Le procès de Lac-Mégantic sera « une bataille d’experts » dit un avocat
Radio -Canada
2017-09-12 07:00:00
Ce procès comporte plusieurs particularités. Radio-Canada s'est entretenue sur le sujet avec Me Simon Roy, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke.
Quelle sera à votre avis la plus grande particularité de ce procès?
« Ce sera un procès difficile parce que ce sera un procès technique avec, on peut le présumer, beaucoup d’experts, ce qui est toujours un défi dans un procès devant jury. Sur les faits, il va y avoir des témoins qui vont expliquer ce qu'il s’est passé, mais il va y avoir une spéculation assez importante de la part d’experts pour dire "voilà exactement ce qui a causé le problème". Les experts devront vulgariser la matière afin de bien faire comprendre au jury ce qui est arrivé. La grande question du procès : qu’est-ce qui aurait dû se passer pour que ce soit évité? Et là, chacun des experts va y aller avec sa propre théorie de ce qui aurait dû être fait. La négligence criminelle, c’est ce que l’accusé a fait comparé à ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les mêmes circonstances. »
Les avocats des accusés ont demandé que leurs clients aient droit à des procès séparés, ce qui n’a pas été accordé. Qu’est-ce qu’un procès conjoint implique?
« Le fait qu’il y ait plusieurs accusés, c’est de déterminer qui est coupable et qui est innocent. La Couronne devra prouver que, pour chaque dossier, l’accusé est coupable. Ils ne sont pas accusés en groupe, ils sont accusés individuellement, donc il faut que la Couronne prouve que les gestes d’une personne sont suffisants pour justifier l’accusation. En droit criminel, une erreur doit être importante au point d’être criminelle. Ici, il va falloir prouver que les accusés ont individuellement agi de façon tellement téméraire, déréglée et insouciante. »
Dans des cas de négligence criminelle causant la mort, la peine maximale prévue est l’emprisonnement à perpétuité. Quelles sont les peines possibles si les accusés sont reconnus coupables?
« Dans (le chef d'accusation de) négligence criminelle causant la mort, il y a à peu près tout. De la simple amende à de multiples années de prison. Ça varie énormément. »
Le procès commence 40 mois après le dépôt des accusations, le 13 mai 2014. Est-ce que l’arrêt Jordan sur les délais déraisonnables pourrait être invoqué?
« Je ne vous dis pas que ce n’est pas un dossier Jordan, mais à première vue ça me semble assez difficile. La Couronne a pris des mesures pour accélérer le processus, la mesure en l’espèce étant le fait de sauter l’enquête préliminaire pour procéder le plus rapidement possible. En plus, d’après ce que je comprends, les délais sont dus en partie au fait que certains accusés ont changé d’avocats. D’autant plus que c’est un dossier qui est manifestement exceptionnel. Dans Jordan, on a dit 30 mois à partir des accusations, mais 30 mois dans le dossier typique devant jury. Ici, il y a eu un changement de venue, plusieurs accusés, c’est un dossier composé d’une preuve multiple et très lourde. »
Comme l’un des accusés est anglophone et qu’on peut s'attendre à ce que des témoins s’adressent à la cour en anglais, il s’agit d’un procès bilingue. Croyez-vous que la formation d’un jury bilingue sera ardue?
« Ce n’est pas la première fois qu’on a un dossier de ce type. Dans un procès anglais-français, on va s’assurer que les 12 personnes choisies soient en mesure d’au moins comprendre les deux langues, pas nécessairement de les parler ou de les écrire. Il y a plusieurs candidats jurés qui vont eux-mêmes s’exclure. Si la personne se dit à l’aise, on va peut-être poser une ou deux questions pour vérifier, mais on fait confiance aux gens, je pense que les gens prennent ça au sérieux. C’est juste quelque chose qui s’ajoute à une sélection des jurés qui s’annonce déjà complexe parce que l’affaire a été hautement médiatisée. Ça va demander beaucoup plus de candidats jurés. Ce sera plus long, plus laborieux, mais on va finir par y arriver. »