La troisième vie du juge Silcoff
Martine Turenne
2017-03-30 15:00:00
« J’ai reçu plein de félicitations ! Oh!, vous aurez du temps pour vous et votre famille, pour le chalet à Sainte-Adèle, pour profiter du lac, pour voyager », dit ce grand-père de cinq petits-enfants.
Euh.... non ? Pas vraiment. En tout cas pas maintenant. Me Silcoff a encore beaucoup à donner à sa passion première, le droit.
C’est ainsi qu’il est devenu avocat-conseil chez LCM, cabinet-boutique de 17 avocats, de la taille de ceux où il a évolué durant toute sa carrière, avant de devenir juge, en 2000, à la Cour supérieure du Québec.
« Mon environnement naturel est un cabinet comptant une quinzaines d’avocats. Je n’ai rien contre les gros bureaux, les Norton Rose, les Stikeman Elliott… Je n’ai que de bons commentaires à faire sur eux. Mais mes compétences et ma personnalité sont plus compatibles avec un cabinet comme LCM. »
Durant ses 17 ans comme juge, il a vu des avocats de cette firme plaider devant lui et constaté « leur intégrité et leurs compétences». « J’ai fait mes évaluations, dit Me Silcoff. Cela m’a amené à me dire : voici l’environnement où je veux travailler, avec des valeurs qui correspondent aux miennes. »
« On est ravi de l’avoir avec nous ! Il aura beaucoup de succès dans cette troisième carrière », dit son nouveau collègue, l’associé-directeur Me Sébastien C. Caron. « Notre mission chez LCM est d’offrir des services de très hauts standards. Me Silcoff est un juriste d’exception. Il va nous apporter beaucoup. »
Rendre service aux clients
Joel Silcoff arrive avec ses cinq décennies d’expériences juridiques.
Comme avocat, ce diplômé de l’Université Columbia, à New York, a pratiqué le droit dans le domaine du litige corporatif et commercial, notamment chez Pouliot Mercure, avant sa fusion avec Miller Thomson. Il a représenté ses clients devant les tribunaux de tous les niveaux, jusqu’en Cour suprême.
Comme juge, il a été l'un des fondateurs de la Chambre commerciale de la Cour supérieure du Québec, et il a présidé de nombreux procès soulevant tout autant de questions, et rendu des décisions marquantes. Parmi elles, Joel Silcoff cite une cause impliquant BCE et ses projets de privatisation, qui s’est rendue jusqu’en Cour suprême, Churchill Falls contre Hydro Québec, en 2015, et une chicane mémorable entre Bell et Vidéotron.
Chez LCM, il agira évidemment comme imminence blanche. « Je suis ici pour rendre service aux clients du cabinet, pour regarder et analyser les dossiers, et pour aider les jeunes. »
Il les conseillera sur la meilleure façon de ne pas se mettre les juges à dos! « Mon premier conseil: préparez votre plaidoirie! Si vous le faites cinq minutes avant dans le corridor, vous courez au désastre. Facilitez la tâche des juges, rédigez vos documents de telle sorte qu’il puisse formuler leur jugement à partir de votre document. »
Et évitez les experts qui s’expriment dans un charabia incompréhensible. « Si vous ne les comprenez pas, le juge ne les comprendra pas non plus. »
Accrédité à titre d’arbitre et de médiateur, Me Silcoff fera de l’arbitrage commercial, tant domestique qu’à l’international. « J’ai mon expérience de juge dans l’arbitrage et je veux l’appliquer ici. »
Une table bien spéciale
Au moment de régler la venue de son nouvel avocat-conseil, Sébastien Caron a reçu de Me Silcoff une exigence absolument non négociable.
« Lorsque je suis venu pour signer, raconte ce dernier, j’ai dit: tout est beau pour les modalités. Mais je ne veux rien savoir de vos meubles ! Ils sont très beaux, ils ont de la classe, ils sont très design, mais pas pour moi ! » dit-il, pince-sans-rire, ajoutant: «j’ai un attachement personnel pour une table ».
Ce meuble, vieux de 1850, est celui que Joel Silcoff occupe depuis sa deuxième année de pratique comme avocat. C’est là-dessus qu’il a préparé les causes de ses clients, rédigé ses jugements et mis ses photos de famille et souvenirs de voyage.
« Le patron de mon premier cabinet, Me Laurent Bélanger, m’a dit lors de mon évaluation annuelle qu’il était très content de mon travail et m’offrait une augmentation de 500$ par année. J’ai accepté à une condition. Je lui ai dit: il y a une table un peu maganée qui traîne dans les bureaux, vous allez la faire restaurer, et ce sera ma table de bureau. C’était en 1969, et elle m’a suivi depuis…»
Sébastien Caron a bien sûr acquiescé à sa demande. Le meuble a été restauré une nouvelle fois. « Lorsque je suis revenu de vacances, le 23 février, pour ma première journée de travail, ma table était installée », dit Me Silcoff.
Le meuble, en bois verni et fioritures de style victorien, tranche avec le mobilier au design léché des bureaux nouvellement aménagés de LCM, boulevard de Maisonneuve.
« Ça fait partie de la diversité de LCM !» dit en riant Sébastien Caron.
Un mentor
Après 17 ans sur le banc, Joel Silcoff revient donc à la pratique du droit. Qu’est-ce qui a le plus changé?
« La pratique est plus structurée, plus spécialisée. À mes débuts, on était des hommes à tout faire. Par ailleurs, c’est devenu une business. Toutes les firmes doivent regarder l’efficacité, la productivité… Il y a une grande pression pour facturer », dit-il, ajoutant « qu’ici, ce n’est rien par rapport à Toronto et surtout, à New York ». Il aurait pu pratiquer dans la métropole américaine, à sa sortie de Columbia, et faire rapidement de gros salaires. « Mais selon moi, Montréal offre une qualité de vie nettement supérieure. »
La pression pour les jeunes est aujourd’hui plus forte, poursuit-il. « Les attentes sont plus élevées, mais je dirais des deux côtés: les jeunes veulent devenir associés rapidement. »
Dans ses moments libres, Joel Silcoff continuera de voyager. Au moment de notre rencontre, il revenait d’un séjour d’un mois en Amérique du Sud, plus précisément à Buenos Aires et à Lima, où il dit avoir mangé les meilleurs poissons crus, à la japonaise, de sa vie.
« On m’avait dit, attention, ce sont des villes dangereuses! », raconte-t-il, précisant qu’il avait été fort vigilant. « Eh! bien, à mon retour à Montréal, alors que je revenais de mon yoga, au centre-ville, j’ai trouvé ma voiture avec une vitre défoncée. Mon nouvel ordi, mon ipad, tout a été volé.. »
Qu’à cela ne tienne, un nouvel équipement l’attendait pour la poursuite de ce « troisième chapitre » de sa vie. Y en aura-t-il un quatrième? En blague, Joel Silcoff croit qu’Hollywood pourrait trouver des rôles à sa mesure. Il en a en tout cas l’allure et le bagou...