Un avocat en croisade pour l’aide juridique
Mathieu Galarneau
2019-09-17 15:00:00
Il a d’ailleurs refusé de représenter un client, Michée Roy, pour son second procès. Selon Me Doyon, il ne dispose pas des ressources nécessaires pour défendre ce client. Droit-inc s’est entretenu avec lui pour mieux comprendre sa croisade pour un meilleur système d’aide juridique.
Droit-inc : Pourquoi dites-vous que ça en vient à être à vos frais?
Félix-Antoine Doyon : Dans un dossier complexe, il faut préparer notre dossier pour répondre aux exigences des tribunaux. Or, on n'est pas payé pour cette préparation. On est simplement payé pour faire acte de présence à la cour. Dans la mesure où notre nom apparaît dans un procès verbal, que ça dure 15 minutes ou six heures, le tarif est le même. Alors, nous, on se retrouve à financer littéralement nos dossiers. Les dossiers complexes demandent plusieurs heures de préparation si on veut être en mesure de faire notre travail avec compétence et de répondre aux exigences des tribunaux en matière d'utilisation adéquate des ressources de la cour.
L'arrêt Jordan a révolutionné la pratique et de toute évidence, le tarif d'aide juridique est archaïque en ce moment, il n'est aucunement adapté aux nouvelles exigences de la cour. Fondamentalement, le système de justice n'est pas conçu pour les avocats, ni pour les juges, mais pour le justiciable. Et maintenant, le justiciable est incapable de se trouver un avocat compétent pour piloter une affaire complexe. C'est un non-sens. Je considère que la primauté du droit est atteinte. Le justiciable moins bien nanti n'a pas accès à la justice comme les autres peuvent y avoir accès.
Et les avocats doivent quand même mettre du pain et du beurre sur la table…
Les avocats qui ont des enfants, des obligations autres que professionnelles, ne peuvent pas se permettre de travailler non seulement gratuitement, mais de financer littéralement des dossiers. Ça devient complètement irresponsable comme système d'aide juridique.
Est-ce que c'est terminé pour vous les mandats d'aide juridique?
J'ai coutume d'accepter des mandats d'aide juridique lorsque, selon moi, il y a une injustice dans un dossier. Je les accepte en fonction de la question en litige, point final.
Je me suis rendu compte dans ma pratique que plusieurs clients admissibles à l'aide juridique subissaient des injustices flagrantes. Par expérience, ce sont des gens dans le besoin, sans argent, qui subissent le plus d'injustice.
Dans le dossier de Michée Roy, c'est le comble de l'injustice! C'est quelqu'un qu'on accuse d'avoir secoué à mort son enfant, on peut raisonnablement croire qu'il risque 12 ans de prison. Malgré les demandes pour être payé pour préparer mon dossier, on me les refuse systématiquement. Ce n'est pas de la mauvaise foi de la part de l'aide juridique, la loi ne le permet tout simplement pas. C'est la raison pour laquelle il faut la changer, mais la volonté politique en ce moment semble très faible.
Je suis contre l'idée d'entraver les tribunaux avec des grèves, alors mon recours en bonne et due forme me semble un moyen raisonnable d'adresser la situation.
Vous sentez-vous seul dans votre prise de position? Sentez-vous que vous avez l'appui de vos confrères et consoeurs?
Je ne suis pas seul à crier à l'injustice. Plusieurs d'entre nous au sein du Barreau aimons cette idée que de venir en aide aux gens dans le besoin... Mais encore faut-il être payé un minimum pour pouvoir le faire. De plus en plus, les avocats délaissent les mandats d'aide juridique, et ce n'est pas pour rien. On a beau être des avocats de principes, on ne peut pas payer pour représenter nos clients.
On ne veut pas devenir millionnaires à faire de l'aide juridique. Je suis pleinement conscient que les fonds publics sont très précieux. Un avocat qui prend un mandat d'aide juridique ne peut pas s'attendre à faire des centaines de milliers de dollars, mais raisonnablement il devrait s'attendre à recevoir quelques dizaines de dollars de l'heure pour être en mesure de préparer son dossier. Il y a juste au Québec que la loi ne le permet pas, partout ailleurs au Canada, selon mes recherches, on prévoit des tarifs pour les dossiers complexes.
Ferez-vous de la pression également au niveau politique?
FAD : Je ne suis pas un politicien, mais simplement un juriste qui constate un accroc systémique à l'équité procédurale. Pour une personne accusée d'homicide, par exemple, l'État a toutes les ressources: souvent deux procureurs et un enquêteur à temps plein sur un dossier. On dit à l'accusé: "vous avez droit à une défense" mais on lui alloue 550 $ de somme forfaitaire. En partant, ce n'est pas juste. Il y a une limite au déséquilibre, et présentement, c'est inacceptable.
C'est donc impossible de faire de l'argent avec l'aide juridique pour un avocat?
FAD : C'est un autre problème du système forfaitaire actuel. Un avocat pourrait décider dans une journée de prendre huit mandats d'aide juridique et faire plaider coupable tous ses clients. C'est 550 $ fois huit. C'est payant. Si j'ai travaillé une heure par dossier, c'est 550 $ de l'heure. Ça n'a pas de bon sens pour l'aide juridique!
C'est pour ça aussi qu'on clame haut et fort que la tarification est archaïque. Il n'est pas adapté à la pratique actuelle. C'est une évidence, mais ça prend une volonté politique pour changer les choses. À ma connaissance, elle n'est pas présente en ce moment, quoique la ministre se soit dite interpellée par le dossier, mais ça prend une réforme majeure et davantage de fonds injectés.
Je ne peux pas croire que comme société civilisée, on ne soit pas capable d'injecter quelques centaines de millions de dollars dans le régime d'aide juridique pour répondre aux exigences de la justice.
C'est une des bases de notre démocratie.
Oui, la justice est un pilier de notre démocratie. Ça fait des dizaines d'années qu'on n'injecte pas assez de fonds dans le système de justice, mais maintenant il faut le faire, parce qu'il y a un problème d'accès à la justice. Injecter des fonds publics, ce n'est peut-être pas populaire, mais c'est nécessaire pour la justice.