Comment protéger ses employés à l'étranger?
Gabriel Granatstein
2011-06-28 10:15:00
Bien que la législation québécoise en matière d’emploi couvre (et protège) les employés qui travaillent exclusivement au Québec, elle s’applique également aux employés qui, bien que basés au Québec, sont appelés à travailler pour leur employeur à l’extérieur du Québec. Cette facette du droit est de plus en plus importante pour les employeurs et leurs employés, les entreprises étant de plus en plus actives à l’échelle mondiale et, conséquemment, la main d’œuvre voyant sa mobilité accrue.
Bien que personnellement, mes voyages d’affaires ne m’ont emmené que vers des destinations aussi exotiques qu’Ottawa, Toronto et Edmonton, certains employeurs requièrent de leurs employés qu’ils se prêtent à des déplacements nettement plus aventureux. Par exemple, les compagnies pétrolières demandent régulièrement à leurs dirigeants et ingénieurs de se rendre au Moyen Orient. De leur côté, les dirigeants et ingénieurs des compagnies manufacturières sont souvent appelés à se rendre en Chine afin de visiter les usines de production. Alors qu’il y a peu de risques inhérents à un voyage d’affaires à Edmonton, et donc un faible risque de responsabilité pour l’employeur, des déplacements vers d’autres pays représentent des événements plus risqués. Un exemple récent ayant défrayé les manchettes est celui d’un organisme caritatif ayant envoyé une employée au Darfour en août 2009.
Falvia Wagner travaillait pour Samaritan’s Purse, une compagnie de la Caroline du Nord aux États-Unis. Elle se porta volontaire pour aller au Darfour afin d’enseigner et de fournir de l’aide humanitaire. Selon les termes de sa poursuite contre l’employeur, son enlèvement par des nationaux soudanais survenu le 18 mai 2010 serait le résultat d’une série d’actes intentionnels, grossièrement négligents et fautifs commis par Samaritan’s Purse. Elle allègue que la négligence de son employeur, ainsi que celle de la firme de consultants engagée par celui-ci, ont causé ses 105 jours d’emprisonnement, de même que le traumatisme physique et psychologique sévère et permanent qu’elle aurait subi. En bref, Mme Wagner avance avoir souffert ces dommages en raison du défaut de son employeur de lui fournir la formation et le personnel de sécurité adéquats, et de sa décision de ne pas la retirer du Darfour malgré la présence « d’éléments de preuve crédibles » qu’elle était en danger. Bien que la poursuite ne spécifie pas les montants réclamés, je n’ai aucun doute que ceux-ci soient très élevés.
Cette poursuite, qui demeure pour l’instant au stade embryonnaire (la négligence de l’employeur n’ayant été jusqu’ici aucunement établie), suscite la réflexion. Bien que nos lois en matière de santé et sécurité au travail diffèrent passablement de celles applicables aux États-Unis, les employeurs sont néanmoins obligés par la loi de prendre des mesures afin de protéger leurs employés. Ils peuvent faire l’objet de sanctions pénales voire même de poursuites criminelles (dans divers cas sérieux) s’ils faillent à ces obligations.
Il n’est pas uniquement question ici d’enlèvements ou d’actes de guerre : des incidents plus « banals » tels les accidents de voiture, les tremblements de terre (pensons au Japon) ou diverses agressions plus ou moins graves sont susceptibles de survenir aux employés envoyés à l’étranger. Sommairement, si l’employé subit un dommage par la négligence de l’employeur dans un tel contexte, ce dernier risque d’avoir à en payer le prix – incluant d’un point de vue moral et médiatique.
Les employeurs canadiens sont évidemment habitués de prendre les moyens nécessaires afin d’assurer la sécurité de leurs employés au Canada. Chaque province a adopté des mesures législatives sophistiquées en matière de santé et sécurité au travail et les employeurs prennent des mesures afin de protéger les employés de la violence au travail. Le Canada n’est pas un pays du tiers monde et les risques d’enlèvement sont clairement minimaux. Il est relativement aisé de protéger les employés au Canada.
Ce n’est pas forcément le cas partout ailleurs.
Par exemple, le Mexique est évalué comme étant le deuxième pays au monde en matière d’enlèvements. L’Inde a pour sa part la plus haute fréquence de Canadiens blessés ou tués. Quelles mesures devraient donc prendre les employeurs canadiens afin de protéger leurs employés (et se protéger eux-mêmes des poursuites) lorsqu’ils les envoient à l’étranger?
Premièrement, ils peuvent mettre en place des procédures internes pour traiter des situations d’accidents ou d’incidents survenus à l’étranger. Ils peuvent également faire des études de risques, mettre en garde leurs employés et les former afin d’éviter la réalisation de ces risques. Dépendamment du pays de destination, l’embauche de personnel de sécurité sur les lieux pourrait s’avérer nécessaire. Les enlèvements en vue d’obtenir des rançons sont, dans certains pays, l’objet d’une activité criminelle extrêmement organisée.
Dans cette optique, un employeur pourrait être bien avisé de souscrire une police d’assurance pour couvrir ce risque (un domaine d’assurance qui, de manière surprenante, est bien développé). Les familles des employés concernés doivent également faire partie du processus de planification et être au fait des procédures applicables. Aucun mari ou femme ne veut apprendre que son époux a fait l’objet d’un enlèvement ou d’un accident à l’international par l’intermédiaire des médias. À l’inverse, aucun employeur ne veut que ce mari ou cette femme ne contacte les médias pour se plaindre de sa négligence dans une telle affaire.
Heureusement, avec la mondialisation, les troubles et tensions politiques actuels, et les risques qui en découlent, une industrie de consultants spécialisés s’est développée pour fournir ce genre de services aux employeurs. J’ai récemment discuté avec John Proctor, Vice-président des Opérations à risque pour iHRS, une telle entreprise basée à Ottawa. Il m’a fait part du fait que les entreprises réalisent graduellement la valeur, tant d’un point de vue de protection des employés que d’un point de vue de protection contre les risques de poursuite, de mettre en place de tels programmes en faisant affaire avec des consultants.
D’autres compagnies bien connues telles Garda et Sécuritas pourraient offrir ces services. Il est important de faire une « vérification diligente » avant de faire affaires avec des fournisseurs de services en ces matières délicates. Il est essentiel que ceux-ci aient les qualifications et les ressources appropriées.
Si vous envoyez des employés à l’extérieur du Canada, il vaudrait peut-être la peine de vérifier si des mesures suffisantes sont en place pour les protéger ainsi que votre entreprise. Bien qu’aucune entreprise ne puisse garantir la protection de ses employés partout sur la planète, chacune à l’obligation de prendre les moyens raisonnables pour assurer cette protection. Cette obligation de prendre les moyens raisonnables pour protéger les employés a d’ailleurs été récemment ajoutée au Code criminel. Ignorer cette responsabilité peut s’avérer pour le moins hasardeux, tant pour la santé des employés que pour l’employeur.
Admis au barreau en 2009, Gabriel Granatstein est avocat chez Norton Rose à Montréal, en droit de l'emploi et du travail. Avant de se joindre au cabinet, il a été officier au sein des Forces canadiennes et a notamment été affecté au maintien de la paix en Bosnie. Il demeure membre de la Réserve. Me Granatstein tient un blogue sur le droit du travail au Québec et est également présent sur Twitter.
Diplômé en droit de l’Université de Montréal (LL.B.), il a auparavant obtenu un baccalauréat en science politique à McGill (B.A.).