De la rue au Barreau

Agnès Rossignol
2014-07-10 15:05:00

Jetée dans la rue
Née à Montréal, Raphaëlle a connu dès son jeune âge un contexte familial difficile : enfant de parents séparés, elle a vécu au milieu de conflits permanents, victime de l’isolement en raison de déménagements très fréquents.
À l'âge de 12 ans, tandis que la famille s’installe à Gatineau, son père lui demande à maintes reprises de quitter la maison. Elle trouve souvent refuge chez des camarades de classe. Bonne élève, elle continue d'aller à l'école. À 15 ans, elle dort pour la première fois sur un banc. Puis, c’est la descente aux enfers: les nuits passées dehors sont de plus en plus fréquentes et deviennent systématiques, elle s'absente de l'école et commence à consommer de la drogue.
Le meurtre d'un de ses amis a été son déclic. « Avec d'autres jeunes sans-abris, on a décidé de s'en sortir, d'abord de manière inconsciente puis consciente. », raconte-t-elle.
Vouloir s'en sortir
La jeune femme fait alors une demande d’hébergement au Bureau des services à la jeunesse d'Ottawa dont elle utilise de nombreux programmes. Quand elle obtient son logement un an après en 2007, elle a presque 18 ans et commence une nouvelle vie.
Elle termine ses études secondaires et grâce à un travailleur social, elle obtient les fonds nécessaires pour effectuer une technique en travail social à la Cité collégiale et passer son permis de conduire. Elle gradue en 2010 et arrive deuxième de sa classe.
Mais l'étudiante, ayant vu et vécu plusieurs injustices, rêve de faire du droit et devenir avocate en droit criminel. Son diplôme et plusieurs bourses lui permettent d'entrer à l’Université d’Ottawa en droit civil.
« J'aime le travail social mais je voulais avoir un plus gros impact dans la vie des gens. Je veux aider les itinérants qui ont des problèmes avec la loi, au moment où ils en ont le plus besoin. La majorité ont subi de nombreux préjudices ».

Surmonter les difficultés aux études
Si aujourd’hui, Raphaëlle a complété son JD avec mention et inscription au Palmarès du doyen, c’est qu’elle a réussi à surmonter les épreuves avec pour objectif d’avoir une meilleure vie.
Malgré les services et programmes de l'université, les prêts et bourses et ses différents emplois sur le campus, elle a dû s'endetter. À plusieurs reprises, l'étudiante a failli lâcher, éprouvant des difficultés à se motiver mais surtout par manque de fonds pour payer son loyer et sa nourriture. Ayant perdu son logement, c'est grâce au service de fonds d'urgence de la faculté de droit civil qu’elle a pu compléter sa troisième année et graduer.
Pas évident non plus de créer des liens avec ses collèges de classe qui n'ont pas le même vécu. « On n'avait rien à se dire. Je n'ai parlé à personne de mon passé par peur d'être jugée ».
Éliminer les préjugés
Aujourd’hui, alors qu’elle a réussi à s’en sortir, elle a décidé de mettre à profit son expérience pour aider les jeunes qui traversent des épreuves difficiles. Selon la future avocate, il faudrait offrir des loyers plus abordables pour les jeunes itinérants, et avant tout, combattre les préjugés auxquels ils font face.
Elle a d’ailleurs donné plusieurs conférences afin de sensibiliser les étudiants aux problèmes de pauvreté, d’itinérance, de toxicomanie et de santé mentale.
« Plutôt que d’envoyer les jeunes toxicomanes de la rue en prison, il faudrait considérer leurs problèmes de santé mentale et prendre des mesures alternatives - comme une désintoxication forcée- pour qu'ils puissent s'en sortir », estime Raphaëlle.
Pour son travail communautaire, elle a reçu récemment le prix Gilles G. Patry Student Engagement Fund|http://web5.uottawa.ca/els/about/financial-patry-fund.php et a été nommée dans le Magazine Maclean comme l’une des futurs leaders du Canada âgés de moins de 25 ans dans la catégorie « Activism ».
Vers un nouvel avenir
La jeune femme effectue cet été un stage au sein du cabinet Gerami Law Professional Corporation|http://www.geramilaw.com/ourfirm.html, spécialisé en droit de l’immigration. Depuis janvier, elle travaille aux Travaux publics et Services du Gouvernement du Canada comme analyste de recherche junior à la Direction des enquêtes spéciales.
Les relations se sont améliorées avec sa mère qui l’a félicitée, mais elles sont toujours très tendues avec son père qui ne lui a pas lâché un bravo.
L'objectif immédiat de l’étudiante bilingue est de trouver un stage de 10 mois pour valider son Barreau, en droit criminel de préférence, droit de la famille, de l'immigration ou international public.
« Je cherche en cabinet, dans une clinique ou un bureau d'aide juridique. Je prendrai ce que je trouve d'intéressant et si c’est dans mes domaines, je serai contente », affirme celle qui se dit aujourd'hui « heureuse de voir la lumière au bout du tunnel ».
« C'est un soulagement de savoir que j'ai été capable de surmonter les épreuves, faire quelque chose de ma vie et ne plus me sentir bonne à rien ».