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Avocat à la retraite et PDG de Siemens Mobilité!

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Florence Tison

2020-11-03 15:00:00

Il est avocat à la retraite et PDG de Siemens Mobilité Canada. Il nous parle de carrière, de COVID-19, de télétravail, et de l’avenir des transports collectifs. Longue entrevue...
Yves Desjardins-Siciliano
Yves Desjardins-Siciliano
Me Yves Desjardins-Siciliano est avocat à la retraite, mais lui-même n’est pas à la retraite, et loin de là.

En avril dernier, l’ex-président directeur général de Via Rail acceptait le poste de PDG de Siemens Mobilité Canada, en pleine crise de la COVID-19.

Droit-inc s’est entretenu avec le Barreau 1981.

Aidez-nous un peu à retracer votre carrière. Avez-vous commencé votre pratique en cabinet ou en entreprise?

Je n’ai pratiqué qu’un an en cabinet, et ensuite je suis allé au contentieux IBM Canada où j’ai passé cinq ans comme avocat, et cinq ans en vente et marketing.

Ensuite j'ai quitté pour aller chez BCE mobile (qui était la filiale sans fil de BCE), où j’ai été initialement avocat général pendant deux ans, et puis après j'ai eu les responsabilités de marketing, développement corporatif, développement des affaires, et communications.

J’ai quitté ça et j’ai été entrepreneur pendant une dizaine d'années, de 1997 à 2010.

Qu’avez-vous fait en tant qu’entrepreneur?

J’ai participé à la création d'une entreprise de software sur le marché public, d’une maison de publicité, et j'ai participé à la privatisation de Aéroplan pour Air Canada à l'époque.

En 2010, je me suis joint à Via Rail encore comme avocat général, un poste que j'ai occupé pendant quatre ans avant de devenir PDG en 2014 jusqu’en 2019.

J’ai passé la moitié de ma carrière comme avocat général et la moitié de ma carrière du côté affaires, marketing, et gestion.

Ça arrive souvent qu’un avocat général devienne PDG dans des organisations comme Via Rail?

Je n’ai pas de statistiques là-dessus, mais il y a plusieurs avocats qui ont occupé des postes de gestion. Mon collègue chez Stikeman Elliott Calin Rovinescu a été président d’Air Canada.

Je trouve qu'il y a de plus en plus d'avocats qui ont opté pour des postes de gestion de grandes sociétés.

Quand j'étais plus jeune, les avocats qui devenaient gestionnaires, c'était souvent gestionnaires de sociétés du secteur public. Aujourd'hui je pense qu'il y en a autant au secteur public qu’au secteur privé.

Dans la profession d’avocat, qu’est-ce qui prépare à des postes de gestion comme ceux-là?

D’après moi, c’est deux choses. D’abord l'esprit de synthèse.

Quand on est avocat, on apprend rapidement à se renseigner sur des dossiers excessivement complexes sur les lesquels on n’a pas d'expertise : des situations en conflit de construction, en conflit de produit défectueux… Des domaines qu’on ne connaît pas d’expertise, mais on apprend rapidement à connaître le dossier et à connaître le domaine de façon à développer un argumentaire.

L'esprit de synthèse, c'est un réflexe de mobilité qu'on développe très tôt comme avocat.

La deuxième, c'est la communication : la capacité d’argumenter le point de vue d'un domaine dans lequel on n'est pas un expert de façon à convaincre le juge ou la partie opposée dans la négociation d'un contrat.

Donc la capacité de synthétiser des situations complexes, et après ça de les présenter de façon convaincante, sont deux aptitudes que te donne le droit qui sont très utiles en grande entreprise.

Parce que gérer une grande entreprise, c'est complexe, et il faut savoir ramener ça à l'essentiel, et ce peu importe l'entreprise dans laquelle tu es. Tu as normalement une expertise, comme le marketing, mais quand tu décides de gérer une boîte au complet, il y a du marketing, finances, ressources humaines, ingénierie, logistique, traduction… Il faut être capable de comprendre les autres domaines rapidement.

Et comme gestionnaire, il faut être capable de communiquer tes intentions, ta vision des choses et ta stratégie de façon convaincante.

Vous avez été cinq ans à la tête de Via Rail, mais à la surprise de tous, le gouvernement Trudeau n’a pas renouvelé votre contrat. Pourquoi?

Vous savez, les processus de nomination dans les gouvernements, c'est opaque. Je ne sais pas pourquoi j’ai été nommé et pourquoi je n'ai pas été renommé. Personne ne vous explique pourquoi ils vous nomment, et personne ne vous explique pourquoi ils ne vous nomment pas. Ce sont les aléas des nominations gouvernementales. Il faut être prêt à ça.

Dans mon cas, ça a été un peu malheureux parce que je ne l'ai su que cinq semaines avant que finisse mon contrat. Ça n’a pas été très heureux.

Ça ne laisse pas beaucoup de temps pour se revirer de bord, hein?

Ben oui, c’est ça! Mais c'est les aléas de la vie.

Ça vous a pris par surprise, en le sachant cinq semaines avant la fin de votre mandat?

Le marché était surpris, moi le premier! On m'avait donné confiance que je serais renommé, de ne pas m'inquiéter.

Donc je ne me suis pas inquiété, et je ne me suis pas non plus positionné pour un autre emploi. Ça a été une surprise. C’est un peu l’attrape de ces environnements-là.

Ça a dû être très difficile pour vous, après cinq ans de travail comme PDG...

L’important est d'être satisfait du travail qu'on a fait, d'apprécier le temps qu'on a eu avec les gens qui nous ont entourés, d'être fier de la contribution qu'on a pu faire.

Dans ce sens-là, avoir l'opportunité d'être nommé à une institution publique, c'est un grand honneur, et d'avoir le privilège de servir ses concitoyens, sa communauté, c'est un devoir, mais c'est aussi un grand honneur.

Donc je pense que le seul fait d'avoir eu l'opportunité, c'est déjà beaucoup. Oui c'est difficile, mais on choisit ce sur quoi on décide de se pencher.

J'ai choisi de me pencher sur les amitiés que je me suis faites, les choses qu'on a accomplies ensemble, et les ambitions qu'on a construites pendant les cinq années que j'ai été PDG.

Entre votre mandat chez Via Rail et celui chez Siemens, il s’est écoulé quand même un an. Qu’est-ce que vous avez fait pendant cette année-là?

J’étais avocat à la retraite, alors j'ai voyagé et j'ai joué dehors! (Rires)

Les postes de PDG, ça ne vient pas tous les jours. Avec cinq semaines d’avis, je n'avais pas le temps de me virer de bord, alors j'ai postulé pour quelques postes qui ne se sont pas réalisés.

Pendant ce temps-là, j'en ai profité pour voyager, et attendre des opportunités.

Jusqu’au mois d'avril cette année, après six semaines de COVID-19! J’ai eu l'appel des gens de Siemens qui m’ont approché pour le poste canadien.

Ça m’a été d'un grand salut, parce que là, ça faisait six semaines comme tout le monde que j'étais enfermé et que je me parlais tout seul. (Rires)

Ça m’a donné une façon d'évacuer mes énergies, de mettre mon engouement sur l’avenir et de faire des projections de ce qu’on pourrait accomplir, du travail à faire en termes de transport collectif, du renouvellement des infrastructures de transport du Canada.

C’est dans la même lignée de transport que j'ai vécue quand j'étais chef de cabinet du Bureau des transports du Canada.

Je suis curieuse, quelles entreprises avez-vous approchées alors que vous cherchiez un poste de PDG?

Mais là, je ne vous dirai pas lesquelles! (Rires)

J’ai appliqué pour quelques entreprises, deux en transport, une dans l'informatique, dans le software, une dans le commerce international. Ça n’a pas fonctionné. J’ai souvent fini deuxième. Deuxième et dixième, c'est pareil, hein? (Rires)

C’est plus à travers ma carrière de cheminot que je me suis ramassé chez Siemens.

Toujours dans le transport!

Oui, quand j'étais chez Air Canada dans les années 2000, et quand j'étais chez Via Rail dans les années 2010, et là maintenant chez Siemens. C’est dans la lignée des activités que je connais depuis plus de 25 ans.

Ça arrive à un moment propice, parce que évidemment le besoin de repartir l'économie canadienne va passer par des investissements majeurs en infrastructures, entre autres en infrastructures de transport collectif, pour servir un premier objectif : le redémarrage de l’économie canadienne en créant des emplois et en construisant ces infrastructures.

Et deuxièmement, adresser le défi qu’on avait avant la pandémie, qui est le défi des changements climatiques! Donc, réduire la dépendance à la voiture, et bouger les transports des personnes vers un transport électrifié.

C’était jusqu’en mars le défi global auquel la planète faisait face, et là maintenant évidemment la pandémie a amené un défi global encore plus immédiat, mais il ne faut pas oublier le défi du changement climatique.

C’est le défi auquel je m'adresse à travers ces réalités-là. Créer des opportunités d'emplois en obtenant la confiance des agences de transport et des gouvernements qui vont investir dans le renouvellement des infrastructures de transport collectif. Obtenir ces mandats-là, les accomplir pour implanter au Canada les technologies de pointe de classe mondiale de Siemens, créer de l'emploi, et ce faisant créer des infrastructures durables et qui rencontrent les défis des changements climatiques.

C'est le temps de s’y attaquer justement pendant que le monde est chez eux!

Exact, c'est le moment de s’y adonner. C’est pour ça que je trouve super intéressant d'avoir l'opportunité de travailler à adresser ce défi-là.

Ça, je trouve ça excessivement excitant, parce que c’est vraiment le nerf de la guerre. Oui, il faut repartir l'économie, mais il faut aussi la repartir mieux qu’elle était avant qu’elle ne trébuche sur la pandémie. Et la bonne façon c'est de la repartir plus verte.

On le voit déjà, la pandémie a déjà montré à quel point la réduction de l'utilisation des véhicules qui produisent des gaz à effet de serre dans la nature chaque semaine a déjà établi un certain équilibre écologique, parce que les gens sont à la maison.

On voit plus d'oiseaux, l'air est plus pur, la vie est plus sereine, il y a moins de trafic, de congestion… Alors il faut construire des infrastructures qui vont permettre la continuation de cette amélioration de la vie. Faire en sorte que quand les gens vont tous retourner travailler, il y aura des moyens de transport moins énergivores, plus écologiques, plus verts, plus efficaces que les moyens actuels.

Vous avez d'ailleurs attribué un contrat à Siemens pendant que vous étiez chez Via Rail .

On a renouvelé la flotte de Via Rail en 2016. On a appelé les compagnies du monde à venir nous rencontrer pour connaître nos intentions.

Onze compagnies mondiales sont venues nous rencontrer, et puis à la fin 2018 quand on a fait appel de propositions, on a eu trois propositions dont celle de Siemens.

Est-ce que c’est ça qui a créé les liens entre Siemens et vous?

L'industrie des trains passagers, c'est quand même une industrie assez petite! On se connaît tous, et c'est sûr qu’en général, les gens cherchent à travailler avec des gens qu'ils connaissent.

On vous connaît de réputation, ou par contact intermédiaire, ou on vous connaît parce qu’on a fait affaire avec vous.

Quand je regarde ma carrière, ma première job chez IBM, c'est à travers une rencontre que j'ai faite. Ma job chez BCE, c’est dans le cadre d'une négociation entre IBM et BCE que j'ai rencontré quelqu’un de BCE qui deux ans plus tard m’a engagé.

C'est pour ça que c'est important de faire du réseautage, peu importe l'industrie dans laquelle on opère.

Faire du réseautage, rencontrer des gens, s'assurer que les gens savent ce qui nous intéresse, ce qu’on fait, qui on est, et connaître les autres, savoir ce qui les intéresse, qui ils sont. C’est comme ça qu'on bâtit des entreprises, c'est comme ça qu’on poursuit nos carrières et nos ambitions personnelles.

Et là vous êtes entré en poste en pleine COVID-19! Qu’est-ce qui s’est passé depuis six mois?

Ça, c'est assez étrange. Vous faites des entrevues d'emploi à travers Facetime et Zoom, et quand vous prenez le poste, vous rencontrez des employés de façon virtuelle.

Quand il s'est mis à faire beau, j'en ai profité pour rencontrer les employés qui étaient ouverts à ça dans un parc. On prenait une marche à distance réglementaire en apprenant à se connaître.

C’est sûr que c'est très différent des environnements que j'ai connus dans ma carrière : il n’y a pas de réunion autour d'une table, il n'y a pas de lunch ou de souper avec les collègues pour apprendre à se connaître. Il n’y a pas de rencontre sociale. C’est vraiment très particulier.

À bien des égards, c'est plus efficace, parce qu’on va direct au but. Je pense que tout le monde est plus efficace dans des rencontres virtuelles parce que c'est moins social que les rencontres qu'on avait avant.

Mais c'est sûr que le contact émotif, le contact physique me manque beaucoup, surtout dans le contexte où je prends poste, et j'aimerais connaître les gens et avoir un ''feeling'' de qui ils sont comme individus.

Pour l'instant ça fonctionne assez bien. C’est un apprentissage pour tout le monde. On est tous au même niveau là-dessus, parce qu’on est très peu à avoir connu cet environnement-là.

Chose certaine, ça ouvre l'esprit aux possibilités et à l'efficacité du travail à distance, parce qu’on avait eu cette discussion-là juste avant que je quitte Via Rail, sur l’environnement de travail et de mettre en place des règles qui permettraient peut-être un peu plus de travail à distance.

Comme gestionnaire, dépendamment d’où on vient et comment on fonctionne, il y a des gens qui sont très réfractaires à ça. Il ya des gens qui pensent vraiment qu'il faut que tu sois au travail du lundi au vendredi entre 8h et 5h, sans ça ils n’ont pas confiance que tu travailles.

Il y en a d'autres qui sont très ouverts, qui ont très confiance : il disent en autant que le travail est fait, moi je m'en fous si l'employé est au bureau ou s'il est ailleurs.

Vous, où vous situez-vous sur le travail à distance avant la pandémie?

Moi, j'étais de la vieille école. En 40 ans de carrière, je n’ai jamais travaillé dans un environnement où on permettait de travailler à distance.

J’étais ouvert à la conversation, avec un inconfort qui vient du fait que c'est un domaine que je ne connaissais pas.

Il y a sûrement des risques inhérents à ça, mais maintenant que je l’ai vécu depuis cinq mois, je suis tout à fait confortable avec la notion que le travail est fait et que les gens s’accomplissent.

Mais il y a encore besoin d'une présence physique de temps à autre pour pouvoir vraiment développer un tissu social et une connexion plus émotive entre les individus.

Moi, ça me manque.

J’ai confiance que oui la job se fait, les gens font ce qu'ils doivent faire, mais je pense que plusieurs d'entre nous ont besoin d'échange et de la présence physique des uns des autres, des conversations informelles, dans l'ascenseur…

C’est là souvent que les idées avancent, dans les rencontres impromptues!

C’est ça! C'est que là, il n’y a pas beaucoup de place pour l’improvisation. Comme je dis, c'est un apprentissage pour tout le monde.

Ça va sûrement changer la façon qu’on travaille, et ça va sûrement changer la façon dont on utilise et les transports collectifs.

Parce que là, si après cette pandémie les méthodes de travail de la COVID sont maintenues à certains égards, les gens retourneront au bureau, mais pas nécessairement à temps plein, et pas nécessairement sur des horaires fixes.

Peut-être alors que la période de pointe va s'aplatir, pour utiliser un terme actuel. Ça va créer de la capacité, et peut-être faire un transport plus confortable, que ce soit pour les autoroutes ou le transport collectif...
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