Robert Brouillette radié !
Jean-francois Parent
2019-04-19 15:00:00
Le Conseil de discipline du Barreau, dans une décision sur sanction de 209 pages dont Droit-Inc a obtenu copie, met ainsi un terme aux procédures lancées contre l’ex-associé qui bataille contre le conseil depuis 2016.
Il écope d’une radiation temporaire de deux ans.
Coupable sur tous les chefs
Bien connu dans le Tout-Montréal entrepreneurial, Robert Brouillette écope d’une condamnation sur chacun des 14 chefs d’accusation déposés contre lui en discipline, allant du recours à des « procédés purement dilatoires » à l’utilisation sans droit de sommes déposées en fidéicommis en passant par le conflit d’intérêts et la tentative « d’induire le Tribunal en erreur. »
Il est également reconnu coupable d’avoir entravé l’enquête du syndic Claude G. Leduc, qui se penchait sur des actes posés entre 2008 et 2013.
« Je vais contester devant le Tribunal des professions », déclare le principal intéressé à Droit-Inc, invoquant des « erreurs » dont il ne précise pas la teneur.
Pour l’heure, son nom ne figure toutefois plus au Tableau de l’Ordre, et son cabinet ne le présente plus comme avocat. « Je n’ai pas le choix de me plier à la décision du Conseil, même si je ne suis pas d’accord », dit-il.
Le beurre, l’argent du beurre...
Les quelque 800 paragraphes de la décision racontent l’histoire d’un homme qui investit dans des entreprises, y siège comme administrateur, les conseille juridiquement et les représente dans les litiges, au détriment de la déontologie et de la bonne administration de la justice.
L’affaire Tonalité, un fournisseur de services numériques, est éloquente à cet égard.
Tonalité a été fondée quelques années plus tôt par un partenaire d’affaires de Robert Brouillette, Pierre Turgeon, lequel comptabilise trois faillites à son actif entre 1998 et 2013 et est actuellement poursuivi au criminel pour « faillite frauduleuse », relève le conseil de discipline.
Lorsqu’un différend éclate avec deux des actionnaires de la société, en 2009, Robert Brouillette prend une créance contre ces deux actionnaires, Sophie Goyette et André Émond. Il est donc créancier, avocat, actionnaire et administrateur de l’une ou l’autre des deux parties en litige.
C’est relativement à cette affaire notamment que les quatre chefs d’abus de procédures sont retenus contre Robert Brouillette, qui multiplie les « réclamations extracontractuelles, délictuelles ou contractuelles », entre 2008 et 2013.
Cela relève de la « propension à la surenchère hors de toute proportion avec le litige réel entre les parties ou sont dilatoires ou dans le but de nuire », tranche le Conseil de discipline. Ce dernier constate ainsi qu’une même requête est déposée dans plusieurs instances, ou bien encore que Robert Brouillette s’oppose à la requête en faillite déposée par les Émond-Goyette, alors qu’il savait que Tonalité n’arrivait plus à satisfaire ses créanciers.
L’une des procédures avait justement pour objet la créance prise contre les deux actionnaires de Tonalité. Une situation « particulièrement grave et inquiétante », écrit l’un des juges d’instance. Trois autres des magistrats qui ont entendu l’un ou l’autre des dossiers dans l’affaire Tonalité sonnent d’ailleurs l’alarme quant aux agissements de Robert Brouillette, remarque le conseil de discipline.
C’est pour avoir dissimulé sa réelle implication auprès de Tonalité pendant ces multiples procédures que l’accusation d’avoir tenté de berner le tribunal a été retenue contre M. Brouillette.
Sophie Goyette est aujourd’hui signataire d’un recours civil totalisant 2,7 millions de dollars contre Robert Brouillette.
… et la crémière!
Autre cas illustrant les nombreux manquements de Robert Brouillette : l’affaire Halperin.
Ian Halperin est biographe des vedettes, et ses ouvrages se vendent notamment aux États-Unis.
En 2009, Pierre Turgeon fonde l’éditeur Transit pour soutenir le biographe, qui propose des livres sur Guy Laliberté, Brad Pitt et Angelina Jolie, Céline Dion et Michael Jackson.
Encore ici, Robert Brouillette participe au capital de la société, dont il est également l’avocat. Dans ses négociations contractuelles avec Transit, Ian Halperin n’a aucune idée qu’il transige à la fois avec l’avocat et l’actionnaire de l’éditeur.
D’où les accusations de conflit d’intérêts. « Me Brouillette porte les chapeaux d’avocat, actionnaire, administrateur, secrétaire et cosignataire des opérations bancaires de Transit en tout temps », note le conseil de discipline, qui observe un rôle « ambigu dans plusieurs contextes ».
De cette affaire origine également l’inculpation d’avoir utilisé le compte en fidéicommis « de façon complaisante et comme un service bancaire », notamment en l’utilisant pour traiter les affaires courantes de Transit.
En outre, Robert Brouillette a utilisé ce compte pour percevoir les droits et les avances versées à Ian Halperin pour payer les frais juridiques d’une autre société… Tonalité. D’où un 14e chef d’accusation.
Ian Halperin tente toujours de recouvrer plusieurs dizaines de milliers de dollars auprès de Robert Brouillette.
« Un continuum d’infractions »
La décision sur sanction relate « un continuum d’infractions » illustrant « à quel point l’intimé est indifférent à ses obligations déontologiques ».
Dans les plaidoiries sur sanction, le témoignage de Robert Brouillette laisse entendre « qu’il se place continuellement en situation de conflit d’intérêts », et qu’il semble vouloir continuer de le faire, observe le tribunal disciplinaire.
Dans sa dissidence, l’une des trois membres du conseil, Marie-Hélène Beaudoin, invoque à plusieurs reprises le danger que fait courir Robert Brouillette à l’image de la profession. Me Beaudoin est dissidente quant aux sanctions imposées, estimant qu’une année de radiation et 65 000 dollars d’amendes enverraient le signal adéquat. Elle soutient également qu’il faudrait lui imposer des stages et de la formation.
Son obiter soulève de nombreuses inquiétudes face à un professionnel qui blâme « les avocats, les juges et le conseil de discipline » plutôt que de se livrer à une introspection.
« Qu’un avocat avec autant d’expérience (…) ne comprenne pas (…) ce qu’est un ‘’client’’ a de quoi surprendre », s’inquiète-t-elle.
Elle relève d’ailleurs que le problème risque de se poser pour le cabinet Brouillette Légal dans son ensemble. Car il fait bénéficier largement les entreprises qu’il finance de son département de litige. Cela fait craindre que « l’analyse des conflits d’intérêts » soit contraire aux obligations déontologiques, conclut-elle.
Notons par ailleurs que la décision rendue le 12 avril dernier par le Conseil de discipline du Barreau du Québec est la 9e au total dans toute cette affaire. C’est Isabel J. Shurman, de Schurman Grenier Strapatsas, qui représente Robert Brouillette dans ce dossier, et qui pilote l’appel logé au Tribunal des Professions.