
Céline Gobert
2012-04-13 08:30:00
Avant de venir s’installer au Québec, avant même de penser à traverser l’océan, son intérêt marqué pour l’international prend vie sur les bancs de la Sorbonne où elle étudie le droit européen et le commerce international.
C’est d’abord près de la mer méditerranée qu’elle se spécialisera en propriété intellectuelle.
Dans un grand cabinet niçois, en tant qu’associée et pendant huit années, elle découvre contrats, et aspects internationaux. La passion pour son domaine l’agrippe alors brusquement.
“ J’ai attrapé le virus de la propriété intellectuelle”, dit-elle.
Droit de l’information et du multimédia, nouvelles technologies, développement d’une pratique dans le contentieux: son travail la passionne.
Tout comme l’art. La peinture, les porcelaines, le cinéma.
Très vite, elle cherche à étendre la partie littéraire et artistique de son travail. Mêler le droit et l’art, étreinte parfaite de ses deux passions.
“ C’est là, en 2002, que je décide de me lancer à mon compte. Tout allait très bien jusqu’en 2007. J’étais à cinq minutes du Palais de Justice, mon bureau avait vue sur la mer.”
A Vence et Grasse, elle est d’abord seule avec son ordinateur, puis, rapidement, elle embauche une secrétaire, et une collaboratrice. Les affaires prospèrent.
Elle réussit même, en 2003, un examen de spécialisation d’avocat en droit de la propriété intellectuelle, examen qui ne peut être tenté que si l’on justifie d’au moins 4 ans de pratique professionnelle dans un domaine du droit.
Cependant, en 2007, les réformes d’une ministre française de l’époque, Rachida Dati, change la donne.
Cette dernière réorganise la carte juridique de France, supprime un certain nombre de juridictions et de matières, et tout le contentieux des juridictions de droit commun se concentrent alors en dix juridictions en France.
L’avocate se voit contrainte de déménager, elle doit partir à Marseille.
“ Le type d’environnement ne me faisait pas envie. Je me suis dit: quitte à partir, autant partir pour de bon. C’était alors mon tour de suivre mon conjoint canadien.”
Direction Cowansville
Comme la vie fait bien les choses, l’année 2009 marque un accord passé entre le Barreau de Québec et le Conseil National des Barreaux Français. Elle passe avec succès l’examen simplifié d’équivalence sur la déontologie.
“Un calendrier parfait” pour un nouveau départ.
Elle vend alors voiture, appartement et cabinet. Elle se partage entre dossier d’immigration, suivi des dossiers de son ancien bureau- vendu à une consoeur-, et préparation de l’examen du Barreau.
En 2010, elle pose ses valises en terre québécoise. En mai 2011, elle prête serment. C’est le début de ce qu’elle appelle “ un choc culturel”.
“ Si beaucoup de choses se ressemblent sur le fond, la forme est radicalement différente, comme la durée des procédures par exemple. »
Elle explique qu’en France, 90% des contentieux sont plaidés alors qu’au Québec c’est plutôt le contraire.
En outre, les magistrats français n’ont pas assez de temps à dédier à l’examen d’un dossier, et manque de temps pour entendre les témoins. Au Canada, en revanche, on peut consacrer de trois à cinq jours à l’écoute des témoignages.
« Il y a des choses bonnes et mauvaises dans les deux systèmes : en France, il y a un encombrement des tribunaux, et les choses peuvent être parfois bâclées. Au Canada, les procès sont plus longs mais plus onéreux.”
Ce qu’elle préfère néanmoins au Canada, c’est les modes alternatifs de règlements des litiges : elle voit d’un très bon œil le fait de favoriser la médiation, l’arbitrage.
Une économie pour tout le monde, selon elle, économie financière pour les uns, économie émotionnelle pour les autres, notamment en cas de litige familial.
Aujourd’hui, elle lance son propre cabinet dans la petite ville de Cowansville, 12 470 habitants.
« On parle souvent de prêt-à-porter du droit, ce que j’essaie de faire personnellement c’est du sur mesure”, déclare-t-elle.
Pour cela, elle porte un soin particulier aux relations personnelles avec ses clients, privilégie une confiance plus directe, offre ses conseils.
Elle possède quelques contacts sur Toronto, des amis de France qui l’aident : « Qui ne tente rien n’a rien », dit-elle.
En ce moment, elle dispose d’une dizaine de dossiers actifs. Elle facture par tarification horaire, estimée préalablement avec le client. Avec ses 15 années d’expérience, elle évalue très bien à l’avance combien de temps va lui prendre un dossier.
Elle a bien conscience que l’arrivée d’une française au Québec peut être mal vue par certains. Cependant, pour elle, travailler main dans la main est aujourd’hui devenu incontournable.
Elle estime que le dialogue entre juristes d’horizons différents est à privilégier, citant au passage les théories de Montesquieu sur le commerce et les échanges.
« Je ne marche sur les plate bandes de personne, je pense qu’il y a de la place pour tout le monde. La concurrence va générer de plus en plus de dossiers, les gens vont être de plus en plus informés de leurs droits, vont vouloir des contrats, les échanges devraient s’intensifier. On a tout à gagner à travailler ensemble.”
Pour se faire connaître, et continuer à entretenir sa passion pour l’écrit, elle tient un blog à jour, intitulé “Des idées et des oeuvres”.
Sur la toile, elle s’attache à comparer des points de droit en propriété intellectuelle, à disséquer les différences entre le Canada et l’Europe.
“ Mon but est de rendre l’information comestible pour les non juristes, écrire dans un style qui attire l’attention, qui fait preuve d’humour, parler de sujets aussi divers que les graffitis ou le tatouage.”
Et, à l’aube d’une nouvelle carrière, elle se montre d’un grand optimisme.
« La propriété intellectuelle est un marché énorme, et l’un des rares droits à être en constante évolution, les nouvelles technologies vont pousser de plus en plus de gens à s’y intéresser.”