Clauses de non-sollicitation: les tribunaux trop exigeants ?

Karim Renno
2012-01-17 14:15:00

On note principalement (a) qu’il ne sera pas nécessaire que la clause de non-sollicitation soit limitée dans l’espace (voir ''Gagnon'' c. ''St-Pierre'', 2011 QCCS 984, en appel) et (b) que la durée de la prohibition de sollicitation pourra être plus longue que dans le cas d’une clause de non-concurrence (voir ''L.E.L. Marketing ltée.'' c. ''Otis'', D.T.E. 89T-1007).
Si la clause de non-sollicitation bénéficie de certains avantages lorsque opposée à la clause de non-concurrence, tout n’est pas pour autant rose et facile. La question de la preuve est plus problématique.
En effet, il est relativement facile, en principe, d’établir une violation à une obligation de non-concurrence. Tout ce qui incombe à l’ex-employeur c’est de démontrer que l’ex-employé opère ou est associé à une entreprise concurrente dans le territoire désigné. La contravention à une obligation de non-sollicitation est beaucoup plus difficile d’abord parce que les tribunaux québécois exigent une sollicitation « active ». L’on comprend par sollicitation active que celle-ci doit être ciblée et directe. La preuve d’une sollicitation générale ou impersonnelle (publicités, annonces générales, etc.) ne suffit pas. Ensuite, cette preuve doit habituellement se faire par le biais du témoignage des clients ou ex-clients de l’employeur qui viennent relatés devant la Cour comment ils ont été sollicités. Or, nous ne surprendrons personne en soulignant que rares sont les clients qui apprécient se retrouver au milieu d’une bagarre judiciaire.
Comme on peut le constater, requérir de l’ancien employeur qu’il fasse la démonstration d’une sollicitation active impose déjà un fardeau qui est loin d’être négligeable. De l’avis du soussigné, absolument nul besoin donc d’ajouter à ce fardeau.
Pourtant, c’est exactement ce qu’ont fait les tribunaux québécois en indiquant, de plus en plus fréquemment, que la sollicitation doit être non seulement active mais également insistante (voir par exemple les décisions de la Cour supérieure dans ''FLS Transportation Services Inc./Services de transport FLS inc.'' c. ''Piccioni'', 2005 CanLii 57247 et ''MBI Acquisition Corp.'' c. ''Bournival'', 2008 QCCS 2232).
De l’avis du soussigné, cela entraîne un fardeau de la preuve pour l’ex-employeur qui est beaucoup trop lourd. À cet égard, non seulement faut-il prouver la sollicitation, mais également la sollicitation répétée. À la lumière de la difficulté traditionnelle de se constituer même une preuve de simple sollicitation, ce fardeau nous apparaît quasi impossible à rencontrer. Ce faisant l’on diminue l’utilité et l’efficacité des clauses de non-sollicitation de manière exponentielle.
En effet, hormis le cas d’un ex-employé qui ne prendrait absolument aucune précaution et ferait sa sollicitation de manière complètement désinvolte nonobstant sa connaissance de ses obligations de non-sollicitation, on a peine à imaginer un cas où l’on pourrait prouver la sollicitation ciblée et répétée.
Si cette interprétation continue à prévaloir, il est fort à parier que la clause de non-sollicitation tombera vite aux oubliettes. Cela serait dommage tant pour les employeurs, parce qu’il s’agit d’un outil intéressant pour protéger son entreprise, que pour les employés, parce que c’est une obligation beaucoup moins onéreuse que celle de non-concurrence.
Sur l'auteur:
Karim Renno est associé du cabinet Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l. Il est le fondateur et le rédacteur en chef du Blogue du CRL où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.