Servir le mauvais plat est-il une négligence criminelle?
Theodora Navarro
2016-08-05 15:00:00
Simon-Pierre Canuel, résident de Gatineau, a dû être hospitalisé en urgence et a frôlé la mort, de son propre aveu. Quelques semaines plus tard, il a décidé de porter plainte contre le serveur. Un policier est venu arrêter le jeune homme mercredi.
Les faits pourraient-ils être constitutifs d’une négligence criminelle? Trois criminalistes donnent leur avis.
Pour Me Véronique Robert, avocate criminaliste pour Roy Robert Avocats, lorsque l’on parle de négligence criminelle, il y a un élément central à prouver. Il faut montrer que le geste ou l’omission constitue une insouciance ou une témérité déréglée.
« On évoque le fait que le serveur avait été mis au courant de l’allergie par le client. C’est important certes, mais c’est aussi une évidence, sinon il n’y aurait même pas débat, explique-t-elle à Droit-inc. La question est de savoir si le fait constitue une insouciance proche de la folie furieuse. Il ne peut s’agir d’une simple erreur, on ne parle pas d’une faute au civil, on parle d’un crime ici. »
On va donc se demander comment une personne raisonnable aurait agi dans un pareil cas. « Mais ce serveur, c’est la personne raisonnable! Une personne qui a commis une erreur. Est-ce qu’il a fait connaître la commande et l’allergie en cuisine mais que cela n’a pas été respecté? Est-ce qu’il ne s’est pas simplement, dans l’empressement, trompé d’assiette? Pour le moment on ne sait pas, il n’a pas donné sa version. »
Toutefois, elle ne voit pas comment un juge ou un jury pourrait décider que ce serveur a agi d’une manière téméraire à un point tel que c’en est de la folie.
Pour Me Valérie La Madeleine, avocate criminaliste, il pourrait y avoir des accusations de négligence criminelle.
« J’ai regardé les différents faits relayés par les médias au sujet de cette affaire. La victime a mentionné sa forte allergie, et confirme l’avoir dit au serveur. Selon la Cour Suprême et la Cour d’appel, il faut tenir compte du contexte, du comportement de l’accusé, des circonstances. »
Selon elle, il faut que la poursuite établisse hors de tout doute raisonnable qu’il s’agit d’un écart marqué avec le comportement d’une personne raisonnable.
« Je pense qu’il y a matière à une poursuite, que ça pourrait se défendre. Mais pour le moment, on voit juste un côté de la médaille. Il faudrait avoir l’histoire du serveur.»
Enfin, pour Me Danièle Roy, présidente de l’Association des avocats de la défense de Montréal, il est difficile de vraiment se prononcer puisque nous n’avons pas connaissance de l’ensemble des faits.
« On parle de négligence criminelle, pas d’une étourderie. Il faut que le comportement s’écarte singulièrement de ce qu’aurait fait une personne raisonnable, indique-t-elle. De prime abord, par rapport aux faits qui sont connus, il pourrait s’agir d’une erreur de bonne foi, d’une erreur d’assiette par exemple. Si le serveur peut faire la preuve qu’il a bien pris les précautions nécessaires dans les circonstances et que la suite est une simple erreur de bonne foi alors ça n’entraînera pas de déclaration de culpabilité. »
Et vous, qu’en pensez-vous?
Des serveurs de Sherbrooke se sont exprimés pour souligner que « l’erreur est humaine ». Sur Radio-Canada, une serveuse estime ainsi que la faute est partagée entre le client et le serveur, et qu’une accusation de négligence criminelle est « cher payée ».
Une autre, qui dit avoir déjà commis l’erreur d’apporter un tartare de saumon plutôt que du boeuf, tout comme le jeune serveur accusé, trouve qu’il y a un droit à l’erreur et que les clients exigent de plus en plus la perfection dans le service. S’ils reconnaissent faire « extrêmement attention » en cas d’allergies, les serveurs interrogés soulignent le fait qu’il est important de conscientiser les acteurs, tant du côté du service que de celui des clients.
Pour tous, la faute est partagée - une possibilité qui n’existe cependant pas en cas d’accusations en droit criminel - et la négligence criminelle une accusation « très grave », voire « excessive ».
Avocat
il y a 8 ansQuand t'as la santé fragile au point d'avoir des allergies fatales, mange autre chose que du tartare...
Anonyme
il y a 8 ansOn se fou un peu de la conduite de la victime honnêtement, là n'est pas le débat. Ce débat existera dans un procès civil, pas criminel.
Anonyme
il y a 8 anset encore, c'est d'encombrer les tribunaux.
Anonyme
il y a 8 ansÀ partir de quand est-ce que ça devient de l'encombrement des tribunaux?
Il y en a qui trouvent que ça envoie un drôle de message si des accusations devaient être déposées, mais quel message est-ce que ça envoie si aucune accusation ne l'était? Que les serveurs peuvent être négligents lorsqu'une allergie leur est signalée?
On ne commencera pas à accuser tous les serveurs qui ont servi le mauvais plat à un client, mais, à mon humble avis, à partir du moment où un client signale une allergie, le serveur devra porter un minimum d'attention au plat qu'il apporte à ce client spécifiquement. On ne parle pas d'une contamination accidentelle en cuisine ici et le serveur pourra continuer à se tromper long comme le bras pour tous les autres clients qui n'auront pas signalé d'allergie.
Et je partage l'avis de l'auteur du message de 15:17, la conduite de la victime au moment où elle a reçu le plat ne change rien quant à la commission ou non d'une infraction.
Par ailleurs, je me demande si tout le monde tiendrait le même discours à l'égard du client s'il en était mort.
Anonyme
il y a 8 ansLe mot "folie" revient souvent dans l'article...je suis curieux de savoir quel courant jurisprudentiel confirme que le législateur assimile le terme "téméraire" à un comportement près de la "folie".
Avocat criminaliste
il y a 8 ansEn effet, le mot folie sort d'un chapeau! Nul part on ne fait mention de la folie. Me Robert devrait relire sa jurisprudence.
Anonyme
il y a 8 ansDes parents qui oublient leur seul enfant dans une voiture et qui sont acquittes versus un serveur qui a de multiples clients a servir...l'erreur est humaine. Que dire de client qui se savait allergique et ne s;est pas donne la peine de retourner a sa voiture car trop fatigue et n'a pas regarde son plat...
Avocat
il y a 8 ansQuand on prend avec une fourchette une bouchée de tartare de saumon sans se rendre compte ce que cest, alors qu'on a commandé du bœuf, ceci entre effectivement dans le domaine de la folie.
Parajuriste
il y a 8 ansTes allergies? Ton entière responsabilité de les gérer. D'autant que tu es une personne adulte. Point à la ligne.