Analyse juridique

Conseillers juridiques c. cabinets

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Jean-francois Parent

2016-12-06 14:30:00

Les cabinets perdraient de plus en plus de mandats avec leurs clients du monde corporatif. La raison? Les avocats externes des cabinets peinent à s’adapter aux besoins changeants des clients…
Jordan Furlong, directeur du consultant ontarien Law21
Jordan Furlong, directeur du consultant ontarien Law21
Les avocats externes des cabinets peinent à s’adapter aux besoins changeants de leurs clients, se plaignent les conseillers juridiques.

Les consultants en gestion des affaires juridiques de l’américaine Altman Weil viennent de publier les résultats de leur enquête annuelle auprès des chefs de services juridiques, et les conclusions sont sans équivoque : les cabinets ne livrent pas la marchandise.

Qu’on en juge : dans la dernière année, plus de la moitié des quelque 1400 services juridiques interviewés par Altman Weil disent avoir changé de cabinet.

Parmi les raisons invoquées, « 53 % des départements juridiques ont résilié des mandats de plus de 50 000$ en raison d’un mauvais service client, 41 % parce que ça leur coûtait trop cher, et 30 % en raison de problèmes d’efficacité organisationnelle », note le rapport de Altman Weil.

« C’est un refrain qu’on entend de plus en plus au Canada. L’insatisfaction est là, et elle est palpable », remarque le directeur du consultant ontarien Law21 Jordan Furlong.

Il constate que la concurrence de plus en plus féroce en provenance de tiers offrant des services juridiques est en forte croissance. « Il y a ce qu’on appelle des services d’opérations juridiques, qui proposent la gestion documentaire, la preuve électronique et toutes sortes d’autres tâches cléricales qui peuvent très bien être effectuées par d’autres que des avocats junior, et à moindre coût », signale à Droit-inc Jordan Furlong.

Sous-traitance en hausse

D’ailleurs, Altman Weil relève que la sous-traitance de telles activités par les sociétés est en croissance : plusieurs tâches, comme la gestion des contrats ou la recherche sont confiées à de petits opérateurs. C’est entre 10 et 30 % des tâches juridiques qui sont confiées à des sociétés spécialisées dans l’analyse d’affaires ou la gestion documentaire.

« Les cabinets continuent d’agir comme si les mandats qui ont disparu allaient revenir. Mais le fait est que de plus en plus de concurrents occupent l’espace jadis occupé exclusivement par les avocats », signale Jordan Furlong.

Il donne l’exemple des grands bureaux comptables qui se dotent d’équipes de juristes pour justement rafler des parts de marchés aux cabinets. Deloitte, par exemple, a acquis le cabinet Conduit Law pour justement élargir son offre.

Et les cabinets qui se spécialisent dans le corpo ne sont tout simplement pas de taille à lutter contre les Big Four. « Les plus grandes firmes d’avocats au monde comptent environ 7000 associés. La plus petite des grandes boîtes comptables en a environ 150 000… »

Un problème connu

Jean-François Denis, président pour le Québec de l’Association des conseillers juridiques d’entreprises.
Jean-François Denis, président pour le Québec de l’Association des conseillers juridiques d’entreprises.
« Le problème de l’insatisfaction des avocats en entreprise vis-à-vis des avocats en cabinets est bien documenté et connu depuis longtemps », explique Jean-François Denis, président pour le Québec de l’Association des conseillers juridiques d’entreprises.

Celui qui est également conseiller juridique principal chez l’avionneur Bombardier constate cependant qu’un autre problème est relevé par l’étude d’Altman Weil. « On constate que 59% des associés directeurs des cabinets ont indiqué ne pas changer leurs façons de faire parce que leurs clients ne le demandent tout simplement pas. »

En clair, les cabinets ne changent pas, mais les conseillers ne le demandent pas non plus.

Selon Me Denis, cela signale que les conseillers d’entreprise doivent établir un dialogue plus constructif et mieux définir ce qu’ils souhaitent obtenir comme changement de la part des cabinets. « Et pour y arriver, il faut aller au-delà d’une simple demande de réduction des taux horaires, mais plutôt viser des changements en profondeur. »

Améliorer la performance

La facturation, la gestion documentaire, des indicateurs de performance, une meilleure évaluation des coûts globaux d’un dossier, « ce sont là autant de sujets sur lesquels les cabinets peuvent innover », soutient Jean-François Denis.
Les entreprises mettent beaucoup d’accent sur l’amélioration des processus, et s’attendent à ce que les cabinets en fassent autant, plaident en substance Me Denis et Jordan Furlong.

Sans quoi, ce qui se produit aux États-Unis, où plus du tiers des conseillers d'entreprises disent qu’ils augmenteront leurs ressources internes, pourrait bien arriver au Canada et divertiront une bonne part de leurs mandats externes ailleurs que dans les cabinets. « Nous n’en sommes pas encore là », soutient Me Denis, qui remarque que le recours à la sous-traitance y est plus lent que chez nos voisins du Sud.

Il reste cependant que, d’après les chiffres colligés par l’ACC, un avocat interne coûterait moitié moins cher qu’un avocat externe.

Il y a là matière à réflexion, conclut Jordan Furlong. « Il y a pour l’instant beaucoup d’inertie: changer de cabinet coûte cher, et c’est lourd. Mais les petites firmes spécialisées qui obtiennent des mandats des sociétés le disent: pour chaque dollar qu’elles génèrent en revenus, les cabinets d’avocats en perdent quatre… »
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