Affaire Jennifer Lawrence : l’avis des avocats
Julien Vailles
2016-08-25 13:15:00
Mes Sébastien Fiset, associé fondateur du cabinet Fiset Légal, et Nikolas Blanchette de Fasken Martineau, interrogés au début de l’affaire par Droit-inc, se prononcent de nouveau, cette fois à la lumière du jugement rendu il y a une semaine dans le dossier.
Droit-inc : Qu'est-ce qu'il faut conclure du jugement?
La clause interdisant la location à court terme a été interprétée de telle sorte à ne pas empêcher les défendeurs d’occuper l’immeuble pour une durée inférieure à 12 mois, explique Me Blanchette. Le tribunal a fait la distinction entre la « location » et « l’occupation » des unités de copropriété. La clause en litige n’interdisait pas l’occupation temporaire, par opposition à la location pour une période inférieure à 12 mois.
Il serait donc inapproprié d’empêcher les défendeurs de permettre la présence de Madame Lawrence, alors que les propriétaires avaient l’intention qu’elle occupe l’unité de copropriété, ce qui n’est pas interdit en vertu de la déclaration de copropriété de l’immeuble. En ce sens, le tribunal adopte une interprétation stricte et restrictive de la clause, en favorisant le droit des copropriétaires à la pleine jouissance de leur unité de copropriété, conclut Me Blanchette.
Par ailleurs, l’interdiction à la déclaration de copropriété (par exemple sur la durée minimale d’un bail prévu au règlement d’immeuble) doit avoir été portée à la connaissance du locataire avant la signature du bail, ajoute Me Fiset. Dans les faits, cela pose un vrai problème. Nombreux sont les locataires et plus encore les occupants qui ne se font pas remettre de règlement d’immeuble par les copropriétaires.
On se trouve alors dans une copropriété à deux vitesses : les copropriétaires pourraient avoir intérêt à ne pas dénoncer le règlement de l’immeuble à leur locataire et occupant, ce qui permettrait de contrer une demande du syndicat en résiliation de bail!
Enfin, on peut déduire de la décision que la Cour sera très réticente à émettre des injonctions pour faire annuler un bail déjà signé, précise Me Fiset. Cependant, elle serait disposée à octroyer des dommages-intérêts et à appliquer des clauses pénales à la déclaration de copropriété, si un copropriétaire et son locataire ne respectent pas la durée du terme du bail prévue au règlement d’immeuble.
Quelles répercussions le jugement aura-t-il?
Dans cette optique, Me Fiset voit des répercussions importantes en ce qui concerne le droit d’un syndicat de faire résilier un bail préalablement signé entre un copropriétaire et son locataire avant l’institution d’un recours judiciaire, si l’article 1079 C.c.Q. ne trouve pas application, comme cela fut le cas dans ce dossier.
Il rappelle par ailleurs que le Règlement sur les établissements d’hébergement touristique interdit la location à des touristes, contre rémunération, d’une unité d’hébergement pour une période de moins de 31 jours, à moins que ce soit sur une base occasionnelle. Vient-on d’ouvrir la brèche au recours à l’occupation touristique en masse et aux simulations et contre-lettres? se demande-t-il.
Par ailleurs que faire avec les membres de la famille du copropriétaire ou du locataire, ou les touristes ayant recours à Airbnb, qui occupent le logement quelques jours? Faudra-t-il limiter les termes et les durées des occupations ou des visites en plus de réglementer la durée minimum des baux des locataires? Dans quelle mesure sera-t-il possible de le faire? se questionne Me Fiset.
Selon Me Blanchette, la décision rendue démontre à quel point les clauses visant la restriction à la location à court terme doivent être rédigées de façon précise et minutieuse pour qu’elles puissent être appliquées avec la portée recherchée.
Selon vous, une des parties aurait-elle des motifs d'appel?
Sans se prononcer directement, Me Blanchette est d'avis qu'il faudra suivre avec intérêt le dénouement de cette affaire, et voir si la décision sera portée en appel par la partie demanderesse.
Des motifs pourraient être invoqués dans le but de faire éclaircir par la Cour d’appel certains points de droit du jugement, croit Me Fiset. Selon lui, le jugement ouvre la porte à des contre-lettres et simulations tant sur la date de la signature du bail, la connaissance par le locataire d’une restriction à la déclaration de copropriété, la réelle durée du bail, que sur le fait d’être subsidiairement un « invité » ou « occupant » autorisé du copropriétaire-locateur. En effet, toute preuve contraire est difficile à établir et exigeante pour un syndicat de copropriété, nous dit Me Fiset.
Finalement, quelle opinion portez-vous sur le jugement?
La décision est fondée en droit, compte tenu de la preuve présentée et des conclusions recherchées en cette affaire et qui ne se basaient pas sur l’article 1079 C.c.Q. (en matière de copropriété), indique Me Fiset. Cependant, l'avocat estime qu’il pourrait peut-être y avoir des motifs légitimes d’appel. Le fait, pour un locataire, de devenir un « invité » si le bail est résilié ou déclaré nul, équivaut-il à une nouvelle simulation au sens du Code civil? Une question qui mérite réflexion, croit-il.
Et vous, qu'en pensez-vous?
Ancien étudiant de l’Université de Montréal, Me Nikolas Blanchette a été admis au Barreau en 2006. Chez Fasken Martineau depuis 2008, il se spécialise en litige immobilier et contractuel.