Conciliation travail-famille: quelle obligation pour l’employeur?
Maude Grenier
2015-03-09 11:15:00
Deux semaines avant son retour au travail, Mme Bouchard, directrice des services financiers chez Honda de la Capitale, avise son employeur qu’elle ne sera pas en mesure de respecter l’horaire de travail qui prévalait avant son congé de maternité, lequel impliquait de devoir travailler après 16 heures et, dans certains cas, jusqu’à 21 heures. En effet, malgré plusieurs recherches, l’employée n’a pu trouver de service de garde ouvert jusqu’à 21 heures et ne peut compter sur sa famille. Mme Bouchard exige donc de pouvoir quitter tous les jours à 16 heures, ce que l’employeur refuse.
Malgré ce refus, dès son premier jour de travail, Mme Bouchard quitte l’établissement de l’employeur à 16 heures, invoquant ses obligations familiales. Le lendemain, un premier avertissement écrit lui rappelant son horaire de travail lui est remis et, ce même jour, l’employée quitte de nouveau à 16 heures.
La même situation se reproduit le surlendemain. Une suspension sans solde de deux semaines lui est imposée le jour suivant, l’employeur soulignant que le défaut de respecter l’horaire de travail imposé constituait de l’insubordination et que toute récidive mènerait au congédiement.
Dès le premier jour de son retour au travail, la travailleuse fait une fois de plus défaut de respecter son horaire de travail. Considérant qu’il y a une distinction entre permettre aux employés de s’absenter ponctuellement pour répondre à leurs obligations familiales et modifier un horaire régulier pour les mêmes raisons, l’employeur congédie l’employée.
La travailleuse dépose donc deux plaintes devant la Commission des normes du travail afin de contester son congédiement, alléguant pratique interdite et congédiement sans cause juste et suffisante.
La décision
La CRT conclut d’abord à l’absence de violation de l’article 81.15.1 de la LNT, lequel prévoit le droit de l’employé qui prend un congé de maternité, de paternité ou parental de reprendre son poste habituel « avec les mêmes avantages ». En effet, en l’espèce, Mme Bouchard demandait non pas de retrouver son ancien horaire de travail, soit les « mêmes avantages », mais bien qu’un horaire de travail substantiellement différent de celui qui prévalait avant son congé lui soit accordé.
La CRT conclut ensuite que la travailleuse n’a pas établi avoir fait usage du droit prévu à l’article 79.7 de la LNT, soit le droit de s’absenter au maximum 10 jours par année pour remplir des obligations reliées à la garde de son enfant, et ce, après avoir avisé l’employeur et pris tous les moyens pour limiter la prise et la durée du congé.
La CRT indique ainsi qu’exiger la modification d’un horaire pour une durée indéterminée en raison des difficultés d’un employé à concilier ses obligations professionnelles et familiales n’est pas visé par la LNT. Selon la CRT, « […] la Loi ne crée pas de droit à un horaire de travail adapté aux difficultés que pose cette conciliation ».
Dit autrement, une distinction doit être faite entre le fait de prendre un congé un jour où l’horaire de travail ne convient pas aux obligations familiales et celui d’exiger un nouvel horaire convenant aux dites obligations.
La CRT ajoute qu’en l’espèce, la travailleuse n’a pas fait la preuve qu’elle avait pris les moyens raisonnables pour éviter la prise des congés demandés. La CRT indique que les seules démarches afin d’identifier un service de garde ouvert en soirée ne sont pas suffisantes.
Finalement, la CRT rejette l’argument de la travailleuse selon lequel son congédiement n’a pas été imposé pour une cause juste et suffisante au sens de l’article 124 de la LNT, puisque celui-ci contrevenait, selon elle, à la Charte, laquelle interdit toute discrimination fondée sur l’état civil.
Prenant appui sur une décision récente de la Cour d’appel, la CRT conclut qu’il faut distinguer les situations où la discrimination découle directement de la fonction de parent de la personne, par exemple le fait de lui refuser un logement en raison du fait qu’il a des enfants, des situations où l’exclusion résulte de l’indisponibilité de l’employé. Dans le premier cas, il y aura violation de la Charte, alors que dans le second, il y aura exercice légitime des droits de gestion de l’employeur.
À la lumière de ce qui précède, la CRT rejette donc les plaintes de la travailleuse.
Conclusion
Alors que la Loi canadienne sur les droits de la personne (« Loi »), applicable aux entreprises de compétence fédérale, prévoit expressément que la situation de famille est un motif de discrimination prohibé, tel n’est pas le cas de la Charte .
Les employeurs de compétence provinciale n’ont donc pas d’obligation d’accommodement envers les parents dont l’horaire de travail ne convient pas aux obligations familiales avec lesquelles ils doivent composer. Ils peuvent ainsi, de manière légitime et sans discrimination, refuser d’accorder un horaire de travail particulier et, en cas d’indisponibilité de l’employé, mettre un terme à la relation d’emploi.
En concluant comme elle l’a fait, la CRT établit, bien qu’elle ait mentionné ne pas se prononcer en ce sens, la différence entre l’obligation de l’employeur d’accorder jusqu’à 10 jours de congé par année à l’employé qui doit s’absenter pour des raisons familiales prévues par la LNT et le droit de l’employeur d’exiger que l’employé respecte, sous réserve notamment de cette exception, l’horaire de travail qui lui est attribué.