15 questions à Simon Jolin-Barrette
Camille Laurin-Desjardins
2020-10-14 14:15:00
L’avocat de 33 ans a répété qu’une de ses priorités était d’améliorer l’accès à la justice. Le 2 octobre dernier, il a d’ailleurs annoncé que son ministère avait (enfin!) conclu une entente avec le Barreau du Québec pour bonifier les tarifs de l’aide juridique.
Droit-inc s’est entretenu avec le ministre Jolin-Barrette, pour faire le point sur ses aspirations… ainsi que pour tenter de comprendre ce qui lui a fait délaisser la pratique du droit pour la politique.
Droit-inc : Est-ce que pour vous, qui êtes avocat, c'était un rêve ou un but, d'être ministre de la Justice?
Simon Jolin-Barrette : Ce n'était pas… En fait, je vous dirais que lorsqu'on fait de la politique, c'est sûr qu'il y a certains ministères qui nous intéressent davantage que d'autres. Très certainement, le ministère de la Justice, j'avais un intérêt marqué pour lui, parce qu'on vient vraiment à avoir un impact sur le droit, par les projets de loi qu'on dépose au sein du ministère de la Justice, et c'est un rôle central, aussi, au sein du gouvernement.
J'ai été vraiment heureux de la confiance du premier ministre lorsqu'il m'a confié ce ministère... et surtout, ça permet de développer plusieurs projets, de faire avancer le droit aussi. Je suis très heureux d'avoir été nommé ministre de la Justice.
Quand le remaniement a eu lieu, même si la justice est clairement dans vos cordes... avez-vous vu ça un peu comme un désaveu, après le recul sur la réforme de l'immigration et du Programme de l’expérience québécoise?
Non, pas du tout, c'est une marque de confiance.
D'ailleurs, avec le PEQ, j'avais proposé une deuxième mouture, qui a été approuvée par le Conseil des ministres peu après. Ma successeure, la ministre Girault, a mis en oeuvre ce que j'avais proposé comme deuxième mouture.
Vous savez, lorsqu'on est en politique, il faut faire des changements qui sont nécessaires pour améliorer la situation, notamment la politique migratoire du Québec... Le Québec n'avait aucun moyen de s'assurer de l'intégration adéquate des personnes immigrantes, et notamment par le PEQ… Si on veut s'assurer de répondre aux besoins du marché du travail, c'est important de bien sélectionner les candidats à l'immigration en fonction des besoins. C'était le sens de la réforme. Et avec ce qu'on a proposé, ce qui a été complété par la ministre Girault, je pense qu'on atteint l'objectif.
Quand vous avez fait vos études en droit, est-ce que c'était déjà dans le but de vous lancer en politique?
Je voulais être avocat, c'est ce que j’ai fait... Je pense que le droit est très utile pour réaliser certains mandats, mais surtout, je crois que la politique aussi, c'est connexe au droit.
Lorsqu'on est à la Faculté de droit ou à l'École du Barreau, c'est très près de ce qu'on fait comme travail de parlementaire, ou de législateur – exemple : quand on adopte des lois. C'est très utile, aussi, d'être avocat, lorsqu'on est au gouvernement.
J'ai décidé de m'impliquer en politique parce que ce qui était proposé par les partis ne me convenait pas. Surtout, ce qui a fait en sorte que j'ai décidé d'adhérer à la CAQ dès le départ, avant même la fondation, c'est le fait que j'étais outré par ce que je voyais à la Commission Charbonneau, par la corruption, mais aussi sur la question nationale : les Québécois sont souvent séparés entre fédéralisme et souverainisme.
Je pense que ça prenait une troisième voie pour rassembler les gens sur les véritables priorités, et arrêter de se diviser en fonction de notre opinion sur la question nationale, pour plutôt se concentrer sur les sujets qui sont prioritaires pour les Québécois.
Vous avez pratiqué pendant combien d'années, avant de vous lancer en politique?
Entre 2010 et 2014, donc quatre ans. J'ai travaillé pour le contentieux de la Ville de Montréal, notamment. Je me suis présenté à l'élection de 2012, que j'ai perdue dans Marie-Victorin, et j'ai été élu en avril 2014 (NDLR : dans la circonscription de Borduas).
Mais le fait de choisir de travailler à la Ville de Montréal, notamment, c’est parce que je valorise beaucoup le service public – et la politique, c'est ça aussi – pour faire en sorte d'améliorer la situation des Québécois et des Québécoises. Lorsqu'on veut des changements, moi, j'ai toujours cru qu'on devait s'impliquer, et c'est pour ça que j'ai choisi la politique.
Est-ce que vous pensez revenir en droit éventuellement, après votre carrière en politique?
C'est sûr que c'est mon métier, ma formation. Vous savez, la politique, c'est seulement un temps dans une carrière. On fait de la politique pour un temps donné, qui nous est prêté par les électeurs qui nous confient un mandat. Moi, c'est mon deuxième mandat, mais éventuellement, je vais quitter la politique, et fort probablement que je vais retourner à la pratique du droit...
Mais vous ne nous annoncez pas que ce sera bientôt, là…?!
(Rires) Pas d'ici la fin du mandat!
Est-ce que vous lisez Droit-inc?
Oui... Je pense que vous êtes une référence dans le monde juridique, et je pense que tous les avocats consultent votre site web!
Après un peu plus de trois mois en tant que ministre de la Justice, quel bilan faites-vous?
Ça avance... On est beaucoup dans le travail de rédaction de projets de loi, présentement. J'ai annoncé aux crédits budgétaires que j'avais quelques priorités pour l'automne, notamment la question de la protection des consommateurs, en matière de crédits voyages.
Également, la réforme du droit de la famille, la réforme de la loi d'indemnisation des victimes d'actes criminels, que je considère prioritaire.
Aussi, à la fin du mois d'août, le premier ministre m'a confié le mandat de l'accès à l'information, un dossier extrêmement important. Il y a le projet de loi 64, sur lequel on a fait les consultations au mois de septembre, et ça aussi, ça constitue une priorité au cours des prochains mois, parce que ça fait très longtemps que les lois n'ont pas été réformées.
Et aussi, j'ai annoncé que j'avais l'intention de déposer un projet de loi pour protéger les individus des thérapies de conversion, en matière d'orientation sexuelle, et en matière d'identité de genre. Je pense que c'est prioritaire d'envoyer un message clair que dans notre société, ce genre de thérapie est complètement inacceptable.
Et là-dessus, on attend un projet de loi cet automne?
Oui, prochainement. Je suis présentement en train de travailler sur ce sujet-là...
Lorsqu'on arrive comme nouveau ministre, on prend connaissance des dossiers, puis on reprend le travail où il a été laissé, et aussi, on donne nos orientations, donc ça prend quelque temps pour pouvoir enclencher le tout, mais là, on est à la veille de pouvoir voir le fruit du travail qu'on a effectué depuis le mois de juin.
D'ailleurs, depuis le mois de juin, on a réglé le dossier des tarifs d'aide juridique pour les avocats de la pratique privée. C'est un dossier qui traînait depuis trois ans, que je trouvais important de régler rapidement, parce que c'est une question d'accessibilité à la justice pour les citoyens. Il faut que les citoyens puissent avoir accès à l'avocat de leur choix, et ça touche toutes les régions.
Je pense aussi qu'il faut moderniser le système de justice. Il y a déjà une avancée significative qui a été faite durant la pandémie et on va continuer en ce sens-là, pour adapter le système de justice, le démocratiser aussi…
Et vous dites que l'accès à la justice est une de vos priorités, qu'est-ce que vous comptez faire d'autre pour l'améliorer?
Il y a plusieurs mesures qui pourront être développées au cours des prochains mois, des prochaines semaines, notamment en terme d'efficacité. L'accessibilité à la justice aussi, ça doit rimer avec l'efficacité.
Parce que le système, même s'il est supposons accessible, s'il n'est pas efficace, les gens vont se décourager, et il ne faut pas que les coûts soient trop exorbitants. Et souvent, quand les procédures traînent beaucoup trop longtemps, c'est là que pour les justiciables, ça devient inaccessible, entre autres. J'ai l'intention de travailler beaucoup sur l'efficacité du système, qui aura nécessairement un impact sur l'accessibilité.
Ça m'amène justement à vous parler du fameux dossier de Nathalie Normandeau et de l'UPAC... c'en est un exemple de dossier qui a tellement traîné que le procès a avorté... Est-ce que ç'a été une grande déception, pour vous?
Sur ce dossier-là, je vais devoir exprimer une réserve sur mes commentaires, considérant le fait qu'on est présentement dans le délai d'appel, et que le DPCP analyse le dossier. Et vous comprendrez que comme ministre de la Justice, ce n'est pas moi qui oeuvre en matière criminelle et pénale…
Mais une chose est sûre : il faut s'assurer que le public ait confiance dans le système de justice, dans les institutions, dans l'UPAC, dans la Sûreté du Québec, dans le DPCP, dans le ministère de la Justice... Et c'est important pour moi d'assurer une grande crédibilité du ministère de la Justice, au cours de mon mandat.
Ça passe, notamment... Vous avez vu cet été, avec la vague de dénonciations en matière d'agressions sexuelles... Pour moi, c'est une priorité, également.
Alors que j'étais dans l'opposition, j'avais déposé un projet de loi pour rendre imprescriptibles les recours en matière d'agression sexuelle. Ma prédécesseure (NDLR : Sonia Lebel) a repris mon projet de loi, et on a fait adopter le projet de loi 55, au mois de juin dernier.
J'étais très heureux de ça, surtout qu'il y a le comité sur les violences sexuelles et la violence conjugale qui va rendre son rapport très prochainement. J'ai bien l'intention de donner suite aux recommandations. Vous savez, l'idée de Véronique Hivon, relativement à un tribunal spécialisé en matière de violences sexuelles, je trouve que c'est une idée très intéressante. Je l'ai dit publiquement : on va analyser la possibilité d'évaluer cette proposition-là.
Pour moi, la lutte aux agressions sexuelles, et aussi l'approche que le système de justice doit avoir envers les victimes... il y a des ponts à rebâtir. Et surtout, il faut s'assurer d'expliquer, et dire qu'il y en a, des services, des gens dans le système de justice qui sont là pour soutenir les victimes. Il faut démocratiser le tout, il faut vraiment s'assurer que le système de justice réponde à la réalité des victimes. Je pense que c'est vraiment prioritaire. Et je souhaite, dans mon mandat, rendre ça plus facile pour les victimes d'agressions sexuelles.
Pensez-vous qu'un tribunal spécialisé pourrait aider à redonner confiance aux victimes, dans le système de justice? Parce qu'on ne va pas se cacher qu'il est un peu brisé, ce lien de confiance, actuellement...
Ça pourrait aider... Ce qu’il faut dire par contre, c'est que beaucoup de victimes d'agression sexuelle qui ont eu affaire avec le système de justice, après avoir passé à travers le système, savent qu'il y a des gens qui sont là pour les appuyer, que ça s'est amélioré au cours des dernières années.
Il y a de l'amélioration à faire encore, mais moi, ce que je souhaite envoyer comme message, c'est que l'État est là pour soutenir les victimes. Il y a des services de soutien qui sont offerts, entre autres financiers avec la Loi sur l'indemnisation d'actes criminels...
Je veux les encourager aussi à faire des dénonciations... On a vu la vague de dénonciations sur les médias sociaux, c'est un geste qui est courageux, et si elles sont prêtes à aller plus loin, le système de justice est là pour les accueillir.
Et qu'est-ce que vous pensez de ce mouvement, justement? Avez-vous peur, comme plusieurs juristes, que ça cause des dérives?
Pour moi, ce qui est prioritaire, c'est que les victimes puissent dénoncer. À partir du moment où elles font le choix de le faire sur les médias sociaux, je n'ai pas à juger de la méthode. Ce que je peux faire, c'est de les encourager, un coup qu'elles ont eu le courage de le faire, à s'adresser au système de justice aussi, pour qu'elles puissent obtenir réparation, pour que la société puisse obtenir réparation, et que les gens qui ont des comportements totalement inacceptables soient poursuivis et subissent un procès s'ils ont commis une infraction criminelle.
Et pensez-vous qu'il y a un manque de confiance de la part des peuples autochtones dans le système de justice?
Je pense qu'il y a beaucoup de travail à faire dans le système de justice, pour les communautés autochtones, particulièrement dans le Nord. Ça fait des années qu'il y a plusieurs rapports qui ont été faits relativement à la nordicité de la justice.
La conséquence au système de justice, c'est le fait qu'il y a plusieurs enjeux en terme de conditions de vie dans le Nord québécois, qui se répercutent parfois en une hausse de la criminalité, et c'est là que le système de justice intervient.
Il faut travailler en amont sur plusieurs mesures sociales dans le Nord, mais surtout, il faut que les conditions d'accès à la justice dans le Nord soient les mêmes que dans le Sud. Ça aussi, ça sera une priorité pour moi au cours des prochaines années.
Est-ce que des accusations criminelles pourraient être déposées contre certains membres du personnel de l'hôpital de Joliette, en lien avec la mort de Joyce Echaquan?
Encore là, il y aura une enquête de la part de la police, et c'est à la DPCP à évaluer si elle doit porter des accusations ou non. Par ailleurs, il va y avoir une enquête du CIUSSS et une enquête du coroner.
Mais ce genre de comportement raciste à l'hôpital n'a pas sa place au Québec, c'est totalement inacceptable.
Anonyme
il y a 4 ansUgh! Ce gars. Il y en a toujours un comme lui dans chaque gouvernement. J'aimerais vraiment qu'il n'y en ait pas. Ce n'est pas le genre de type qui fait entrer le gouvernement en 2020 ++. Ses opinions datent de 1967. Ciao.
Anonyme
il y a 4 ansQuand est-ce que tu t'en vas?
Anonyme
il y a 4 ans"L'accessibilité à la justice aussi, ça doit rimer avec l'efficacité."
Compréhension des enjeux complexes de l'accès à la justice au Québec, niveau étudiant en première semaine du bac en droit + phrase cliché sans substance qui circule sur la justice depuis les années 70 = Le "plan" de Jolin-Barrette sur l'accès à la justice