Une approche plus libérale ?
Karim Renno
2013-01-29 14:15:00
Sans surprise, cette disposition a donné lieu à des débats en jurisprudence et en doctrine quant aux éléments essentiels à retrouver dans une clause d’élection de for pour qu’elle soit respectée par les tribunaux québécois. En effet, bien que la règle mise de l’avant par la Cour suprême dans l’affaire ''Zodiak International'' c. ''Polish People’s Republic'', (1983 1 R.C.S. 529), selon laquelle il est nécessaire de retrouver une clause compromissoire « ''parfaite'' » pour exclure la juridiction des tribunaux en faveur de l’arbitrage, a été également appliquée aux clauses d’élection de for, la notion de perfection a fait couler beaucoup d’encre.
Traditionnellement, les tribunaux québécois se sont montrés assez exigeants, insistant pour que le libellé de la clause ne laisse aucun doute quant à l’intention des parties de soumettre exclusivement tout litige à la juridiction d’un tribunal étranger donné. Cette tendance se manifestait aussi récemment que dans la décision de novembre 2010 de la Cour d'appel dans ''Bedford Resource Partners Inc.'' c. ''Adriana Resources Inc.'' (2010 QCCA 2030).
Dans cette affaire, la Cour avait jugé que la formulation suivante n'était pas suffisante pour exclure la juridiction des tribunaux québécois : "''the parties hereby attorn to the jurisdiction of the Courts of British Columbia in respect of all matters arising hereunder''" parce que n'y apparaissait pas le mot "''exclusive''" (ou un autre indice du caractère exclusif de ce choix). Ce faisant, la Cour s’est arrêtée exclusivement sur la formulation de la clause.
Une telle méthode d’interprétation ne cadrait pas très bien avec le droit québécois des obligations en général, où les tribunaux nous enseignent que l’on doit rechercher la commune intention des parties et pas nécessairement s’arrêter au libellé strict d’une clause. Ce choix n’en était pas pour autant incompréhensible, la présomption qui sous-tendait cette approche étant que si les parties voulaient renoncer irrévocablement à la possibilité de s’adresser aux tribunaux québécois, il fallait retrouver dans la clause même une expression de volonté incontestable et inébranlable.
Or, la très récente décision de la Cour d’appel dans ''PIRS, s.a.'' c. ''Compagnie d'arrimage de Québec ltée.'' (2013 QCCA 31), semble marquer un tournant puisque la Cour y adopte une approche beaucoup plus libérale à l'application de la clause d'élection de for.
Dans cette affaire, la clause d'élection de for est rédigée comme suit:
« ''Les parties feront leurs meilleurs efforts pour régler à l’amiable tout différend relatif à la présente lettre qui naîtrait notamment à l’occasion de sa validité, de son interprétation, de son exécution ou de sa résiliation. Tout différend qui ne pourra être résolu à l'amiable par les parties ainsi qu’il est dit ci-avant, dans un délai de TRENTE (30) jours à compter de sa survenance, sera soumis au Tribunal de Commerce de DRAGUIGNAN.'' »
Le juge de première instance a rejeté la requête de l'appelante en exception déclinatoire parce que, entre autres motifs, les clauses pertinentes de la convention en cause (i) n'étaient ni mandatoires ni obligatoires et (ii) n'excluaient pas expressément la compétence des tribunaux québécois.
Un banc unanime composé des Honorables juges Morissette, Hilton et St-Pierre vient renverser cette décision. En effet, la Cour indique que ce n'est pas sur la terminologie stricte qu'il faut s'arrêter, mais plutôt sur l'intention commune des parties. Or, une analyse de cette intention mène ici la Cour à la conclusion que les parties ont voulu soumettre tout différend aux tribunaux français :
« (9) (...) ''En d’autres termes, le formalisme qui à une certaine époque a animé la jurisprudence sur les clauses de choix de for n’est plus de mise : il faut rechercher l’intention réelle des parties sans s’arrêter à des considérations d’ordre uniquement terminologique''.
(10) ''Or, s’il est vrai que, comme le relève le juge de première instance, les clauses 6.10 et 6.11 de la Convention de résiliation, sont rédigées différemment de celles en cause dans l’affaire Grecom, ces clauses n’en sont pas moins parfaitement claires et explicites. L’arrêt Grecom ne dicte pas de formulation obligatoire pour une clause contractuelle de choix de for. En l’occurrence, il ne peut faire de doute que, dans l’esprit de l’appelante et de l’intimée lorsqu’elles conviennent des modalités de la Convention de résiliation, le Tribunal de commerce de Draguignan est le seul tribunal compétent pour trancher « tout différend » visé par cette convention, et ce faisant, il doit appliquer le droit français. Comme une simple lecture de la Convention de résiliation démontre que le différend soulevé par la requête introductive d’instance en garantie en est bel et bien un visé par la clause 5.1, l’exception déclinatoire était fondée.'' »
On voit donc là un effort clair de la Cour d’appel d’harmonisation de l’interprétation des clauses d’élection de for avec le droit des obligations québécois et l'objectif du législateur en matière de droit international privé quant aux questions de juridiction (i.e. respecter, sauf exceptions, la volonté des parties quant au situs d'un litige). Personnellement, j’applaudis cette initiative.
Sur l'auteur:
Karim Renno est associé dans le cabinet Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.