Karim Renno

La critique de Me Renno

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Karim Renno

2020-04-23 13:15:00

La Cour d’appel est de plus en plus exigeante en matière de transcription en première instance. Karim Renno analyse et critique…
Karim Renno est associé fondateur du cabinet Renno Vathilakis Inc
Karim Renno est associé fondateur du cabinet Renno Vathilakis Inc
La tendance est maintenant indéniable: la Cour d'appel exige de plus en plus souvent la transcription de la preuve faite en première instance avant d'intervenir sur une question factuelle ou mixte de faits et de droit.

En fait, c'est habituellement la Cour oppose habituellement une fin de non-recevoir en l'absence de cette transcription. Dans Distribution financière Sun Life (Canada) inc. c. Lamontagne (2019 QCCA 2162), la Cour va jusqu'à indiquer qu'elle ne peut se prononcer sur la qualification juridique d'un contrat sans cette transcription de la preuve.

L'Appelante dans cette affaire se pourvoit contre un jugement de première instance qui l'a condamné à verser à l'Intimée une indemnité de terminaison suite à la résiliation d'un contrat.

L'Appelante plaide que le contrat en question est un contrat de service, de sorte qu'elle pouvait y mettre fin sans indemnité. Le juge de première instance a plutôt conclu qu'il s'agissait d'un contrat sui generis puisque ses caractéristiques participaient à la fois du contrat d'emploi et du contrat de service.

Une formation unanime de la Cour en vient à la conclusion qu'elle ne peut intervenir sur la question faute de reproduction de la preuve faite en première instance:

(2) La thèse de l’appelante repose sur la prémisse selon laquelle le juge aurait conclu que le Contrat en est un de service, lequel serait régi exclusivement par les articles 2125 et 2129 C.c.Q. L’intimée, dans son exposé, invite plutôt la Cour à y voir un contrat de travail, assujetti aux articles 2085 et s. C.c.Q.

(3) Il est vrai que les motifs du juge sur cette question peuvent porter à interprétation. Celui-ci retient que la relation entre les parties comporte plusieurs éléments qui s’inspirent d’un contrat d’emploi, comme il l’écrit au paragraphe 101 de ses motifs. Il conclut néanmoins que l’intimée n’est pas une employée, tout en précisant du même souffle que les particularités du Contrat ne correspondent pas non plus stricto sensu au contrat de service tel que défini à l’article 2098 C.c.Q. « puisqu’il est difficile de décrire [l’appelante] comme étant le client de [l’intimée] ». Il ajoute d’ailleurs que les articles 2125 et 2129 C.c.Q. ne s’appliquent pas aux faits de l’espèce.

(4) La qualification du contrat est ici une question mixte de fait et de droit. Or, les parties ont renoncé à produire la transcription de la preuve faite à l’audience. Dans un tel contexte, et malgré que certains passages du jugement soulèvent des questionnements, la Cour ne dispose pas des éléments factuels requis pour intervenir sur cette question.

Commentaire

Avec égards, la Cour me semble aller trop loin ici.

Dans un contexte où les coûts reliés à la justice sont une préoccupation importante, forcer la partie qui veut attaquer la qualification juridique d'un contrat en appel à produire toute la preuve faite en première instance me semble excessif. C'est particulièrement vrai dans un contexte où l'exercice de qualification d'un contrat se base presque (je dis bien presque) exclusivement sur le contrat lui-même.

Les lecteurs assidus d'À bon droit savent que je déplore la tendance grandissante des tribunaux d'appel de restreindre leur champ d'intervention possible au nom de la saine administration de la justice. Cette tendance - si elle est compréhensible et à un certain point justifiable - heurte un des piliers de notre système de justice: la recherche de la vérité et du bon résultat.

Hormis des circonstances exceptionnelles qui ne me semblent pas présentes ici, la qualification d'un contrat ne nécessite pas de reproduire la preuve complète faite en première instance. Je souligne à cet égard qu'il n'y a pas si longtemps, on considérait la qualification d'un contrat comme une pure question de droit. Forcer la partie appelante à reproduire le dossier découragera plusieurs appels. Je comprends que c'est possiblement l'objectif, mais je suis en désaccord. La barre est déjà assez haute (erreur manifeste et dominante) qu'il ne semble pas approprié d'y ajouter.

J'ajoute finalement que le nombre grandissant de décisions de la Cour d'appel qui exige la reproduction du dossier de première instance me semble également contradictoire avec un autre dictum important de la Cour: le fait qu'il n'est pas son rôle de refaire le procès et l'analyse de la preuve.

Sur l’auteur

Karim Renno est associé fondateur du cabinet Renno Vathilakis Inc. Il est le fondateur et rédacteur en chef du Blogue À bon droit où il publie régulièrement des billets de jurisprudence. Durant la crise que nous traversons, il partagera ses réflexions avec les lecteurs de Droit-inc.com sur un sujet d'actualité juridique.
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6 commentaires
  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 4 ans
    Au contraire
    Avec beaucoup d'égards pour Me Renno, il me semble y avoir ici une certaine incompréhension de l'arrêt cité et du rôle de la Cour d'appel.

    Le rôle de la Cour d'appel, comme Me Renno le souligne, n'est pas de refaire le procès. Ce n'est pas à elle que revient la charge de tirer les conclusions factuelles qui ressortent de la preuve administrée. Cette tâche relève de la prérogative du tribunal de première instance.

    Permettre la révision sans vergogne de toutes les conclusions factuelles tirées par les juges de première instance reviendrait en quelque sorte à usurper la fonction de ces derniers. Cela remettrait également en doute le caractère définitif des jugements. C'est justement pour cela que la Cour d'appel n'intervient à l'égard d'une question de fait ou d'une question mixte qu'en présence d'une erreur manifeste et déterminante commise par le tribunal de première instance.

    Or, en l'absence d'une admission commune des parties, il est impossible pour la Cour d'appel de constater qu'une conclusion factuelle est erronée, c'est-à-dire contraire à la preuve administrée, sans avoir à sa disposition ladite preuve.

    Il est donc souhaitable et essentiel que la Cour d'appel refuse de trancher une question de fait ou une question mixte sans avoir à sa disposition la preuve pertinente à sa résolution. Ce n'est donc pas contradictoire avec son rôle que la Cour d'appel impose une telle exigence, mais plutôt en raison de celui-ci!

    En terminant, il faut noter que dans l'arrêt cité par Me Renno, la Cour d'appel n'exige pas la production de "toute la preuve faite en première instance". Elle se limite à indiquer qu'elle "ne dispose pas des éléments factuels requis pour intervenir sur cette question". L'obligation de fournir la transcription des témoignages ne vaut que pour ceux qui sont pertinents à la question en litige.

    • Karim Renno
      Karim Renno
      il y a 4 ans
      re: Au contraire
      Je respecte votre point de vue sur la question. D'ailleurs, la Cour d'appel est clairement d'accord avec vous.

      Avec égards, vous donnez une interprétation différente de la mienne au par. 4 du jugement qui indique "''Or, les parties ont renoncé à produire la transcription de la preuve faite à l’audience''". Je ne vois pas là d'indication de la Cour qu'elle n'avait besoin que de la preuve pertinente, mais bien de toute la preuve faite à l'audience.

      Plusieurs décisions de la Cour soulignent d'ailleurs son grand scepticisme à l'égard de la possibilité de produire seulement une partie de la preuve faite en première instance. On peut penser à l'affaire ''Desrosiers (Succession de) c. Gagné'' (2014 QCCA 2077) où la Cour indique "''Le rôle de la Cour, en appel, est de s’assurer que le juge de première instance n’a pas commis d’erreurs de fait manifestes et déterminantes ou d’erreurs de droit. Ce travail ne peut toutefois pas se faire dans un vacuum. L’appelante n’a pas le loisir de choisir, dans la preuve, que ce qui favorise sa théorie de la cause. Elle doit joindre à son mémoire tout ce dont la Cour a besoin pour trancher le litige, ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce''."

      Comme vous pouvez le voir, la Cour ne demande pas toute la preuve dont elle a besoin pour ===trancher une question donnée===, mais bien ===le litige=== au complet.

      C'est pourquoi c'est selon moi un fardeau trop lourd.

      Bonne journée,

      Karim Renno

    • anonyme
      anonyme
      il y a 4 ans
      Citation eronée
      J'étais dans les coulisses à la Cour d'appel quand (le très court) arrêt dans Desrosiers a été rendu.

      Il s'agissait d'un dossier où le dossier d'appel avait été très mal monté et dans lequel il manquait, notamment, des pièces.

      Les propos de la Cour d'appel dans cette affaire non aucun, aucun, aucun lien avec l'obligation de reproduire devant la Cour d'appel la transcription intégrale de la preuve faite en première instance.

      D'ailleurs, ce n'est tout simplement pas ce que la Cour dit dans cette affaire, si vous prenez le temps de relire attentivement, et d'une point de vue neutre, l'extrait cité.

    • Karim Renno
      Karim Renno
      il y a 4 ans
      re: Citation eronée
      Il me fait plaisir d'échanger avec tout commentateur, même ceux qui sont anonymes, sur ce forum. J'apprécie la critique et je ne prétend certes pas avoir raison à tout coup.

      Ceci étant dit, il n'y a pas vraiment matière à discussion si l'entièreté de votre argumentation repose sur mon incompréhension des propos de la Cour ou le fait que - selon vous - je n'ai pas pris le temps de lire attentivement.

      Essayons encore une fois dans ce cas. Voici ce qu'une formation unanime de la Cour a écrit en septembre dernier dans ''Martel ''c. ''Beaulieu'' (2019 QCCA 1574):

      ''[5] Au surplus, malgré que les reproches qu’ils formulent à l’égard des conclusions de la juge concernent essentiellement, tel que déjà mentionné, des questions de fait ou de crédibilité des témoins, les appelants n’ont reproduit qu’une preuve fragmentaire au dossier d’appel, ce que les intimés soulèvent d’ailleurs dans leur mémoire.

      [6] Ainsi, et par exemple, 101 pages seulement de transcription des témoignages ont été reproduites au dossier, alors qu’il appert que la transcription intégrale que les appelants ont obtenue en compte à tout le moins 722, et les représentations des intimés à l’effet que les appelants n’ont reproduit au dossier d’appel qu’environ 20 % de la preuve totale n’ont pu être contredites, ni celles que sur certains points la preuve qu’ils ont choisi de reproduire se limite aux éléments favorables à leur thèse.

      [7] La Cour ne peut réévaluer la preuve en se fondant sur une preuve aussi incomplète.''

      Après avoir cité l'affaire Desrosiers, la Cour ajoute:

      ''[9] Comme notre Cour l’a aussi déjà rappelé, celui qui affirme que le tribunal de première instance a mal évalué l'ensemble de la preuve a tout intérêt à soumettre l'entièreté de celle-ci en annexe à son mémoire. De même, si l'on reproche au tribunal de première instance des erreurs dans l'appréciation du témoignage d'un témoin particulier, il est téméraire de ne reproduire que des extraits de ce témoignage, ce qui peut laisser sous-entendre qu'on cherche à cacher ce que le témoin aurait dit par ailleurs et qui pourrait contredire la thèse qu'on cherche à faire valoir en appel.''

      Quelque mois plus tôt, dans ''Drouin c. David'' (2019 QCCA 628), toujours en citant ''Desrosiers'', la Cour écrivait:

      ''[9] La détermination de l’existence d’un traitement discriminatoire nécessite, de la part d’une cour d’appel, un examen rigoureux de toutes les circonstances propres à chacune des situations qui doivent être comparées. Or, les appelants n’ont pas jugé bon de reproduire l’entièreté de la preuve. Le dossier, tel que constitué, ne contient en effet que des extraits des notes sténographiques. Quant au cas similaire qui sert d’assise au traitement discriminatoire dont ils auraient été victimes, il s’agit d’un document qui réfère à de nombreux autres documents dont on ignore tout. Cette lacune est fatale.''

      À mon humble opinion, le message de la Cour est très clair: produisez la totalité de la preuve, sinon le risque est très élevé que nous ne nous penchions simplement pas sur la question.

      Je comprends très bien le point de vue exprimé par certains qu'il est normal (et peut-être même souhaitable) de rendre le droit d'appel onéreux. Je ne le partage cependant pas et y décèle un problème important d'accessibilité à la justice.

      Peu importe votre vision de la chose, il me semble difficile de contester que le message de la Cour d'appel est : produisez la preuve au complet si vous attaquez une question factuelle ou mixte.

      Bonne journée,

      Karim Renno

  2. techno
    techno
    il y a 4 ans
    audio
    En ces temps où la technologie permet l'écoute sur plusieurs plateformes et que tout est enregistré en salle, pourquoi ne pas modifier les façons de faire?

    Il est grand temps que la justice s'éloigne du simple support papier.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 4 ans
      Wow, belle idée
      1 avocat de l'appelant qui réécoute toute la preuve pour voir s'il y a quelque chose de pertinent à considérer

      +

      1 avocat de l'intimé qui réécoute toute la preuve pour voir s'il y a quelque chose de pertinent à considérer

      +

      3 stagiaires de la Cour d'appel qui réécoutent toute la preuve pour voir s'il y a quelque chose de pertinent à considérer

      +

      Réécoute de portions de preuve après la plaidoirie pour s'assurer que les représentations des avocats ont couvert la preuve fidèlement

      =

      Complètement disportionné, alors qu'une transcription et des recherches OCR permettent de faire les vérifications nécessaires très rapidement.

      _____________________

      C'est un cas où oui, la transcription des audiences coûte cher, mais c'est quand même plus porportionnel que ce que vous proposez. Aller en appel coûte des sous, et c'est normal que ce soit le cas. N'oubliez pas que la personne qui porte la cause en appel s'oppose à un jugement qui a été rendu après que 3-6 ans de ressources judiciaires et quasi-judiciaires aient été dépensées. Malgré ça, cette personne veut partir un "round 2"...


      De plus, n'oubliez pas que la Cour d'appel est la Cour de dernière instance dans la très grande majorité des cas au Québec.

      Les transcriptions sont une manière d'assurer qu'il n'y a pas d'appel abusif ou d'appel qui induit la Cour en erreur sur la preuve qui a été faite, et que les parties ne se ramassent pas avec un jugement final qui est complètement détaché de la preuve qui a été faite en première instance.

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