Faubourg Contrecoeur: coup de théâtre!
Radio -Canada
2017-01-23 13:54:00
Ce matin, le procureur de la Couronne a ainsi remis à la défense une portion de la preuve qu’elle détenait depuis plus d’un mois, soit de l’écoute électronique de conversations entre des avocats et des coaccusés interceptées entre le 15 août et le 15 novembre 2015.
Mécontent, le juge Poulain a déclaré qu’il avait du mal à comprendre pourquoi l’information est remise à la défense seulement ce matin alors que la Couronne était en sa possession depuis avant les fêtes.
Le procureur de la Couronne Pascal Lescarbeau a expliqué que « ce n’était pas grand-chose ». « Surtout quelqu'un qui parle de la pluie et du beau temps [ce n’est] pas pertinent au dossier », a-t-il plaidé. Les enregistrements de conversations ont été autorisés par un autre juge qui a mis les portions sensibles sous scellés tout en libérant certaines parties des conversations.
« Il y a plusieurs cailloux, sinon des roches gigantesques qui vont nous empêcher d'avancer », a déclaré le juge Yvan Poulain.
Outre sa divulgation tardive, la nature de la preuve remise à la défense ce matin lui pose aussi problème. C'est que les conversations interceptées l’ont été dans le cadre d’une autre enquête - celle sur les compteurs d’eau – et elles ont été autorisées par un autre juge.
« Il arrive parfois qu’on retrouve, disons, une stratégie du dossier : est-ce qu’on devrait faire une chose plutôt que telle autre étant donné qu’il y a une enquête en cours et qu’on est accusé dans l’autre? Je laisse ça à votre imagination », a déploré l’avocat de la défense Pierre Morneau.
Interrogé par le juge Poulain, M. Lescarbeau s’est avéré incapable de dire combien de conversations avaient été interceptées.
L’avocate de la défense Isabel Shurman, s’est insurgé contre l’interception de conversations entre clients et avocats. Elle souligne que des questions stratégiques et l’état d’âme des clients sont abordés dans ce genre de conversation.« C'est inacceptable. C'est une violation d'un droit protégé par la constitution », a-t-elle déclaré.
Les avocats veulent savoir le nombre de conversations enregistrées et le nombre d’entre elles qui ont été libérées. Ils veulent également savoir qui a pu écouter ces conversations.
Le juge a ordonné à la Couronne de divulguer les détails entourant l’écoute électronique réclamés par la défense et sur le processus entourant l’écoute électronique. Le tout doit être divulgué à la défense avant la fin de la journée.
Le juge Poulain a donné rendez-vous à tout le monde à 9 h 30 demain matin afin de déterminer la suite des choses. Le procès, qui devait durer 85 jours, risque de s’étirer en longueur en raison de ces nouveaux développements.
Six personnes - dont l’ancien directeur général de la Ville de Montréal Frank Zampino et l’entrepreneur Paolo Catania – sont notamment accusées de fraude, d’abus de confiance et de complot.
Le scandale du Faubourg Contrecoeur aurait fait perdre des millions de dollars à la Ville de Montréal en 2007. La Société d'habitation de Montréal (SHDM) a vendu au rabais un terrain situé dans l’est de la métropole québécoise à Construction Frank Catania pour qu'elle y construise 1800 logements.
La SHDM a vendu le terrain 19 millions de dollars, mais la facture du groupe Catania a été réduite de 14,6 millions en raison notamment des frais de décontamination. De plus, le constructeur aurait été choisi avant même la tenue d'un appel d'offres public.
Au banc des accusés : l'ex-président du comité exécutif de la Ville de Montréal Frank Zampino, l'homme d'affaires Paolo Catania et quatre employés qui travaillaient pour son entreprise de construction au moment des faits allégués, soit Martin D'Aoust, André Fortin, Patrice Pascale et Pasquale Fedele. Ils ont été arrêtés le 17 mai 2012. L'entreprise Frank Catania et associés est également accusée.
La Couronne appellera à la barre plusieurs dizaines de témoins. Les 14 premiers sont des policiers. Gérald Tremblay devrait aussi se soumettre aux questions des parties. Certains témoignages pourraient être longs, puisque les avocats de chaque coaccusé peuvent participer aux contre-interrogatoires.
Une preuve colossale
Le procès est officiellement commencé depuis le 8 février dernier. Mais la Cour a été saisie d'une kyrielle de requêtes, entre autres pour réclamer l'arrêt des procédures en raison des délais déraisonnables.
Les coaccusés ont invoqué l'arrêt Jordan de la Cour suprême, qui fixe une durée maximale pour les procédures judiciaires. Le 14 décembre, le juge Yvan Poulin a toutefois rejeté leur requête, notamment en raison de la complexité de l’affaire.
Il a expliqué que la preuve est considérable, « sinon monstrueuse ». Elle comporte plusieurs centaines de milliers de pages et inclut des renseignements provenant d'enquêtes parallèles de corruption municipale.
La protection de l'identité d'informateurs et des preuves de la Commission d'enquête de l'industrie de la construction (CEIC) ont aussi fait l'objet de requêtes.
Et les autres…
L'ex-collecteur de fonds d'Union Montréal Bernard Trépanier subit un procès séparé dans cette affaire, en raison de graves problèmes de santé. L’ancienne vedette de la CEIC, surnommée Monsieur 3 %, s'est dissociée en avril dernier et reçoit des traitements de radiothérapie. Son état de santé est trop incertain pour fixer une date pour son procès.
Un neuvième accusé dans ce dossier, Daniel Gauthier, a reconnu sa culpabilité à deux accusations de fraude et de complot pour fraude en février dernier. L'ex-président d'une société d'urbanisme a été condamné à purger une peine d'emprisonnement de 18 mois dans la communauté.
Un 10e accusé, l'ex-directeur général de la SHDM Martial Fillion, est mort en 2013.
Le scandale du Faubourg Contrecoeur représente l'un des premiers dossiers d'envergure de l'Unité permanente anticorruption. L'enquête a duré quatre ans.