Enfant ou carrière?
Daphnée Hacker-b.
2013-03-08 18:00:00
C’est pourtant ce que fait haut et fort Me Michèle Moreau, qui a accueilli Droit-inc dans son bureau à l’occasion de la journée internationale de la femme.
Énergique et passionnée, comme à son habitude, la directrice générale de Pro Bono Québec et du Centre de justice de proximité de Montréal n’hésite pas à entrer dans le vif du sujet dès les premières minutes de l’entrevue.
« Je ne supporte plus d’entendre les avocates parler de conciliation travail-famille! Celles qui veulent réussir, elles passent leur temps à travailler, à déléguer aux nounous et femmes de ménage les tâches domestiques, et ne voient leurs enfants que pour des évènements-clé de la semaine. »
Bien qu’elle admire ces femmes déterminées, Me Moreau croit que c'est surtout le terme 'conciliation travail-famille' qui n'est pas approprié. « Certains avocats n'ont pas d'enfants à charge, mais ils doivent aussi trouver un équilibre entre le travail et leur vie personnelle. »
L’avocate qui travaille souvent 10 à 12 heures par jour et qui trouve difficilement le temps de se libérer pour ses cours de yoga, admet que c’est pour éviter d’être une « mère fantôme » qu’elle a renoncé à avoir des enfants avec son conjoint.
« C’est un peu plus compliqué que cela, poursuit-elle, au moment où nous étions prêts à fonder une famille, j’étais sur une lancée professionnelle et un tel choix aurait radicalement changé le cours des choses. »
Mettre un frein à sa carrière alors qu’elle bat son plein, c’est le dilemme auquel font face des centaines d’avocates, explique Me Fanie Pelletier, conseillère à l’équité au Barreau du Québec.
« La période à laquelle nous sommes censées être très productives au travail correspond à la période reproductive », dit-elle en se référant aux résultats d’une étude sur la conciliation dans le milieu des avocats québécois, qui sera publiée sous forme de livre au mois de mai.
Un milieu mésadapté aux bébés
Me Pelletier croit donc que les responsabilités familiales, qui reposent encore largement sur les épaules des femmes, peuvent expliquer qu’en pratique privée, les femmes ne représentent que le tiers des avocats et ce, malgré leur progression fulgurante dans le métier, où elles sont de plus en plus nombreuses (au-delà de 65 % chez les 10 ans et moins de pratique).
Même histoire sur les bancs d’école, où elles sont majoritaires dans les facultés de droit. Chaque année, on dénombre 550 nouvelles avocates pour seulement 350 avocats.
Elles s’imposent davantage en entreprise et au sein de la fonction publique, rappelle Me Pelletier, en évaluant à environ 60 % le taux d’avocates dans ces milieux.
Là où le bât blesse encore et toujours : « elles sont nombreuses, mais elles occupent très peu de postes hauts placés » déplore-t-elle, terminant sa vague de statistiques en rappelant qu’au Québec, seulement 19 % des associés dans les cabinets privés sont des femmes.
Témoignage d’une superwoman
La conseillère en équité s’inquiète aussi du grand nombre de femmes qui abandonnent le métier ou renoncent, par exemple, à leur poste en cabinet et se dirigent vers un milieu « plus adapté au modèle familial ».
Il y a toutefois des superwomen, qui réussissent, bébé sous le bras, à monter dans l’échelle hiérarchique des cabinets.
C’est le cas de Me Kim Thomassin, associée directrice du cabinet McCarthy Tétrault, qui élève seule sa fille de six ans avec qui elle passe justement la semaine de relâche en Floride.
« Je n’ai pas la recette secrète pour concilier travail et famille mais je fais tout en mon possible pour être là quand ça compte », note celle qui doit tout de même passer plusieurs heures en appels conférence alors qu’elle comptait aller au zoo ou à Walt Disney.
Expliquant qu’il faut continuellement faire des choix et évaluer nos priorités, comme femme, comme mère, comme avocate, elle insiste: « Même si parfois ça peut ressembler à des sacrifices, ce sont des choix. »
Conjuguer ce désir de réussite professionnelle en cabinet à la joie de la maternité, c’est un défi de haute voltige que plusieurs femmes telles Me Thomassin ont surmonté, alors que des centaines d’autres ont plutôt mis au second plan le travail.
Selon Fanie Pelletier, si les femmes ont tant de difficulté à s’épanouir à la maison et au boulot, c’est parce que la structure et les horaires dans le milieu du droit ont été conçus pour des hommes.
Il y a une sexualisation des rôles qui nuit à l’avancement de la femme, selon Me Pelletier.
« Dans toutes les organisations juridiques, malgré les politiques pour favoriser l’équité, on a tendance à voir le jeune avocat comme un « go-getter », un fonceur, alors que la jeune avocate est vue comme une bonne exécutante. »
Ce n’est pas rose pour les hommes
Tout n’est pas rose pour les hommes, rétorque Me Moreau, qui croit que beaucoup d’avocats souffrent de ce modèle de travail rigide où ils doivent constamment performer.
Ceux qui osent prendre leur congé paternité sont rares. Offrant 55 % du salaire, il est vrai que ces congés ne sont pas particulièrement avantageux. Mais, ajoute Me Moreau, c’est surtout que les hommes qui veulent investir plus de temps dans leur famille doivent se confronter à l’étiquette du « gars paresseux, qui ne tient pas à développer sa clientèle ».
« Ces hommes se retrouvent avec les mêmes défis que les femmes, et ils vont devoir travailler ensemble à changer la culture professionnelle des cabinets, qui ne voit comme éléments de réussite que les longues heures passées au bureau et la présence accrue aux activités de réseautage. »
« Il y a moyen de gérer des dossiers de façon flexible lors d’un congé parental, précise Me Thomassin. Notre approche vise à aider les avocats à maintenir un certain lien avec le client lors de leur absence, et on s’assure aussi que le travail soit là au retour », conclut-elle.
Le Barreau du Québec a mis en place le projet Justicia qui mise sur le partage d’expertise et d’idées avec les cabinets intéressés afin de développer des pratiques qui permettent une meilleure équité sur les lieux de travail.
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