Entrevues

Parajuriste, «je ne me sens pas subalterne!»

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Céline Gobert

2018-10-10 15:00:00

Pour celui dont le salaire avoisine les 100 000 $, le parajuriste n’est pas la dernière roue du carrosse mais un vrai partenaire d’affaires.
Marc-André De Sève, président de l'Association Canadienne des Parajuristes
Marc-André De Sève, président de l'Association Canadienne des Parajuristes
Si en Ontario, les parajuristes peuvent faire des actes judiciaires ou encore plaider aux petites créances, le Québec demeure plus frileux en la matière.

Pour autant, la formation reçue par ces professionnels «ne s’arrête pas à corriger ou à remplir des formulaires», explique à Droit-inc Marc-André De Sève, président de l'Association Canadienne des Parajuristes (CAP) et technicien juridique et secrétaire corporatif de Canadian Royalties, une société minière au Nunavik.

Durant leurs études, les parajuristes passent ainsi à travers toutes les sphères du droit, explique celui qui possède 15 ans d’expérience dans le milieu juridique. Ils sont ensuite capables de soulager l’avocat de bien des tâches : rédaction de procédures, recherche et analyse de documents, préparation de témoins.

Lui-même il lui arrive d’aider les avocats juniors en F & A. «Je leur montre la base, comment monter les contrats de prêts, que mettre comme cautionnement, etc. Contrairement à ce que certains pensent, le parajuriste n’est pas une secrétaire de luxe.» Celui-ci peut même prendre part à la stratégie de la firme, estime-t-il, avec un raisonnement juridique «aussi bon que celui de l’avocat junior».

Un bon salaire

Le salaire du parajuriste n’a pas à faire rougir non plus. Car si le tarif horaire d’un tel professionnel varie généralement entre 110 $ à 150 $, un parajuriste senior en droit corporatif peut gagner jusqu’à 100 K à 120 K par année. Un junior va commencer à 40 K.

Marc-André De Sève confie pour sa part avoir «un très bon salaire», qui avoisine les 100 K. Pas de quoi envier les avocats donc.

« Je ne me sens pas subalterne. J’aime aider une compagnie et participer à sa croissance», dit celui qui n’aurait de toute façon pas voulu avoir le mode de vie d’un avocat avec la pression qui va avec.

Quand on sait que le tarif horaire d’un avocat varie entre 235 $ et 500 $ (pour les plus «hot»), faire appel à un parajuriste va coûter moins cher. Pour les petits cabinets qui n’ont pas beaucoup de budget, c’est une aubaine. «Charger le tarif du parajuriste au client est plus avantageux pour lui. C’est plus facile de vendre le mandat», dit celui qui est le seul membre aux affaires juridiques de sa firme.

«Je gère le département juridique donc les frais sont moins élevés qu’un avocat à l’interne. Quand il y a des décisions légales à prendre, on va à l’externe.»

Le détenteur d’un diplôme d’études collégial en techniques juridiques et d’un certificat en droit des affaires se montre par ailleurs, à titre personnel, assez critique de certaines façons de fonctionner des cabinets.

«En tant qu’avocat, tu “bill”, tu “bill”, tu “bill”, pour montrer que t’as travaillé mais est-ce que ça vaut vraiment la peine d’être chargé?»

Par exemple, il a déjà vu des lettres transférées par courriel être facturées 45 dollars. «45 dollars juste pour m’avoir envoyé ça…? Je ne parle pas au nom de tout le monde mais il y a d’autres façons de faire en matière de facturation comme des forfaits par exemple.»

La clé, c’est la confiance en soi

Le mois dernier, Marc-André De Sève est allé à la rencontre des étudiants du Collège O’Sullivan et du Cegep de Saint-Jérôme pour parler des réalités de son métier.

Face aux futurs parajuristes, qui sont encore nombreux à abandonner le programme en cours de route (il n’est pas rare de voir une cohorte se réduire de 40 à 15 étudiants en trois ans), le juriste de 37 ans a répété qu’il fallait gagner en confiance et ne pas hésiter à prendre sa place au sein des cabinets : «Vous n’êtes pas en-dessous de l’avocat, il faut aller de l’avant!», leur a-t-il dit.

Pour lui, tout est une question de confiance. «Beaucoup vont être gênés de demander, de s’impliquer davantage et de se démarquer dans le bureau, mais il ne faut pas avoir peur de ses compétences et des connaissances qu’on a apprises.»

Il insiste d’ailleurs sur l’importance de se demander “pourquoi je fais cette tâche-là?”, et de ne pas se contenter de seulement la faire. «Trouvez un mentor, prenez le temps de montrer que vous voulez être formés. Les jeunes diplômés ne vont pas grandir s’ils ne font pas ça.»

Les cabinets s’arrachent les parajuristes

Cette confiance apparaît pour le moins nécessaire sur un marché du travail par ailleurs impitoyable pour les parajuristes. Car la réalité des jeunes diplômés est difficile explique Marc-André De Sève, puisque les employeurs ont tendance à n’embaucher que des parajuristes avec trois à cinq ans d’expérience.

«On dirait qu’ils ont oublié qu’eux aussi ont dû se trouver un travail! La compétition est féroce, les cabinets se volent entre eux les parajuristes. C’est le bonheur pour les parajuristes car ils ont accès à des salaires élevés, et de super conditions de travail.»

Cela dit, M. De Sève déplore que les cabinets oublient d’investir dans les juniors pour le long-terme. «La lacune est là, ils n’ont pas le temps de les former.»

Autre revers de la médaille : la loyauté et la fidélité se perdent. «Il faudrait plutôt essayer de développer un sentiment d’appartenance chez les parajuristes.»

Aux étudiants, il conseille d’appliquer à des postes même s’ils n’ont pas les années d’expérience requises.« L’ancien poste que j’avais, ils demandaient cinq à 10 ans d’expérience, finalement ils m’ont pris à la sortie de l’école et ont choisi d’investir en moi.»

Il faut vendre sa personnalité, dit-il. « Car au-delà des compétences il s’agit de savoir si l’on a envie ou pas de passer 40 heures ou plus avec vous par semaine.»

D’ailleurs, aux intéressés, il précise que ce sont actuellement le corporatif et le litige qui recrutent le plus de parajuristes.

« En quatre ans, je vois une grande différence : les grands cabinets reconnaissent davantage le métier, ils voient le potentiel. C’est plus problématique dans les plus petits cabinets dans lesquels ils ne pensent pas que ça puisse être pratique.»

Ironique quand on sait que de nombreux avocats acceptent maintenant des jobs de parajuristes parce qu’ils ne trouvent pas de jobs…
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