Deux ans avec Jordan
Radio -canada
2018-07-09 15:00:00
Par ce jugement, le plus haut tribunal du pays a fixé un plafond maximal pour le déroulement des procédures judiciaires, soit 18 mois pour une affaire devant une cour provinciale (à moins qu'il y ait enquête préliminaire) et 30 mois devant une cour supérieure.
Cette décision de la Cour suprême visait à répondre à la demande de Barret Richard Jordan, inculpé en décembre 2008 pour avoir pris part à une affaire de vente de drogue en Colombie-Britannique.
Déclaré coupable un peu plus de quatre ans plus tard, en février 2013, ses avocats ont porté la cause en appel, argumentant que ce délai de 49 mois était déraisonnable. La Charte canadienne des droits et libertés prévoit en effet que « tout inculpé a le droit d'être jugé dans un délai raisonnable ».
Depuis ce temps, le nombre d'accusés qui ont déposé une requête en arrêt des procédures pour délais déraisonnables a bondi.
« Avant, il y avait la possibilité, dans certains cas, de porter des accusations alors que certains éléments de preuve allaient nous être fournis un peu plus tard, explique le porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales, Jean-Pascal Boucher. Ça pouvait allonger les délais. Maintenant, on s'assure d'avoir tous les éléments dès le dépôt des accusations de façon à être plus efficace et de régler les dossiers plus rapidement. »
« Avant, on pouvait avoir un certain délai pour bien se préparer alors que maintenant tout est comprimé, tout est compressé », avance pour sa part l'avocat criminaliste Richard Dubé. « Ça fait en sorte que le rythme est différent. Ça a un impact, par exemple, sur les négociations de plaidoyer, sur la longueur des procès, les admissions qui sont sollicitées. Toute la gérance des procès est bouleversée. »
Des investissements pour juguler les retards
Les gouvernements des différentes provinces ont tenté de juguler les retards dans les palais de justice. Au Québec, la ministre de la Justice a annoncé en décembre 2016 l’embauche d’un plus grand nombre de juges et un investissement de 175 millions de dollars.
Malgré ces investissements, « il y a des barrières administratives et logistiques, à savoir un manque de juge, et un manque de salle dans les palais de justice », explique Me Sophie Gagnon, directrice générale de la clinique juridique Juripop. « Parfois les causes sont prêtes à procéder, mais il n’y a physiquement aucun endroit pour les entendre. »
Dans son dernier budget, Québec a réservé 500 millions de dollars d’ici cinq ans pour moderniser l’appareil judiciaire. Ainsi, 139 millions seront investis pour standardiser les méthodes de travail dans les 400 salles d’audience de la province et 289 millions seront utilisés pour opérer un virage technologique.
Des sommes qui sont bienvenues, notamment pour numériser la volumineuse documentation judiciaire. « Si vous alliez dans un greffe au palais de justice, vous vous sentiriez comme dans les années 70, parce que tout se fait avec le papier », confirme Me Gagnon.
« On ne s’est pas encore remis de l’onde de choc de l’arrêt Jordan et les changements sont encore en train de se faire », dit-elle encore.
De nombreuses suspensions
Plusieurs accusés ont bénéficié de l’arrêt Jordan. En octobre 2016, l’Albertain Lance Matthew Regan a été libéré de l’accusation de meurtre prémédité qui pesait contre lui, à la suite de la mort d’un codétenu en 2011.
Un mois plus tard, à Ottawa, l’ex-militaire Adam Picard, 33 ans, a été libéré de l’accusation de meurtre prémédité portée contre lui en 2012.
Sivaloganathan Thanabalasingam est le troisième accusé de meurtre au Canada à obtenir un arrêt des procédures et le premier au Québec.
La Cour supérieure a aussi ordonné l'arrêt des procédures contre l'influent membre des Hells Angels Salvatore Cazzetta dans une affaire de trafic de cigarettes.
À Québec, un ex-professeur de chimie et ses fils, accusés de production de drogue de synthèse, n’ont pas eu à subir leur procès.
Par contre, l’arrêt des procédures n’est pas systématique. Sept coaccusés du scandale de fraude municipale à Mascouche se sont fait refuser un arrêt des procédures. Idem pour six coaccusés du scandale Faubourg Contrecoeur.
Le tribunal a également rejeté la requête de l'ex-vice-première ministre Nathalie Normandeau et de cinq coaccusés pour arrêt des procédures pour délai déraisonnable.