Comité électoral: conflit d'intérêts ou influence?
René Villemure
2015-04-30 14:30:00
Le Barreau a répondu à la candidate que « les membres avaient été informés qu’il est un associé du cabinet Gowlings », et que Me L’Heureux a signé « un serment et agit de façon impartiale et il ne se livre à aucune activité de nature partisane.»
Un éthicien se prononce.
La course au Bâtonnat du Barreau du Québec semble rude. Les allégations fusent de tous côtés à un point tel où l’actuel Bâtonnier, Me Bernard Synott, a jugé bon de rappeler les candidats à l’ordre.
Mais, au-delà des esbroufes qui sont le propre d’une course électorale, certaines questions demeurent. Par exemple, le point soulevé par la candidate Me Lu Chan Kuong sur l’impartialité de Me François L’Heureux, membre du comité électoral et associé chez Gowling, alors que Me Luc Deshaies, associé au même cabinet est lui aussi candidat au Bâtonnat.
Influence
« Y a-t-il conflit d’intérêts ? », peut-on se demander. Sur le plan de l’éthique, le problème doit être vu d’une manière plus large, il ne s’agit pas ici de conflit d’intérêts mais plutôt d’influence. La question à poser devrait être « Me L’Heureux peut-il, directement ou indirectement, exercer de l’influence sur les autres membres du comité »? La réponse à cette question est indéniablement « Oui ».
L’influence est un concept difficile à cerner. À l’origine, l’influencia décrivait un flux provenant des astres et agissant sur l’action des hommes. De nos jours, on dit que l’influence est associée à un prestige qui porte les autres à se ranger à son avis. Dans ces deux exemples, on remarque que l’influence agit sans que le sujet ne l’exerce directement, elle semble tomber du ciel.
Pour mieux s’y retrouver, de nos jours, il faut comprendre que l’influence peut être de deux types : directe ou indirecte.
L’influence directe est celle où un individu dicte expressément à un autre individu la conduite à tenir. C’est le genre d’influence que l’on tente de combattre en érigeant ce que l’on appelle des « murs de Chine » ou lorsque l’on demande à un individu de « sortir de la salle » lors d’un débat. Dans le cas présent, il est impossible de demander à Me L’Heureux de sortir de la salle lors du débat : son rôle étant de participer au débat en question.
L’influence peut aussi être indirecte. Ce second type d’influence est celui par lequel, par sa seule présence un individu, sans rien dire, oriente néanmoins un débat ou une décision. Ce type d’influence est extrêmement difficile à baliser (l’individu ne dit rien).
Dans le cas d’une influence indirecte, même si l’individu sortait de la salle son influence, elle, demeurerait. C’est ce type d’influence, celle qui n’ose pas dire son nom, qui donne un mauvais nom au concept d’influence.
Revenant à la course au Bâtonnat, le Barreau a le devoir de s’interroger afin de déterminer si la présence d’un associé d’un des candidats est de nature à miner la légitimité du scrutin aux yeux des juristes qui apprendront cette information.
De plus, considérant l’importance du scrutin et la nature de la fonction briguée, sur le plan éthique, le Barreau n’est pas en mesure de tolérer même la plus minime des incertitudes. Le Barreau doit donc agir.
L’épicentre éthique de la situation est le suivant : l’actuelle décision du Bâtonnier de réitérer sa confiance à l’ensemble du comité électoral est, certes, légale mais est-elle juste pour autant ?