Dénonciations : pourquoi sur Instagram plutôt que devant la justice?
Radio -Canada
2020-07-10 13:45:00
« L’étape du call out, ça avertit les autres filles », affirme Gabrielle, qui a décidé de passer par le réseau social pour parler de son agresseur, et qui a depuis partagé l’identité d’autres personnes au comportement jugé répréhensible par des amies, mais aussi par des inconnues qu’elle découvre en ligne.
« Les call out, ça enlève (aux présumés agresseurs) une partie de leur plateforme numérique. »
Cette nouvelle vague de dénonciations a commencé il y a environ une semaine, et la plupart des gens visés sont des personnes – surtout des hommes – qui ont une certaine notoriété au sein de diverses communautés : tatoueurs, photographes, barmans, youtubeurs...
Les dénonciatrices sont souvent jeunes, et certaines d’entre elles étaient mineures au moment des événements rapportés. Elles condamnent un large éventail d’actes, allant du harcèlement jusqu’au viol.
Tout ça a notamment pris de l’ampleur lorsque Sabrina Comeau a raconté son histoire dans une story Instagram.
« Si quelqu’un se fait call out en ce moment, cette personne-là devrait prendre le temps de réfléchir à ses actions et comprendre ce qu’elle a fait de mal », estime cette dernière. « Comprendre ce qui est arrivé dans son cerveau pour faire ça. »
Après les premiers témoignages, début juillet, le mouvement s’est accéléré jusqu’à culminer avec la dénonciation de personnes connues, comme Maripier Morin et Bernard Adamus.
DANS LA FOULÉE DE #MOIAUSSI
Il y a eu #AgressionNonDénoncée en 2014, #MoiAussi en 2017, et maintenant cette vague, qui n’a pas encore de surnom. « #MeToo, c’est un mouvement de fond. Dès qu’on pense que ça va ralentir, ça remonte à la surface, et ça envahit de nouveaux médiums », analyse Rachel Chagnon, professeure au Département des sciences juridiques de l’UQAM et membre de l’Institut de recherches et d'études féministes (IREF).
« Les violences à caractère sexuel, c'est le seul crime violent au Canada dont l'occurrence ne diminue pas », souligne Me Sophie Gagnon, directrice générale de la clinique juridique Juripop.
Mais la vague actuelle semble aussi être indissociable du contexte social très précis de 2020. D’une part, la pandémie a permis à plusieurs de « faire la part des choses », croit l’auteure Josiane Stratis, dont les publications incisives sur Facebook et sur Instagram en soutien aux victimes présumées ponctuent la vague.
Selon elle, la pandémie a offert à plusieurs un temps d’arrêt et de réflexion au cours duquel ils se sont rendu compte qu’ils n’étaient pas à l’aise dans leur milieu de travail ou leurs relations personnelles.
D’autre part, la vague de dénonciations se produit quelques semaines après la renaissance du mouvement Black Lives Matter – et incidemment, en pleine réflexion sur le rôle de la police.
« On a été confrontés au fait que la police n'aide pas avec les injustices, que beaucoup de gens ont été victimes d’oppressions et ont vu que [le système] ne fonctionnait pas », déclare Mallorie, qui a pris la parole virtuellement pour mettre en garde ses abonnés au sujet d’un homme avec qui elle a eu une relation qu’elle qualifie de « toxique » il y a quelques années.
PAS DE JUSTICE, PAS DE PAIX?
On pourrait en conclure que les victimes d’inconduites sexuelles n’ont pas confiance dans la voie juridique. Après tout, les cinq dénonciatrices interviewées ont été assez claires là-dessus.
« Je suis pas une grande fan de la police. J’ai zéro espoir, j’ai pas de témoin, j’ai pas envie de devoir raconter mon agression, de me faire demander à quel point j’avais bu, comment j’étais habillée », affirme Gabrielle.
Mais selon la professeure Rachel Chagnon, ce n’est pas seulement ce manque de confiance qui pousse à utiliser Facebook et Instagram plutôt que les tribunaux.
« Si je comprends bien le besoin exprimé [par les victimes présumées], c’est de sentir qu’on est soutenues et crues par une collectivité, que leur vécu est validé; de mettre ça sur la place publique, sur un forum, de rencontrer des personnes empathiques. »
Les mots d’Audrée recoupent cette analyse : « Je fais mon propre chemin pour me guérir, pour m’en remettre ».
« Le rôle du système criminel, c’est de juger si quelqu’un est vraiment coupable de ce dont on l’accuse. Les sentiments de la victime, son traumatisme, ce n’est pas le rôle du système criminel de veiller sur ça », précise Rachel Chagnon.
Selon elle, le système judiciaire québécois s’est amélioré depuis 2017. Par exemple, les directives à l’intention des procureurs qui représentent une victime sont beaucoup plus précises qu’avant. « Il y a une réflexion sur comment on doit l’interroger, comment s’assurer d’offrir du soutien. C’est un autre univers », précise-t-elle.
Mais « même un système optimal ne serait pas capable de (les) satisfaire », ajoute-t-elle.
Les femmes à qui nous avons parlé disent aussi qu’il est plus important de forcer une prise de conscience chez les agresseurs présumés – et chez leur entourage qui les protège en fermant les yeux – que de tenter de les punir devant une cour.
« C’est différent. On demande pas une justice criminelle, on veut un wake up call, une réflexion », explique Mallorie.
« C’est pas de vouloir détruire la vie de quelqu’un. C’est de remettre ce qu’elle fait en question », affirme Gabrielle.
Audrée renchérit. « Ce que je veux, c’est que les hommes prennent conscience de ce qu’est le consentement. Je veux qu’ils prennent responsabilité de leurs actions. »
« Quand t’as un pattern de violence physique, tu te dis, “c'est correct, je vais continuer à le faire, personne me dit que c'est pas correct”, ajoute Sabrina. Là, ils ont des conséquences (parce qu’ils sont nommés). Ils vont peut-être arrêter. »
LE TRIBUNAL POPULAIRE
Reste que cette approche de tribunal populaire, où l’accusation est déposée sur un téléphone intelligent et où chaque internaute devient juré, dérange certaines personnes qui craignent les dérapages et comporte des risques.
Une victime qui avait accepté de parler à Rad a annulé l’entretien après avoir reçu une mise en demeure de la part de son présumé agresseur.
« La diffamation, malheureusement, ça peut être utilisé comme arme pour imposer le silence à une personne qui a vécu des violences à caractère sexuel », déplore Sophie Gagnon, de Juripop.
« Tous les enjeux entourant la diffamation, ça crée énormément de crainte chez les gens qui souhaitent dénoncer », poursuit Me Gagnon.
Mallorie dit de son côté éprouver beaucoup de stress depuis quelques jours. « Fallait que j’aie toujours mon cellulaire sur moi au cas où j’aurais besoin de me défendre. »
« Je me pitch pas dans la gueule du loup pour le fun. (...) 2900 personnes qui voient mes stories, ça me stresse. »
« C’est injuste, explique Gabrielle. On n’aurait pas besoin de faire ce qu’on fait si le système ne nous avait pas fail aussi fort. C’est enrageant. Tant pis (si je reçois une mise en demeure), ça aura valu le coup. »
« L’idée du procès public, ça ne date pas d’hier, mais les réseaux sociaux lui donnent une nouvelle dimension, déclare Rachel Chagnon. Le monde entier sait que t’es une mauvaise personne, que tu as mal agi. »
L'avocate-criminaliste Danièle Roy met quant à elle en garde le public contre le tribunal de l’opinion publique. « On vit dans un pays démocratique et on s'est donné des règles de droit, justement parce qu'on ne veut pas que les citoyens se fassent justice eux-mêmes. C'est un penchant qui est dangereux », soutient Me Roy.
Considérant que ceux qui sont accusés peuvent « tout perdre à la suite de ça », l’avocate soutient qu’il faut continuer d’avoir recours au système judiciaire, « le dernier rempart des droits et libertés dans une société ». « C’est la base de la démocratie et on ne peut pas renoncer à ça, aussi odieux le crime soit-il. »
Un autre danger est celui des fausses déclarations, qui sont toutefois très rares, selon Rachel Chagnon, en particulier chez les victimes d’agression sexuelle. « La plus-value à se dire victime d’agression sexuelle est très faible », estime-t-elle.
Ceci dit, une personne dont « la réputation est traînée dans la boue » à cause d’une fausse accusation peut « compenser les dommages subis à sa réputation » en intentant une poursuite en diffamation ou en atteinte à la réputation, assure la professeure.
« La diffamation, ça sert à protéger les réelles atteintes à la réputation », rappelle Sophie Gagnon
INTERPELLER LES PROCHES
Y aller d’un call out sert aussi à s’assurer que l’entourage des personnes dénoncées soit attentif, nous expliquent nos intervenantes.
« De juste backer son chum, (c’est) choisir une amitié over la sécurité des femmes autour de soi », croit Gabrielle.
Pour Josiane Stratis, il faut « être assez critique avec soi-même » et reconnaître les comportements inacceptables de ses amis. « À la place de faire semblant de rien, je vais prendre de mon énergie pour dire à cette personne-là “t'as fait des affaires pas correctes, t'as fait mal à des gens, et si tu veux garder mon amitié, change les choses. »
« Si tu restes ami avec un abuseur, c'est une belle façon d'envoyer chier les victimes », lance Josiane Stratis.
Certains ont utilisé les réseaux sociaux pour reconnaître qu’ils ont pu fermer les yeux sur des comportements déplacés de personnes qu’ils côtoient. Sur Facebook, le stratège de contenu Mikael Lebleu s’est adressé aux victimes présumées : « On vous entend. On vous croit. Et cette fois-ci on ne se contentera pas de regarder le train passer ».
« Comme avec tous les mouvements, comme avec Black Lives Matter, en étant silencieux, tu fais partie du problème », conclut Gabrielle.
Avec les informations de Kim Vermette.
Anonyme
il y a 4 ansCe que Safia Nolin a fait est rien de moins que de la diffamation.
Anonyme
il y a 4 ansMarie-Pierre devrait savoir que le monde est cruel pour les filles moches, et que la vengeance des moches sur les belles est un art millénaire auquel Occupation Double prépare très mal.
Anonyme
il y a 4 ansÀ quand une page sur les inconduites sexuelles en cabinet d'avocat?