Québec et Turquie : une histoire d’amour possible ?
Céline Gobert
2012-03-28 10:15:00
Me Nazli Tonuk impressionne aussi par son dynamisme, son énergie et sa détermination. Avocate en Turquie où elle obtient le Barreau d’Istanbul en 2010, Me Tonuk vit à Montréal depuis un peu plus d’un an.
À 24 ans, cette jeune avocate stambouliote est venue affronter l’hiver québécois afin de compléter un programme de maitrise en droit international à l'Université de Montréal.
Cinq cours par semaine où le contenu, essentiellement comparatif, s’intéresse de près aux lois québécoises, ontariennes, américaines et aborde aussi bien le droit civil que la common law.
Entourée de Français, de Chinois, de personnes venues d’Amérique du Sud, Me Tonuk enrichit son bagage juridique tout en essayant de relever un défi de taille : percer dans la communauté juridique de Montréal.
« En Turquie, il est devenu important d’acquérir une expérience étrangère, notamment en ce qui concerne les marchés anglo-saxons, comme le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni », dit-elle.
Elle, qui estime beaucoup les québécois pour leur sens de l’hospitalité et leur sincérité, aimerait entamer une carrière en droit ici-même. Pour cela, elle candidate dans de nombreux cabinets montréalais.
Sur 30 candidatures,la moitié débouche hélas sur un non, l’autre… sur des peut-être. Pourtant, elle ne se décourage pas.
Et puis, elle possède un bon mentor, une personne qui l’encourage et qui lui apprend beaucoup, Me Diane Bertrand de chez Fasken.
« Je pense qu’il faut dépasser les préjugés que l’on peut avoir sur les avocats étrangers. J’invite les employeurs à nous rencontrer, à découvrir nos capacités, notre volonté. Nous avons tant à offrir à leur cabinet. »
Selon elle, les professionnels venus de pays étrangers sont encore plus compétitifs que les collaborateurs locaux parce que, par définition, ils doivent se faire une place, ils travaillent donc encore plus dur pour faire partie intégrante de l’environnement.
Non à l’étroitesse d’esprit
Oui, les avocats étrangers peuvent insuffler une belle plus value aux cabinets du Québec.
« Mon expérience, m’a permise d’évoluer dans le secteur de l’énergie pétrolière, par exemple, c’est quelque chose que je pourrais mettre à profit dans un cabinet. Aussi, de plus en plus de cabinets étrangers, et canadiens, partent ou souhaitent s’établir en Turquie en raison des opportunités grandissantes qu’il y a dans ce pays. »
Un pays qui, par ailleurs, lui offre un charmant atypisme. À l’image de sa ville d’origine, marquée par le multiculturalisme et la volonté d’expansion, sa personnalité est teintée d’ouverture.
« On assiste à une évolution économique sans précédent en Turquie, tant au niveau des affaires que des mentalités qui se rapprochent de plus en plus de celles européennes. »
Istanbul relie l’Asie et l’Europe par un pont. Dans les rues, on y voit des mosquées côtoyer des églises. Lorsqu’elle y habitait, Me Tonuk vivait en terre européenne, mais étudiait sur le sol asiatique.
Une réalité fascinante qui symbolise toute la diversité qu’elle porte en elle. Son background ? Une richesse. Rien d’autre.
« La culture y est aussi riche qu’à New-York, Paris ou Londres », déclare l’avocate, qui évoque au passage des personnalités comme Fatih Akin ou Nuri Belge Ceylan, réalisateurs turcs qui bénéficient d’un rayonnement international.
Car trop de clichés sur la Turquie courent encore les rues à l’instar de cet amalgame répandu avec la population et civilisation arabe.
« En Turquie, les femmes font de l’argent et occupent de hautes fonctions ; la plupart des gens sont très bien éduqués, mes amis sont tous diplômés. »
Rien à voir donc avec les pays arabes qui commencent à peine à gagner leur démocratie.
« En raison de notre religion (musulmane), on nous associe, mais cela n’a rien à voir. »
Évidence
Diplômée de l’Université de Marmora, Me Tonuk a travaillé deux ans au sein d’un cabinet d’avocats en Turquie : Singuler et Senguler.
Deux années où elle passe du temps à la Cour, puis, au sein du cabinet, à exercer en droit des affaires, fusions et acquisitions, finance, droit corporatif, propriété intellectuelle, droit des contrats.
Le droit, elle l’a dans le sang. Une évidence.
« Devenir avocate est un rêve d’enfance. Mes grands-parents sont juges, j’ai un cousin avocat, c’est de famille », confie l’avocate, pour qui la famille revêt une importance capitale.
« La famille, c’est tellement important. Si vous êtes en paix avec votre famille, vous réussirez tout ce que vous entreprendrez. »
Et puis de toute façon, elle pourrait avoir mille vies, que dans chacune d’entre elles, elle serait avocate.
Si elle doit rentrer en Turquie, elle intègrera un cabinet pour y poursuivre cette passion. Aussi, elle se voit bien s’occuper d’une cause qui lui tient à cœur : le droit des minorités en Turquie et arranger des réunions, des conférences, changer les mentalités autour des minorités culturelles.
Mais, pour, aujourd’hui, son défi est tout autre puisqu’elle s’apprête à partir à Vienne en Autriche, participer avec l’UdM, à un prestigieux concours entre facultés de droit (19th Annual William Vis Commercial Arbitration Moot Court Competition).
200 universités environ, dont celles d’Harvard ou de Columbia, qui vont s’affronter dans un cadre juridique : les étudiants représentent un client, face à de vrais arbitres.
Pour s’y préparer, son équipe travaille dur depuis près d’un an. Ce qui fut une belle occasion pour elle d’en apprendre énormément sur le droit des affaires. Ce qui en sera aussi une autre pour gonfler son bagage juridique.
Encore un voyage, pour celle qui a également été deux fois en Angleterre afin d’améliorer son anglais des affaires, et se familiariser avec d’autres aspects du droit, à l’Université de Cambridge.
Le 5 mai prochain, Nazli Tonuk soufflera ses 25 bougies. Souhaitons-lui de décrocher un poste au sein d’un cabinet montréalais, qui saura briser les barrières des a priori.