Raffermir le droit à la féminité dans la profession juridique au Québec
Estelle Savoie-dufresne
2020-11-27 15:00:00
Ainsi, depuis, deux générations subséquentes intégrales, incluant les milléniaux (la mienne), nous naissons avec cette notion d’acquis d’égalité de nos droits civils et d’accès à la profession.
Or, malgré une généreuse inclusion et un constant soutien dans la profession, un raffermissement culturel sur l’acceptation et la valorisation de l’énergie féminine extériorisée par les membres de la communauté juridique, peu importe, LGBT, femme et homme, il est vital afin d’aller plus loin dans la richesse de la diversité pour nos générations futures.
Selon certains, nous devrions accepter les robes ajustées sans veston, les T-Shirt, les jeans, les espadrilles et les talons hauts colorés comme tenues professionnelles plutôt que le systémique tailleurs 2 pièces de teintes neutres. En d'autres mots : Oui : à la powerdress et au casual friday look ! Non : au monkey suit!
Introspection avec une femme unique d’une génération de combattantes : Madame Denise Bombardier. Attention ! Propos chocs et non politiquement corrects, qui inspirent tout en nous rappelant adroitement l’importance de la symbolique de l’institution démocratique qu’est la justice.
Mme Bombardier, merci de votre temps. Comment définissez-vous la féminité?
La féminité? Mais il faut se demander aussi ce qu’est la masculinité, ne croyez-vous pas? Par exemple, que disait-on de moi au début de ma carrière à la télévision? Excusez la vulgarité, mais c’était que « je n’étais pas baisable ». Je précise que j’ai été la première femme à animer une émission politique (« Noir sur Blanc ») à la télévision de Radio-Canada. Ce qui signifie que j’ai littéralement pris la place d’un homme. Cela n’a guère réjoui certains confrères qui croyaient que cette fonction revenait de droit divin à un homme. Si j’avais été me plaindre et pleurer devant mes patrons, je ne serais pas là aujourd’hui pour vous parler. Mais j’ai eu quelques patrons qui m’ont donné ma chance professionnellement et quelques hommes qui m’ont aimée et protégée au cours de ma vie.
Pourquoi s’attaquait-on à ma sexualité? Pourquoi, quand je faisais une entrevue, certains (et aussi, je le précise, certaines) étaient-ils davantage intéressés par mes cheveux et ma tenue? Pourquoi étais-je étiquetée comme agressive alors devant des confrères, hommes au fort tempérament, et qui faisaient des entrevues, disons « viriles », on s’exclamait : « Quel courage, quelle audace, quel professionnalisme! »? Les critères pour évaluer mon travail n’étaient pas les mêmes et c’est encore vrai aujourd’hui entre femmes et hommes. Mais heureusement, je m’en suis complètement fichue !
Parce que toute ma vie, j’ai fait ce que j’ai voulu faire. Cette perception négative de ma féminité par les autres ne m’a pas empêchée de rester femme. Cela dit, j’étais seule, sans permanence d’emploi, toujours pigiste, par choix, afin d’avoir la liberté d’être moi-même. Je souhaitais être embauchée sur le seul critère qui m’importait à mes yeux, être la meilleure, pas parmi les femmes. Parmi tous. Je ne pratique pas la modestie. Car comme le dit la maxime, « les gens modestes ont souvent de bonnes raisons de l’être ». En ce sens, certains diront que je suis comme un homme. Or c’est faux. Car cela voudrait dire que la confiance en soi est contre nature pour les femmes.
Quand on est avocate, c’est différent, car il y a déjà un avantage. C’est que les hommes et les femmes ont la même formation. Et la parité est la règle dans les institutions publiques. Mais dans les grands cabinets, c’est autre chose : on y joue plus dur. C’est clair ! Il faut donc accepter un certain rapport de force entre collègues. La séduction est une arme à deux tranchants pour une femme, car cela finit toujours par jouer contre elle. Entre hommes, la séduction existe, mais les inconvénients sont différents. J’use du mot « séduction » dans son sens le plus large, dois-je le préciser. Il faut avoir une éthique, une assurance, une confiance en soi et beaucoup de compétence.
En fin de compte, la féminité, c’est d’être ce qu’on est!
L’énergie masculine prédomine comme modèle. Avez-vous ressenti le besoin d’exhiber votre énergie féminine au cours votre illustre carrière? Vous autorisez-vous à le faire?
Au début de ma carrière, je me suis retrouvée à prendre littéralement la place de l’autre, celle des hommes, je le répète. C’est sûr que d’emblée, cela dérangeait. Donc, je n’ai pas joué sur le tableau de ma féminité, comme je le mentionnais. Et, en plus, je n’ai pas eu beaucoup l’appui des autres femmes dans ma vie et dans ma carrière. C’était parfois davantage de la jalousie et de la compétition entre les femmes. Ce que j’ai eu, c’est l’appui des hommes. Ce n’est pas le discours actuel entre les hommes et les femmes de votre génération, les milléniaux, par exemple.
Une anecdote me vient en tête à la suite de vos questions. Je réalise que je ne l’ai pas incluse dans mes mémoires, Une vie sans peur ni regret, et cela me donne le goût d’en parler. Un jour, j’ai été membre d’un jury de plaidoirie au Jeune Barreau de Montréal. Il y avait une avocate épatante, d’une intelligence fluide, maniant admirablement la langue! Cultivée en plus. Mais elle ne projetait pas la voix comme le grand et beau coq plaideur aux effets de toge qui avait pâmé notre jury. Et dont j’étais la seule femme. Lors de la délibération, je dis à mes collègues : « Excusez-moi, je crois que nous penchons vers le plaideur qui rejoint les canons du stéréotype masculin du grand et puissant plaideur alors qu’il y a une excellente candidate aux qualités supérieures. Elle est plus raffinée, plus subtile, plus intellectuelle en droit, même si elle ne projetait pas la voix comme le viril jeune homme. » Je les ai, à l’évidence, « déculottés ». Mal à l’aise, pris en flagrant délit de sexisme, ils se sont tous ralliés à mon point de vue. La jeune avocate a gagné. À mes yeux, justice fut rendue!
L’énergie féminine peut notamment s’exprimer par l’habillement. Une intéressante étude de l’université américaine de Princeton (2019) conclut qu’une personne élégamment vêtue est automatiquement présumée compétente. Qu’en pensez-vous?
L’habit, en quelque sorte, surtout dans le domaine du droit, fait le moine. C’est une des dernières professions où on porte la toge. J’accorde énormément d’importance à la symbolique de l’uniforme. Je trouve que c’est important. En exerçant la profession d’avocat, on est au cœur de ce qui est la démocratie, c’est-à-dire l’État de droit. Et donc, on doit revêtir la toge. Et le décorum à la Cour est indissociable du contenu des propos. Il en va du respect de l’institution démocratique.
Selon vous, quel est le prochain défi d’équité culturelle dans la communauté juridique québécoise?
Ce sera celui que vous voulez bien vous donner. Il ne faut jamais oublier que lorsque nous sommes avocats, on ne fait pas un travail comme les autres. Lorsqu’on représente l’autorité, il ne faut pas se comporter comme les autres. Je reviens sur l’importance de conserver les acquis de l’institution démocratique. Si on les enlève, il ne nous reste que la superficialité du quotidien. Il faut s’incliner devant l’État de droit.
Me Estelle Savoie-Dufresne cumule une solide expérience dans les domaines du droit des valeurs mobilières et des modes de prévention de règlement des différends, qu’elle enseigne à la Faculté de droit de l’université de Sherbrooke, en sus de développer son cabinet boutique basé à Montréal. Professionnelle, passionnée et rigoureuse, reconnue pour ses fortes aptitudes managériales, son leadership ainsi que sa vision stratégique, Estelle valorise une activité saine et éthique des marchés des capitaux québécois et canadiens et a d’excellentes habiletés en négociation. Suite à un passage à la Negociation Institute de Harvard, elle y retournera en 2021 pour un certificat exécutif en leadership. Ses passe-temps, outre la politique, sont l’exercice physique et la nutrition, où elle a du plaisir à offrir comme entraîneuse son programme de fitness epower® dans un club établi de Montréal et modèle amatrice.