L’avocat court toujours le risque d’être assimilé à la personne qu’il défend
Félix-Antoine T. Doyon
2020-03-30 14:15:00
Comme elle, je suis moi aussi totalement et absolument attristé par cette terrible nouvelle. Qu’on se le tienne pour dit, j’espère que les forces de l’ordre coinceront rapidement le malfaiteur et que Justice sera rendue!
Mais la journaliste dépasse les limites de ce qu’on peut accepter comme avocat digne de la profession lorsqu’elle ajoute inutilement ceci :
« On n’entend jamais ces histoires terrifiantes chez les avocats civilistes. Quand elles surviennent, elles touchent les avocats criminalistes, ceux qui pataugent dans les affaires louches de leurs clients. »
Voilà un propos bien malhabile qui porte une atteinte gravissime à l’image de notre profession. Non seulement ce commentaire est irrespectueux, mais relève d’un stéréotype tristement répandu dans notre société dite civilisée.
Depuis la nuit des temps, l’avocat est contaminé par celui qu’il défend. Me Éric Dupond-Moretti, un avocat français de renommée internationale dirait que :
« Quand je défends les accusés d’Outreau lorsqu’ils sont réputés être pédophiles, on me regarde comme un salaud. Quand je défends les mêmes alors qu’ils sont devenus innocents, je suis un héros. Je ne mérite ni cet excès d’opprobre ni cet excès d’honneur. »
Un avocat défend un être humain, il ne défend pas une cause, et donc l’identifier, même à la marge, à ladite cause et aux interprétations qu’elle suscite naturellement et légitimement dans la conscience de chaque citoyen, est une lourde erreur.
Madame Richer commet une erreur lorsqu’elle nous assimile aux affaires dans lesquelles certains de nos clients peuvent tremper. Ce genre journalistique ternit la réputation du Barreau du Québec et cause un tort important à la confiance que porte les gens en l’administration de la Justice.
Informer mais pas n’importe comment
Le droit d’informer est capital. Mais pas à n’importe quelles conditions, surtout lorsque celles-ci menacent la présomption d’innocence et s’aventurent dans des interprétations ou des prises de parole déplacées et donc dangereuses.
Récemment, le juge en chef de la Cour suprême du Canada décrétait que:
« Il ne fait aucun doute que les médias jouent un rôle unique dans notre pays. En enquêtant, en questionnant, en critiquant et en diffusant des informations d’importance, ils contribuent à l’existence et au maintien d’une société libre et démocratique. »
Mais le maintien d’une société libre et démocratique est en danger lorsqu’une institution en attaque une autre de plein fouet, comme c’est le cas ici, sans fondement.
Cette forme délétère de journalisme, en raison notamment de son martèlement sur les réseaux sociaux, exerce sur les procès un climat pernicieux aux conséquences dévastatrices pour la présomption d’innocence. Et parce que « les erreurs sont une réalité inévitable dans un système de justice criminelle dirigé par des êtres humains », ce genre journalistique contribue, sans que l’on s’en rende compte, à emprisonner des innocents.
Le système de justice pénale, entreprise humaine s’il en est une, possède à la fois les qualités et les défauts de ce qui est humain.
L’institution qui abrite la justice criminelle, au même titre que celle qui abrite la justice civile, familiale, carcérale… partage les qualités et les travers commun à l’être humain. Il est vrai que l’histoire enseigne qu’un avocat, un médecin, un ingénieur, un financier, un banquier, un mécanicien, un concierge, un policier, un journaliste… peut parfois patauger dans certaines affaires louches, voire criminelles.
Mais cela n’a rien à voir avec le métier que l’on exerce, mais simplement aux traits qui sont communs à l’humanité.
Du reste, j’avoue qu’Isabelle Richer a l’habitude de diffuser avec pédagogie des explications, des éclaircissements sur des sujets de fond, avec rigueur et intégrité.
Elle demeure une journaliste qui inspire confiance.
Sur l’auteur
Félix-Antoine T. Doyon est associé chez Doyon Avocats, un cabinet expert en droit criminel.
Avocat criminaliste
il y a 4 ans« On n’entend jamais ces histoires terrifiantes chez les avocats civilistes. Quand elles surviennent, elles touchent les avocats criminalistes, ceux qui pataugent dans les affaires louches de leurs clients. »
Pour ce que j’en sais, les avocats criminalistes se font plus souvent tirer dessus que les civilistes, même si, par chez nous, c’est plutôt rare dans tous les cas.
De plus, j’ose croire qu’un criminaliste qui trempe dans les affaires louches de son client a plus de chances de se faire tirer dessus qu’un autre criminaliste qui ne le fait pas.
Lorsque Mme Richer utilise le mot « ceux », c’est justement pour préciser un sous-groupe plus à risque parmi les criminalistes.
À titre d’avocat criminaliste, je ne me sens pas visé par les propos de Mme Richer et j’ai beaucoup plus peur de ne pas être payé par mes clients que de me faire tirer dessus.
On ne sera jamais les professionnels favoris du public et des journalistes, mais si en plus on s’offusque à la moindre formulation un peu maladroite (force est de l’admettre) d’une journaliste qui fait généralement attention pour rester neutre lorsqu’elle traite de sujets difficiles de nature criminelle, on est pas sortis du bois.
Attaquons-nous plutôt à l’utilisation abondante et dangereuse du mot « présumé » par tous les médias. Ça suffit les présumées victimes et, surtout, les présumés criminels (alors qu’ils ont à peine comparus).
Anonyme
il y a 4 ansOn semble avoir oublié, entre autre:
- le client insatisfait des services rendus;
- l'avocat qui, sans avoir trempé dans les affaires de son client, l'a volé.
Anonyme
il y a 4 ansL'article de Radio-Can a été modifié, et suivi de l'explication suivante:
"PRÉCISION :Cet article a été modifié pour en retirer un passage prêtant à équivoque. Nous y écrivions que, lorsque ce genre d'histoire survient, "elles touchent des avocats criminalistes qui pataugent dans les affaires louches de leurs clients". Or, loin de supputer que tous les avocats criminalistes entretiennent de tels liens avec leurs clients, ce passage cherchait à préciser que seuls certains avocats criminalistes avaient été généralement au cœur d'histoires semblables. Nous sommes désolés de la confusion que cela a pu causer chez certains lecteurs."
http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1689194/avocat-tentative-meurtre-mont-saint-hilaire
Les affaires judiciaires rapportées par Isabelle Richer ne volent généralement pas haut, et elle aborde celles-ci de façon basique, mais toujours honnêtement, ce que vous semblez d'ailleur reconnaitre en écrivant que:
"Du reste, j’avoue qu’Isabelle Richer a l’habitude de diffuser avec pédagogie des explications, des éclaircissements sur des sujets de fond, avec rigueur et intégrité."
On devine donc qu'en période de coronavirus, on a affaire à un article qui a dû être écrit à 100 milles à l'heure, peut-être sans les services de révision habituellement utilisés, et par du personnel fort occupé à faire l'épicerie pour des parents âgés tout en faisant du télétravail pendant que les enfants crient, et que ça a chié.
Sans doute l'affaire aurait-elle pu être réglée avec un simple coup de fil, ou un commentaire en bas de l'article sur le site de radio-can.