Quel est le jugement le plus lu ?
Julien Vailles
2017-07-31 14:20:00
Top cinq des réponses les plus populaires, en commençant par la fin, et retour sur le noyau de ces décisions...
5. Renvoi relatif à la Sécession du Québec, (1998) 2 R.C.S. 217
Au lendemain du référendum de 1995 sur la souveraineté du Québec, les fédéralistes se sont mobilisés pour poser LA question aux tribunaux : le Québec peut-il, en vertu de la Constitution, procéder unilatéralement à la sécession? Si, pour certains, la réponse peut sembler satisfaisante, la majorité semble au contraire penser qu’elle ne dit pas grand-chose.
En effet, la Cour suprême du Canada statue que comme les Québécois ne forment pas un peuple « opprimé », ceux-ci ne peuvent prétendre à une sécession unilatérale et ainsi nuire à l’unité du Canada, en se basant sur le droit des peuples à l’autodétermination. Mais la Cour s’empresse d’ajouter qu’en cas d’expression d’une « majorité claire » de Québécois en faveur de l’indépendance, le Canada ne pourrait refuser de négocier de la modification constitutionnelle exigée.
À la suite de cette décision, la « Loi sur la clarté référendaire » est adoptée par le Parlement fédéral en 2000. Elle prévoit des modalités applicables à un nouveau référendum pour que le gouvernement fédéral consente à négocier.
4. Ciment du Saint-Laurent c. Barrette, 2008 CSC 64
Cette décision est particulièrement historique parce qu’elle consacre le principe selon lequel il peut exister une responsabilité civile sans faute en droit québécois. Elle se base sur l’article 976 du Code civil du Québec, selon lequel une personne est obligée d’accepter les inconvénients normaux du voisinage, selon la limite de tolérance que se doivent les voisins. Comme corollaire de cet article, personne n’est donc forcé de subir un inconvénient anormal du voisinage.
En l’espèce, il était impossible d’imputer une faute à la société Ciment du Saint-Laurent, accusée de troubler le voisinage à cause du bruit, des odeurs et de la poussière causés par les activités de la cimenterie. Bonne joueuse, celle-ci disait comprendre les préoccupations des citoyens et avait même offert de nettoyer à ses frais les voitures salies des personnes situées à proximité.
La Cour suprême a statué que l’article 976 établissait un régime de qui ne nécessitait pas forcément une faute, pour conclure à la responsabilité civile d’une personne. Ciment du Saint-Laurent a donc perdu sa cause.
3. Tremblay c. Daigle, (1989) 2 R.C.S. 530
Cette affaire de droit familial était purement théorique. En effet, elle concernait le droit du père de se prononcer contre un éventuel avortement mais, prise par les délais, Mme Chantal Daigle a admis s’être fait avorter avant le procès.
C’est effectivement la cause qui a consacré le droit de la femme de décider, seule, de procéder ou non à un avortement, même si monsieur refusait. Par le fait même, la Cour statuait que les droits du fœtus, ainsi que ceux du père en puissance, n’existaient pas. Selon le Code civil, le fœtus n’est pas un être humain et il n’a donc que des droits éventuels et conditionnels à sa naissance.
Par ailleurs, la Cour a établi que rien, dans les lois ni dans la jurisprudence, ne venait appuyer l’argument que le père possédait un quelconque droit à l’égard du fœtus qu’il avait engendré. En somme, le droit de la femme de décider pour son propre corps l’a emporté.
2. Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9
L’année 2008 était décidément prolifique pour le plus haut tribunal du pays. L’affaire Dunsmuir a gagné la deuxième place de ce palmarès parce qu’elle a complètement révolutionné le droit administratif, en établissant qu’il n’y avait que deux normes de contrôle en la matière.
Donc, dès qu’un organisme administratif rend une décision, et que cette décision est contestée au moyen d’un contrôle judiciaire, seules la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable s’appliquent désormais. Différent d’un appel, un contrôle judiciaire consiste à poursuivre devant la Cour supérieure l’organisme administratif qui a rendu la décision. En la matière, le tribunal sera donc réticent à intervenir, faisant preuve de déférence envers un organisme qui a rendu une décision dans une matière où il est spécialisé.
Généralement, si la décision concerne les faits et qu’elle se situe dans l’expertise de l’organisme, seule une décision « déraisonnable » fondera la Cour à intervenir. Tandis que si l’organisme se prononce sur la Charte, par exemple, le tribunal corrigera la décision dès qu’elle est jugée « incorrecte ».
1. R. c. Oakes, (1986) 1 R.C.S. 103
Il s’agit du grand gagnant de notre quiz !
Le rapatriement de la constitution canadienne et l’avènement de la Charte canadienne des droits et libertés, en 1982, a eu pour effet de considérablement modifier le rôle de la Cour suprême du Canada. En effet, celle-ci est en quelque sorte devenue le « chien de garde » de la Constitution, chargée de statuer si telle loi, telle décision, ou telle arrestation avait été faite conformément aux droits garantis par la Charte.
Rien d’étonnant, donc à ce que la décision qui a instauré le « mode d’emploi » pour déterminer si une décision était prise conformément à la Charte, est celle qu’ont le plus lue les étudiants en droit. Rendu en 1986, l’arrêt R. c. Oakes a instauré un test de constitutionnalité qui trouve encore application aujourd’hui.
Le test en question se fait en deux grandes étapes. Premièrement, il s’agit de déterminer si la mesure contestée restreint un droit garanti par la Charte. Si oui, il faut alors pousser la réflexion, et se demander si la restriction est raisonnable dans les circonstances. En premier lieu, on vérifie donc l’objectif de la loi, et en second lieu, on vérifie si les mesures prises sont proportionnelles avec l’objectif visé. Ce dernier test de proportionnalité pose lui-même trois questions : y a-t-il un lien rationnel entre l’objectif et la mesure; ensuite, l’atteinte au droit est-elle minimale; et enfin, y a-t-il donc proportionnalité entre les effets et l’importance de l’objectif visé?