La Cour en direct
Amélia Salehabadi
2010-02-25 08:30:00
L’instance concerne une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contre une décision d’Immigration Canada qui veut renvoyer la petite Rachel, 7 ans, dans son pays natal, en France, parce qu’elle est atteinte d’une paralysie cérébrale.
Un nombre affolant de médias sont présents. Francophones. Anglophones et de l’Hexagone.
Un journaliste télé d’ici me dit, tout impressionné, « Wow ! C’est sérieux cette histoire. France 2 a fait venir son équipe de Washington. Tf1 est là aussi. Ça semble devenir une affaire politique pas seulement au Canada, mais aussi entre la France et le Canada. »
De hauts responsables sur le qui-vive
Le service de presse de l’ambassade de France à Ottawa me confirme, par ailleurs, que tous les services diplomatiques suivent le dossier de près. De hauts responsables sont sur le qui-vive, aussi bien ici à l’ambassade de France à Ottawa et au consulat général de France à Montréal, qu’à Paris au Ministère des affaires étrangères et Européennes.
« Il est prématuré pour nous de prendre position maintenant. Nous attendons le jugement et nous prendrons certainement position alors », me dit l’attachée de presse de l’ambassade.
Les acteurs à la Cour
Mais revenons à la Cour Fédérale.
La séance est présidée par la juge Johanne Gauthier, ancienne avocate du cabinet Ogilvy Renault où elle pratiquait principalement en droit maritime.
Le Procureur de la couronne, Me Michèle Joubert est là aussi et semble bien connaître les rouages de la Cour fédérale. Une habituée de la place sans aucun doute. Calme. Posée. Une voix presque timide. Mais teintée d’une certaine condescendance, surtout lorsqu’elle s’adresse à sa consœur.
Justement, quel contraste avec cette consœur! Me Patrice Jourdai (une avocate, malgré le prénom et assistée de Me Stéphane Minson) qui est là, toute en passion et fougue.
Oui, sans doute Me Jourdain est moins familière avec les règles de pratique de la Cour Fédérale. Elle est conseillère juridique au sein d’une importante institution financière. Elle a pris un congé (sa semaine de vacances) pour plaider la cause, pro bono.
Elle, c’est l’amie de toujours de la famille Barlagne. C’est elle que David Barlagne, le père de Rachel, a appelé, affolé, après avoir reçu la fameuse (en passant, je préfère le terme anglais infamous) lettre d’Immigration Canada, celle qui rejetait la demande du statut permanent de la famille parce que la petite Rachel, 7 ans, serait un fardeau excessif (de 5259$ annuellement, dixit Me Joubert).
« David, t’inquiète pas, je m’en occupe », lui a alors tout simplement dit Me Jourdain.
Elle a déjà une quinzaine de dossiers pro-bono en immigration à son actif. Mais ce dossier, elle lui a consacré ses week-ends et soirées depuis un an et demi.
Et ce n’était pas encore assez. Elle s’est allié aussi avec Me Stéphane Minson, spécialiste en droit constitutionnel. Lui aussi travaille pro-bono pour la cause. Ensemble, ils ont rencontré les spécialistes, médecins, comptables, etc. pour monter le dossier. Ils ont interrogé et contre-interrogé tous les acteurs. Se sont familiarisés avec une très abondante jurisprudence.
Je vous fais grâce du nombre d’heures passé sur le cas.
En aparté
Pourquoi après tout la famille accepte-t-elle de passer à travers tant de tracas administratifs et judiciaires ?
« Pour nous ici, c’est une terre d’accueil qui nous convient. Pas seulement pour la beauté du pays mais aussi et en raison de la bonté des gens qui y habitent. On se bat pour rester et le prix c’est d’ouvrir notre vie privée à autant de gens », m’explique M. Barlagne.
Les plaidoiries commencent
Madame la juge semble un peu nerveuse. Sans doute, le fait d’avoir autant de médias dans sa salle de Cour est pour elle inhabituel.
Elle pose beaucoup de questions. Tellement, que je me suis même demandée à un moment si elle avait lu tout le volumineux dossier. Mais, elle le confirmera d’elle-même, sentant sans doute les sourcils qui se lèvent dans l’auditoire.
Elle veut des réponses claires et surtout courtes.
Or, Me Jourdain a beaucoup de choses à dire. Elle veut couvrir tout le dossier. Elle est émotive.
D’où des échanges quelque peu corsés entre l’avocate et la juge.
Visiblement agacée, l’honorable juge Gauthier dira : « Ce qui est important c’est de ne pas traiter tout comme si c’est la fin du monde », ou encore « madame du calme », comme si elle grondait une petite fille trop bavarde.
Encore quelques échanges hallucinants ici et là, dont voici un extrait choisi :
- « Madame le juge : On ne se comprend pas.
- Me Jourdain : ça vous agresse?
- Madame le juge : Quasiment »
Nous rentrons ensuite dans les technicités du droit de l’immigration. Je m’assoupie quelque peu.
Un nom tout d’un coup m’interpelle : Patrice Hidalgo. Délégué commercial-investissement à l’ambassade du Canada à Paris. Décidément, comme le monde est petit entre Paris et Montréal.
Nous avons déjà été en délicatesse, lui et moi, à Paris, il y a quelques années.
C’était sur la façon dont il choisissait les avocats d’affaires québécois qu’il invitait aux conférences de réseautage de l’ambassade et aussi sur les cabinets qui avaient le privilège d’être mentionnés comme cabinets recommandés sur le site de l’ambassade. Toujours les mêmes.
Autre débat, j’en conviens, que celui du traitement privilégié que certains de nos ambassades ou consulats accordent à des happy few canadiens. Je reviendrai dessus un jour.
Mais revenons à notre cas.
Donc, c’est ce même personnage qui encourage les Barlagne à venir s’installer au Canada en tant qu’immigrants investisseurs. Ce même personnage, qui, à la question précise de M. Barlagne « est-ce que la paralysie cérébrale de ma cadette pose un problème », répond : « aucun problème’ ».
Je n’invente rien car Patrice Hidalgo a reconnu cela par affidavit. En voilà un champion du monde.
Navrant.
Je vais devoir passer mon petit balai au Ministre des affaires étrangère du Canada Lawrence Cannon ou à l’ambassadeur du Canada à Paris, son excellence M. Marc Lortie, pour un petit ménage à Paris? En tout cas, j’ose espérer un peu plus de rigueur et de professionnalisme de la part de nos agents détachés à notre ambassade parisienne.
Unissons-nous !
En attendant le jugement, et même d’ici là qui sait, j’ai décidé d’organiser un vin fromage annuellement, comme levée de fond, pour ramasser ces fameux 5259 $, représentant le fardeau excessif de cet enfant pour le Canada.
Oui, mes amis. Aidons le Canada.
Nous remettrons le chèque de 5259$ au gouvernement canadien.
Le premier évènement aura lieu au mois d’avril ou de mai. Vous, chers confrères et consœurs, y êtes tous conviés. Les détails suivront sous peu …
Credit photos: ''Veffia Vittorio Vieira''