Le grand lancement

Ryan Hillier
2015-08-03 14:00:00

La décision du premier ministre de déclencher une campagne de manière aussi hâtive soulève les passions. Alors que certains parlent d’un véritable coup de génie politique, d’autres caractérisent le geste de méprisant pour la démocratie. Une chose est certaine : en plongeant le pays en campagne électorale près de trois mois avant la date de scrutin du 19 octobre, le Parti conservateur du Canada (PCC) s’assure de faire mal à ses principaux adversaires, le Nouveau Parti Démocratique (NPD) et le Parti Libéral du Canada (PLC), en ciblant la faiblesse prédominante respective de ces deux partis.
Vis-à-vis le NPD, qui forme l'actuelle Opposition officielle à Ottawa, les Conservateurs miseront sur une caisse électorale nettement mieux garnie, le parti de M.Harper ayant récolté plus de 69 millions $ depuis 2012, soit environ 40 millions $ de plus que les Néodémocrates de Thomas (Tom) Mulcair (et 27 millions $ de plus que les Libéraux de Justin Trudeau).
Cette disparité de ressources financières amène plusieurs observateurs à se demander si le PCC préparait le stratagème d’une campagne étirée depuis longtemps. En effet, l’avantage financier conservateur sera encore plus significatif cette année, entre autres en raison de l'adoption, en 2014, de la Loi sur l’intégrité des élections, qui prévoit notamment que les plafonds de dépenses des partis et des candidats sont augmentés lorsque la période électorale est plus longue que la période minimale de 37 jours. Dans les faits, cela correspond à une augmentation d’environ 5 millions $ par semaine de campagne additionnelle par parti, jusqu’à concurrence d’un plafond de 53 millions $.
En ce qui concerne les Libéraux, en fixant une campagne électorale nettement plus longue qu’à l’habitude, les Conservateurs tenteront également de tirer profit de l’inexpérience relative de M.Trudeau. En termes simples, du point de vue des stratèges du PCC, plus la campagne serait longue, plus le chef libéral aurait d’occasions de se mettre les pieds dans les plats.
Les allocutions des chefs sous la loupe
Comme le veut la tradition, les chefs des principaux partis ont profité, dimanche, d'une couverture médiatique accrue suivant l’annonce du scrutin du 19 octobre pour s’adresser directement aux Canadiens, en exposant les thèmes centraux de leur campagne respective, par le biais d'allocutions courtes mais bien senties. Pour les chefs, il s’agit d’une opportunité à saisir, afin de de tenter de cadrer le débat des prochaines semaines dès le jour 1 de la campagne.
Or, l’efficacité de l’exercice fut assez variable d’un chef à un autre.

Le deuxième thème d’importance pour le PCC est la sécurité nationale. Évoquant les menaces terroristes de plus en plus fréquentes venant d’individus et de groupes étrangers, tels l’EI, M. Harper, a voulu clairement positionner le PCC comme étant le seul parti capable d’assurer la sécurité à long terme de la population canadienne.
Enfin, d’un point vue de l’image, M.Harper répétera certainement les mots « expérience » et « leadership » des dizaines de fois durant la campagne. Face à un Justin Trudeau qui n’a pas encore mangé ses croutes en tant que chef de parti et un Tom Mulcair dont le pedigree politique n’est pas encore assez bien connu du public canadien (à l’exception des Québécois qui le connaissent depuis longtemps), le premier ministre se présentera comme une valeur sûre, qui a établi une stabilité hors du commun au sein du pays depuis près de 10 ans.

Il n’a pas hésité à attaquer M. Harper sur son propre cheval de bataille : le bilan économique des Conservateurs. En soulignant l’absence de croissance économique au Canada depuis les cinq derniers mois, M. Mulcair a rappelé que le pays est techniquement en récession, un message qu’il martèlera sans doute tout au long de la campagne. Le chef néodémocrate a aussi mis en lumière le fait que plus de 1,3 millions de Canadiens sont actuellement sans emploi, soit 200 000 de plus qu’avant la dernière récession. L’on peut s’attendre à ce que tout au long de la campagne, M. Mulcair s’autoproclamera sauveur des secteurs manufacturier et du détail, dont les ventes sont actuellement en chute libre.
Au-delà des questions économiques, M. Mulcair prônera un gouvernement qui rétablira l’image ternie du Canada sur la scène internationale et qui aura le développement durable au cœur de son action politique. Il vantera son expérience en tant qu’ancien ministre provincial pour se distinguer de M.Trudeau.

Lors de son allocution initiale de la campagne (prononcée plus de trois heures après celle des autres chefs, M. Trudeau ayant décidé de rester à Vancouver pour participer au défilé de la fierté gaie), le chef libéral a voulu se positionner en tant que champion de la classe moyenne. Par contre, il a préféré livrer un discours rempli de généralités portant sur l’échec du plan conservateur, qui selon les Libéraux, n’a profité qu’aux Canadiens les plus nantis. À trois reprises, M. Trudeau a mentionné qu’il a parcouru (et qu’il continuera à parcourir) le pays pour échanger avec les Canadiens.
Si les Libéraux veulent espérer détrôner les Conservateurs au gouvernement (ou, du moins, le NPD à l’Opposition officielle), M. Trudeau devra s'élever au-dessus du « pelletage de nuages » et mettre de l'avant des arguments convaincants et tangibles qui séduiront l’électorat. Si l’on se fie aux annonces pré-électorales du PLC en matière d’économie, d’environnement, de justice sociale et d’affaires étrangères, il est clair que la (jeune) garde rapprochée de M.Trudeau, menée par la talentueuse Katie Telford (et son co-chef de campagne, Dan Gagnier), voudra miser sur son programme électoral cohérent, tourné vers l’avenir et susceptible de séduire un vaste bassin de l’électorat. Reste maintenant à voir comment les Libéraux choisiront de continuer à faire connaître leurs politiques à travers un chef néophyte qui peine à bien verbaliser des sujets complexes.

Tant Mme May que M. Duceppe se sont limités à des discours « préchauffés » et à toutes fins pratiques vides de contenu, suivant l’annonce de l’élection. S’ils souhaitent faire des gains ou, du moins, éviter leur entière disparition de la Chambre des communes, le PVC et le Bloc devront faire bien plus que de simplement miser sur la notoriété de leur chef et de leurs quelques candidats vedettes.
Prévoyons, par ailleurs, que le manque d’argent chez le Parti vert et le Bloc Québécois se fera sentir assez tôt en campagne et qu’ils cibleront une poignée de circonscriptions à leur portée pour y dépenser la majeure partie de leurs ressources financières. Pour contrer ce handicap, les deux partis se tourneront vraisemblablement vers les outils en ligne pour faire passer leurs messages à caractère davantage national et, ultimement, faire sortir leur vote au moment du scrutin.
À surveiller cette semaine

Il ne faut donc pas s’attendre à des étincelles de sitôt, surtout dans le contexte de la campagne démesurément longue qui vient de débuter. Alors que les journalistes et leurs recherchistes parcourront les profils Facebook et comptes Instagram des centaines de candidats déjà en lice, peut-être dénicheront-ils quelques faits divers amusants que nous pourrons raconter aux voisins lors du prochain barbecue.
Au Québec, le comté à surveiller pendant cette première semaine de campagne est certes celle d’Ahuntsic, où le PLC doit toujours tenir son investiture afin d’élire un candidat officiel parmi les quatre prétendants au titre. Les Libéraux n’avaient certainement pas prévu commencer la campagne sans l’une de ses vedettes québécoises, l’avocate Mélanie Joly, dont l’élection en tant que candidate libérale demeure tout sauf certaine, selon ce qu’on entend dans le comté.
Du côté des chefs, ceux-ci seront surtout en préparation du premier débat de la campagne, présentée par l’hebdomadaire Maclean’s jeudi soir, en anglais. Il s'agira du premier débat télévisé de l’histoire canadienne à ne pas être organisé par un consortium de télédiffuseurs. Les quatre principaux partis fédéralistes y seront représentés par leur chef.
Vous pouvez lui adresser vos questions et messages sur Twitter à @ryanhillier ou par courriel à campagnedemaitre@gmail.com.
Anonyme
il y a 9 ansmais pour l'instant, le ton est pas vraiment "objectif et non-partisan"
Bon
il y a 9 ansHarper comprends ce qu'est l'économie
Trudeau et Mulcair papote, sont pas sérieux,
j'espère vraiment que Harper gagne, mais ça va être très difficile celle là.
Anonyme
il y a 9 ansCan't say that I believe that Trudeau knows economy, however Harper's economic "success" was almost entirely based on the high price of oil. Now that it has dropped, we are in a recession. Is he really that good? Without Flaherty?
Former Liberal Candidate
il y a 9 ansDifficile de fournir une analyse objective et non-partisane quand l'auteur était lui-même un candidat Libéral dans le passé. Je n'ai rien contre l'analyse, mais il faudra peut-être reconsidérer le descriptif de l'auteur.